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Libre circulation des travailleurs et droit à la pension de vieillesse

Commentaire de C.J.U.E., 13 juillet 2016, Aff. C-187/15 (PÖPPERL c/ LAND NORDRHEIN-WESTFALEN)

Mis en ligne le lundi 14 novembre 2016


Cour de Justice de l’Union européenne, 13 juillet 2016, Aff. C-187/15 (PÖPPERL c/ LAND NORDRHEIN-WESTFALEN)

Terra Laboris

Statuant à propos d’une disposition de droit allemand en matière de pension de vieillesse des fonctionnaires, la Cour de Justice de l’Union européenne vient de rappeler dans un arrêt du 13 juillet 2016 qu’il ne peut y avoir d’entrave au principe fondamental de libre circulation des travailleurs.

Les faits

Un fonctionnaire, enseignant, au service du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, démissionne de son poste en septembre 1999 pour travailler comme enseignant en Autriche. Il a ainsi renoncé à sa qualité de fonctionnaire et est affilié rétroactivement pour toute la période de sa carrière au régime général d’assurance vieillesse.

Lorsqu’il atteint l’âge de la pension, il est constaté que le montant de celle-ci est légèrement supérieur à 1.000€, alors que, si ses droits n’étaient pas perdus en qualité de fonctionnaire, vu son activité à plein temps pendant 22 ans, cette pension de vieillesse serait de l’ordre 2.260€ par mois, montant majoré de 500€ environ si la prise en compte des périodes d’études pouvait intervenir.

L’institution de sécurité sociale lui signale en avril 2013 que dans la mesure où il a renoncé à sa qualité de fonctionnaire il ne peut bénéficier de prestations de vieillesse dans ce régime, bénéficiant par ailleurs et ce rétroactivement de l’assurance dans le régime général.

L’intéressé plaide devant le juge national que cette obligation d’assurance rétroactive est contraire à l’article 45 TFUE.

Pour le tribunal, cette obligation est susceptible de rendre plus difficile l’accès au marché de l’emploi dans un autre Etat membre, vu la perte qu’elle implique des droits à la pension de vieillesse dans le régime de la fonction publique allemande. Il relève par ailleurs qu’il y des différences pertinentes entre les régimes allemands de pensions de vieillesse, le fondement du droit, dans le cas des fonctionnaires, résidant dans l’obligation pour ceux-ci vu leur recrutement dans le service public de se mettre entièrement au service de leur employeur, et en principe à vie.

En outre, la pension de vieillesse des fonctionnaires dépend des années de carrière, le fonctionnaire ayant pendant sa période d’occupation un traitement brut généralement inférieur à celui d’un employé avec les mêmes qualifications et prestant dans le même secteur. Il est cependant relevé que dans la situation où il était l’intéressé n’avait pas d’autre possibilité que de renoncer à son statut s’il voulait travailler en Autriche, et ce à la différence de l’hypothèse où il changerait d’employeur en Allemagne.

En conséquence, le tribunal administratif de Düsseldorf (Verwaltungsgericht) pose deux questions à la Cour de Justice.

Les questions préjudicielles

Les questions portent toutes les deux sur l’article 45 TFUE.

La première concerne la conformité ou non à cette disposition des règles nationales selon lesquelles les droits expectatifs à une pension de vieillesse sont perdus du fait que l’intéressé a renoncé à son emploi pour prendre un nouvel emploi dans un autre Etat membre, alors que l’Etat lui impose parallèlement d’être affilié rétroactivement à l’assurance pension légale, dont les prestations seront inférieures.

La seconde question intervient au cas où la Cour répondrait affirmativement à la première et vise l’éventualité de l’obligation pour l’organisme public de verser dans une telle hypothèse une compensation financière pour la perte de la pension.

