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Accident du travail : exigence que l’accident soit survenu par le fait des fonctions

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 février 2016, R.G. 2015/AB/54

Mis en ligne le vendredi 28 octobre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 22 février 2016, R.G. 2015/AB/54

Terra Laboris

Par arrêt du 22 février 2016, la Cour du travail de Bruxelles examine les règles contenues à l’article 7 de la loi du 10 avril 1971, relatives à la présomption dite d’exécution du contrat de travail, à l’occasion où un accident est survenu à un travailleur alors qu’il se livrait pendant les heures de travail à une tâche privée – mais autorisée par l’employeur.

Les faits

Un employé d’une raffinerie de pétrole travaille en tant que « unit operator », étant ainsi chargé de diverses tâches de contrôle et de surveillance au niveau de la sécurité (contrôles visuels, tests labo, etc.). Il est victime d’un accident, qui est déclaré par le conseiller en prévention de l’employeur à l’entreprise d’assurances. Le formulaire de déclaration d’accident est renvoyé et, sur celui-ci, il est indiqué que, dans la nuit du 15 au 16 octobre (soit deux-trois jours auparavant, alors qu’il était de service, il a fait une chute du toit d’un bâtiment d’entretien désaffecté alors qu’il était occupé à retirer des panneaux. Il a été emmené à l’hôpital, où des lésions au dos et à la tête ont été diagnostiquées.

Une enquête a été menée par l’employeur, l’entreprise d’assurances, l’Inspection sociale et, enfin, par un bureau de conseil externe, à la demande de la société-mère de l’employeur.

Le travail a été repris deux mois après l’accident.

L’assureur refuse d’intervenir, au motif que l’accident ne serait pas survenu pendant l’exécution du contrat de travail, l’intéressé n’étant pas, lors de la survenance de celui-ci, en train d’accomplir un travail demandé par son employeur dans le cadre du contrat de travail. Pour l’assurance, l’intéressé ne se trouvait dès lors plus sous l’autorité de l’employeur à ce moment, vu qu’il était occupé à des travaux à titre privé.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles, qui, par jugement du 16 octobre 2014, le rejette. Le tribunal suit la position de l’assureur, relevant notamment que les consignes de sécurité en vigueur sur le site n’ont pas été respectées. Le tribunal admet que l’intéressé avait reçu l’autorisation de son « shift manager » pour quitter son local et aller retirer les panneaux en cause. Pour le premier juge, la situation de l’intéressé est à assimiler avec un temps de pause. Il ne ressort, en effet, d’aucun document qu’il aurait avisé son employeur qu’il allait, pendant ses heures de travail, la nuit et dans l’obscurité, exécuter ce travail, effectué pour compte propre.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour reprend l’article 7, 1er et 3e alinéas, de la loi, ainsi que l’article 9. L’article 7 contient la présomption dite d’exécution, étant que, lorsque l’accident survient pendant l’exécution du contrat de travail, il est présumé, jusqu’à preuve du contraire, être intervenu du fait de celle-ci. Quant à l’article 9, il renferme la présomption de causalité.

La cour constate qu’est établi l’événement soudain. Il en va de même de la lésion. C’est dès lors uniquement la présomption d’exécution qui est en discussion. Pour l’assureur, le fait que le travailleur ait effectué ce travail sans l’autorisation de son employeur implique qu’il n’est pas intervenu du fait de l’exécution.

La cour reprend quelques arrêts de la Cour de cassation sur la question, soulignant notamment que, dans un arrêt récent du 9 novembre 2015 (Cass., 9 novembre 2015, n° S.15.0039.N), la Cour de cassation a rappelé que l’autorité, ici, signifie que la liberté et l’activité personnelle du travailleur soient limitées en conséquence de l’exécution du travail.

En ce qui concerne l’usage normal du temps de pause, la cour renvoie à deux arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 1er avril 1985, n° 4.676), dans lesquels elle a rappelé les règles régissant l’usage normal du temps de pause et où a été admis que l’activité peut être exercée avec l’autorisation expresse ou tacite de l’employeur. Il s’agit d’utiliser son temps de pause normalement. Elle cite encore les conclusions de l’Avocat général LENAERTS, avant un arrêt de la Cour de cassation du 3 mai 1978, où il a rappelé que la notion d’exécution du contrat de travail est plus large que celle du travail elle-même, celui-ci renvoyant aux travaux préparatoires de la loi.

La cour examine les éléments de fait, dont il ressort qu’existait dans l’entreprise une pratique permettant aux travailleurs d’emporter du matériel hors d’usage, et ce pour des fins privées et que la victime avait, en l’occurrence, sollicité cette autorisation.

Était d’ailleurs confirmé le fait que, si l’intéressé voulait prendre possession de ce matériel, il devait le faire rapidement. L’autorisation de l’employeur est établie et la cour constate que la thèse de l’assureur selon laquelle il se serait soustrait à l’autorité de l’employeur n’est confirmée par aucun élément du dossier. L’employeur, propriétaire des installations, pouvait très bien autoriser le personnel à emmener du vieux matériel pendant les heures de travail, la cour constatant encore que ceci devait être fait rapidement et que l’intéressé était de service pendant trois nuits consécutives. Ayant l’autorisation de l’employeur, il se trouvait, dans l’exécution de ses tâches, limité dans sa liberté personnelle, en exécution du contrat de travail. D’autres éléments de fait viennent encore confirmer cette appréciation (déclarations).

La cour conclut qu’il n’est pas davantage établi que le temps de travail et l’interruption de travail n’aient pas été utilisés normalement par le travailleur.

Elle réforme dès lors le jugement et ordonne une expertise.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est l’occasion de rappeler la jurisprudence constante de la Cour de cassation et, notamment, le rappel fait par elle dans un arrêt du 9 novembre 2015. Il s’agissait d’un accident survenu lors d’une manifestation sportive, la question posée étant de savoir si, au cours de cette manifestation, il y avait maintien de l’autorité de l’employeur. La cour du travail avait dégagé toute une série d’éléments qui ont été rejetés par la Cour de cassation (personnel pouvant exercer ce type d’activités sportives dans le cadre d’une A.S.B.L. qui était une entité satellite de l’entreprise, ayant pour but de promouvoir les activités culturelles sportives, etc.). La Cour de cassation a cassé cette décision, dans un très bref arrêt, considérant que, par ces constatations, la cour du travail n’a pas légalement justifié sa décision. Elle avait en effet retenu l’existence de l’autorité de l’employeur à partir d’éléments qui n’ont aucun lien avec celle-ci, ces constatations n’ayant d’ailleurs pas trait à la question de savoir si le travailleur avait, en conséquence de son contrat de travail, eu sa liberté personnelle limitée pendant sa participation à cette compétition.


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