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Recours en manquement introduit par la Commission européenne vu un constat d’entrave à la libre circulation

Commentaire de C.J.U.E., 21 janvier 2016, Aff. n° C-515/14 (Commission européenne c/ République de Chypre)

Mis en ligne le lundi 10 octobre 2016


Cour de Justice de l’Union européenne, 21 janvier 2016, Aff. n° C-515/14 (Commission européenne c/ République de Chypre)

Terra Laboris

Par arrêt du 21 janvier 2016, la Cour de Justice de l’Union européenne sanctionne la législation chypriote en matière de pension des fonctionnaires (démissionnaires avant l’âge de 45 ans) au motif que celle-ci est susceptible de freiner, voire de décourager, l’exercice de leur droit à la libre circulation sur le territoire de l’Union européenne.

Rétroactes

La Cour de Justice statue sur un recours en manquement introduit au titre de l’article 258 T.F.U.E. par la Commission européenne contre la République de Chypre. Ce recours est fondé essentiellement sur les articles 45 et 48 T.F.U.E., ainsi que sur l’article 4, § 3, T.U.E.

Le litige est relatif à un aspect du statut des membres de la fonction publique.

Le droit chypriote prévoit en effet que, pour les fonctionnaires âgés de moins de 45 ans, en cas de démission de leur emploi pour exercer une activité professionnelle dans un autre Etat membre, seule une somme forfaitaire est perçue au titre de pension de retraite et les intéressés perdent leurs droits futurs. Par contre, s’ils continuent à exercer une activité professionnelle à Chypre ou s’ils quittent leur emploi dans la fonction publique pour exercer certaines fonctions publiques dans le même Etat membre, ou encore s’ils sont recrutés par un organisme de droit public chypriote, ils conservent leurs droits.

Pour la Commission européenne, cette position désavantage les travailleurs migrants par rapport à ceux qui n’exercent pas leur liberté de circulation. Il y aurait entrave à la libre circulation de ces travailleurs, entrave interdite par l’article 45 T.F.U.E. Le travailleur migrant perd par ailleurs la possibilité de totaliser toutes les périodes d’assurance et ne bénéficie plus de l’unité de carrière voulue par l’article 48 T.F.U.E.

Enfin, pour la Commission, la condition liée à l’âge est susceptible de dissuader des fonctionnaires chypriotes de quitter leurs fonctions pour entrer au service d’une institution de l’Union, situation contraire aux articles 45 T.F.U.E. et 4, § 3, T.U.E.

La République de Chypre considère pour sa part avoir pris des mesures législatives internes suffisantes pour qu’il n’y ait pas une telle entrave. La disposition en cause implique certes la perte d’un avantage, mais non du fait de l’exercice de la libre circulation, cette perte découlant de la décision du travailleur de démissionner et de quitter le régime professionnel de sécurité sociale correspondant.

La décision de la Cour

La Cour rappelle les principes : l’article 48 T.F.U.E. a comme objectif de contribuer à l’établissement d’une liberté de circulation des travailleurs migrants aussi complète que possible. Ceux-ci ne peuvent dès lors perdre de droit à des prestations de sécurité sociale ni subir une réduction de celles-ci en raison du fait qu’ils ont exercé les droits conférés par le Traité.

Il faut, en l’espèce, vérifier la conformité de la législation avec les trois dispositions visées par la Commission.

Le principe de la libre circulation comprend celui d’exercer des activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l’Union. Si des mesures sont de nature à défavoriser ce principe, elles lui sont contraires. Cette liberté de circulation vise notamment celle de quitter l’Etat membre d’origine pour se rendre sur le territoire d’un autre Etat, y séjourner et exercer une activité économique. La jurisprudence à laquelle la Cour renvoie est abondante.

La Cour souligne qu’un déplacement peut certes ne pas être neutre en matière de sécurité sociale, et particulièrement pour ce qui est des prestations de maladie et de pension, la situation de la personne dans un autre Etat-membre pouvant, sur ces points, être plus ou moins avantageuse. Cependant, la règle est que, dans une telle hypothèse, la réglementation nationale ne peut désavantager le travailleur concerné par rapport à ceux qui exercent la totalité de leurs activités dans l’Etat-même. Elle ne peut par ailleurs aboutir à verser des cotisations sociales à fonds perdus.

En l’occurrence, la Cour examine les effets d’une démission avant l’âge de 45 ans, et ce en cas d’exercice d’une activité professionnelle dans un autre Etat membre (ou institution de l’Union, ou encore organisation internationale) et constate effectivement que les droits en cause font l’objet d’un paiement forfaitaire et que les intéressés perdent le droit de voir leur retraite consolidée, liquidée et versée à l’âge normal de celle-ci. Une telle réglementation est dès lors susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice du droit à la libre circulation.

La perte de la prestation de vieillesse dans le cadre du régime national de sécurité sociale en cas d’acceptation d’une activité professionnelle au sein d’une institution de l’Union est également bien réelle et elle constitue une entrave interdite par l’article 45 T.F.U.E. La Cour de Justice rappelle ici le devoir de coopération et d’assistance loyales qui incombe aux Etats membres à l’égard de l’Union, obligation qui trouve son expression dans l’obligation de faciliter à celle-ci l’exercice de sa mission.

La République de Chypre avançant un argument d’ordre économique lié au risque de déséquilibrer le système de sécurité sociale, la Cour rappelle que des motifs de nature purement économique ne peuvent constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction aux libertés fondamentales garanties par le Traité, son arrêt KOHLL (C.J.U.E., 28 avril 1998, Aff. n° C-158/96, Kohll c/ UNION DES CAISSES DE MALADIE) ayant répondu à cette question dans le cadre des dispositions relatives au droit à la liberté de circulation.

Procédant à l’examen des justifications pouvant être avancées par l’Etat membre en cas de mesures dérogatoires aux principes de l’Union, la Cour analyse si la mesure est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci. En l’occurrence, l’entrave n’est pas justifiée.

Elle fait dès lors droit au recours en manquement : la République de Chypre a manqué aux obligations découlant des trois dispositions visées en n’ayant pas abrogé avec effet rétroactif au 1er mai 2004 la condition d’âge figurant dans sa législation.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de Justice devient un « classique » dès lors qu’est constatée une entrave objective à la liberté de circuler et de séjourner dans un autre Etat membre. Une telle mesure peut être justifiée par l’Etat, au regard du droit de l’Union, mais elle doit, dans cette hypothèse, être fondée sur des considérations objectives d’intérêt général. Elle doit également être proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national. Cet examen de proportionnalité porte sur la double composante que la mesure est à la fois apte à la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

Dès lors que la mesure ne résiste pas à cet examen, elle constitue une entrave interdite.

L’on peut encore renvoyer sur la question d’une telle réglementation nationale censurée par la Cour de Justice à l’arrêt MARTENS (C.J.U.E., 26 février 2015, Aff. n° C-359/13, MARTENS c/ MINISTER VAN ONDERWIJS, CULTUUR EN WETENSCHAP) notamment.

L’on notera encore, dans l’arrêt, la référence à la jurisprudence constante de la Cour de Justice, dont les affaires BOSMAN (C.J.U.E, 15 décembre 1995, Aff. n° C-415-93, BOSMAN c/ UNION ROYALE BELGE DES SOCIETES DE FOOTBALL ASSOCIATION A.S.B.L.) et LAS (C.J.U.E., 16 avril 2013, Aff. n° C-202/11, LAS c/ PSA ANTWERP NV).


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