La décision de la Cour de Justice

Sur la première question, la Cour de Justice rappelle les principes de sa jurisprudence en matière de libre circulation, dont le but est de faciliter pour les ressortissants de l’Union l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur le territoire de celle-ci. Il s’oppose à des mesures qui défavoriseraient ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité sur le territoire d’un autre Etat membre que l’Etat d’origine. Le déplacement à l’intérieur de l’Union ne peut, il est vrai, nécessairement toujours être neutre en matière de sécurité sociale et particulièrement en matière de prestations de maladie et de vieillesse, dans la mesure où les régimes nationaux peuvent s’avérer plus ou moins avantageux l’un par rapport à l’autre. La règle ici est que le travailleur migrant ne doit pas être défavorisé par rapport à ceux qui exercent la totalité de leurs activités dans l’Etat membre et que la réglementation nationale ne doit pas conduire purement et simplement à verser des cotisations sociales à fonds perdus.

Les arrêts auxquels la Cour de Justice renvoie sont nombreux.

La réglementation allemande est une restriction à la libre circulation dès lors qu’elle est susceptible d’empêcher ou de dissuader un fonctionnaire de quitter son Etat membre d’origine pour accepter un emploi dans un autre. Elle conditionne ainsi directement l’accès de ses fonctionnaires au marché du travail dans les autres Etats membres et est de nature à entraver la libre circulation des travailleurs (la Cour renvoie essentiellement à l’arrêt BOSMAN (15 décembre 1995, C-415/93) et à l’arrêt COMMISSION / CHYPRE (21 janvier 2016, C-515/14).

Les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales peuvent cependant être admises, à la condition de poursuivre un intérêt général, d’être propres à garantir la réalisation de celui-ci et de ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

Ces questions sont dès lors examinées successivement.

En ce qui concerne l’objectif d’intérêt général, le gouvernement allemand et le Land considèrent que celui-ci réside dans la garantie de loyauté exigée des fonctionnaires ainsi que dans la continuité et la stabilité de la fonction publique.

La Cour rappelle qu’une règle ne sera considérée pertinente que si elle répond véritablement au souci d’atteindre d’une manière cohérente et systématique l’objectif présenté et qu’il appartient au juge national d’apprécier les faits et de vérifier si ces exigences sont rencontrées.

Le rôle de la Cour de Justice est cependant d’offrir au juge national une réponse utile et à partir des indications tirées du dossier de permettre au juge de renvoi de statuer.

Elle constate qu’il est loisible à un fonctionnaire s’il approuve sa mutation de quitter ses fonctions auprès d’un Land afin d’accepter un emploi dans le service public d’un autre Land ou de l’Etat fédéral sans qu’il n’y ait obligation d’affiliation rétroactive au régime général d’assurance vieillesse. Dans une telle hypothèse les droits à la pension dans le secteur des fonctionnaires sont préservés. Aussi constate-t-elle que l’objectif d’assurer le bon fonctionnement de l’administration publique du Land en favorisant la fidélité des fonctionnaires ne parait pas être poursuivi d’une manière cohérente et systématique puisque tel n’est pas le cas s’il part à l’étranger.

La mesure n’est pas propre à garantir la réalisation de l’objectif présenté, qui est d’assurer le bon fonctionnement de l’administration publique du Land. Quant au fonctionnement de l’administration publique en général en Allemagne, elle considère que la réglementation va au-delà ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci. Elle répond dès lors à la première question que l’article 45 TUFE s’oppose à une telle réglementation.

Pour la seconde question, elle estime que les fonctionnaires qui ont renoncé à leur statut pour exercer un emploi similaire dans un Etat membre doivent disposer de droits à une pension de vieillesse comparables aux droits qu’ils avaient auprès de leur employeur initial. Elle renvoie ici également à diverses décisions de sa jurisprudence. Sa réponse à cette seconde question est qu’il incombe à la juridiction nationale d’assurer le plein effet de l’article 45 TFUE et d’accorder aux travailleurs dans une situation telle que celle examinée des droits à une pension de vieillesse comparables à ceux des fonctionnaires qui n’ont pas perdu ceux-ci.

Intérêt de la décision

Ce bel arrêt de la Cour de Justice reprend les règles en matière de libre circulation des travailleurs, la Cour insistant dans l’ensemble de sa jurisprudence sur le fait que des mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le Traité ne peuvent en principe être admises. Les seules restrictions autorisées sont que de telles mesures doivent poursuivre un objectif d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

La Cour renvoie ici notamment à une décision récente, étant un arrêt du 21 janvier 2016, affaire COMMISSION / CHYPRE (C-515/14). Cet arrêt a été commenté précédemment.


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