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Procédure informelle en cas de harcèlement : conditions de levée du secret professionnel

Commentaire de Cass., 14 décembre 2015, n° S.12.0052.F

Mis en ligne le vendredi 7 octobre 2016


Cour de cassation, 14 décembre 2015, n° S.12.0052.F

Terra Laboris

Par arrêt du 14 décembre 2015, la Cour de cassation se prononce sur la levée du secret professionnel du conseiller en prévention et de la personne de confiance dans le cadre d’une procédure informelle pour harcèlement, et ce eu égard à un licenciement pour motif grave intervenu sur la base des faits repris dans cette communication.

Rétroactes

Un employé est licencié pour motif grave le 29 juin 2009, l’employeur se fondant notamment sur un rapport remis par le service externe de prévention à l’employé après l’avoir rencontré. Après l’avoir auditionné, la société le licencie. Quelques jours plus tard, celui-ci conteste le licenciement pour motif grave, contestant les faits qui lui étaient reprochés (comportement à connotation sexuelle non désiré). La société tient compte, dans son appréciation de la gravité des faits, de la circonstance que l’intéressé occupe un poste de direction et qu’il a dès lors une influence certaine sur les travailleuses concernées.

Pour la Cour du travail de Liège, qui a statué par arrêt du 25 novembre 2011 en confirmant le motif grave, les déclarations produites suffisent et il n’y a pas lieu de procéder à l’audition des intéressées.

La cour du travail applique l’article 23 de l’arrêté royal du 17 mai 2007, considérant qu’il existe une double procédure, étant d’abord une procédure interne et informelle (articles 21 et 24) et, ensuite, une procédure concrétisée par une plainte (articles 25 et suivants). L’employeur n’est pas averti de la procédure dans la première hypothèse et ne reçoit aucun rapport. Par contre, dès réception de la plainte, il est informé sans délai et le travailleur bénéficie de la protection contre le licenciement.

La loi dispose que tant le conseiller en prévention que la personne de confiance sont tenus au secret professionnel, mais il existe diverses hypothèses (5) dans lesquelles il est dérogé à cette règle et, notamment, celle où le conseiller en prévention et la personne de confiance communiquent les informations qu’ils estiment pertinentes pour le bon déroulement d’une conciliation aux personnes qui y participent (article 32quinquiesdecies, 1°).

La cour conclut à la régularité de la preuve, dans la mesure où l’on se trouve dans le cadre d’une procédure informelle, que les travailleuses ont décidé de mandater la personne de confiance et le conseiller en prévention pour agir afin de faire cesser le harcèlement et que, vu la qualité du supposé harceleur, seul l’administrateur de la société pouvait être contacté. La communication est donc jugée conforme à l’article 23.

Se pose cependant la question de savoir si la transmission des informations n’a pas été détournée de sa finalité. La cour y répond par la négative, considérant que l’on ne peut reprocher à l’auteur de la rupture, en sa qualité d’employeur, d’avoir voulu protéger non seulement les plaignantes mais l’ensemble du personnel féminin susceptible de subir lesdits agissements et d’avoir considéré que la procédure de conciliation n’avait pas lieu d’être initiée.

Le pourvoi

L’employé licencié se pourvoit en cassation, considérant que la preuve a été obtenue en violation de la procédure informelle suivie en cas de plainte pour harcèlement. Il y a, selon lui, violation de l’article 458 du Code pénal, qui s’applique aux conseillers en prévention et aux personnes de confiance. Vu cette violation, le rapport du service externe doit être écarté des débats.

Le pourvoi contient deux moyens.

Dans sa première branche, le premier moyen souligne que, dans le cadre de la procédure informelle de l’arrêté royal du 17 mai 2007 (articles 21 à 24), il n’y a qu’une seule exception à la levée du secret professionnel, qui est celle ci-dessus, et qu’elle est ainsi strictement limitée par sa finalité.

Le moyen considère qu’à ce stade, l’intervention de la ligne hiérarchique est celle d’amiable compositeur et que, même si l’intervenant a également le pouvoir de licencier, ce n’est pas en cette qualité qu’il intervient dans la procédure informelle. Il en déduit que la cour ne pouvait considérer que l’utilisation faite du rapport rentrait dans la procédure des articles 21 à 24.

La seconde branche repose sur les articles 1315 du Code civil, 870 du Code judiciaire et 35 de la loi sur les contrats de travail, étant que le mode de preuve utilisé n’est pas un mode légal permettant d’établir des faits susceptibles de justifier le licenciement pour motif grave.

Un second moyen est également soumis à la Cour de cassation, fondé sur les mêmes dispositions relatives à la preuve ainsi que sur l’article 149 de la Constitution. Il est relatif au fait qui aurait été reconnu lors de l’entretien préalable au licenciement (reconnaissance contestée).

La décision de la cour

La cour répond, sur le premier moyen, dans ses deux branches réunies.

Elle reprend les dispositions de l’arrêté royal relatives à la procédure informelle, rappelant que le conseiller en prévention et la personne de confiance n’agissent qu’avec l’accord du travailleur, qui, s’il ne désire pas s’engager dans cette voie, peut recourir au dépôt de la plainte motivée.

Sur l’article 32quinquiesdecies, alinéa 2, de la loi, la Cour explicite la portée de cette disposition comme autorisant la communication des informations qu’elle vise au membre de la ligne hiérarchique auprès duquel une intervention a lieu afin de rechercher une solution de manière informelle. Cette disposition n’exclut cependant pas que la communication en cause prenne la forme d’un rapport écrit relatant les déclarations du travailleur et elle ne limite pas le pouvoir du membre de la ligne hiérarchique de décider que les faits portés à sa connaissance sont constitutifs d’un motif grave. Elle ne le prive pas davantage du droit d’invoquer, dans l’établissement de ceux-ci, les informations qui ont été communiquées.

La cour du travail a dès lors pu légalement considérer que le secret professionnel n’a pas été violé et que la transmission des informations n’a pas été détournée des finalités de la procédure informelle, le destinataire étant en l’occurrence le seul compétent pour prendre la décision de licenciement à l’égard de l’employé.

La Cour rencontre également de manière succincte le second moyen, qui manque en fait.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de cassation apporte à la procédure informelle une précision importante, statuant dans le cadre de l’arrêté royal du 17 mai 2007 relatif à la prévention de la charge psychosociale occasionnée par le travail, dont la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail.

La question posée, relative au secret professionnel du conseiller en prévention et de la personne de confiance, qui connaît, dans le cadre de la procédure informelle, une exception visée à l’article 32quinquiesdecies, alinéa 2, 1°, vise la communication des informations que le conseiller en prévention et la personne de confiance estiment pertinentes pour le déroulement de l’intervention aux personnes qui y participent. S’il est, dans la décision, fait état d’une conciliation, le texte légal vise « l’intervention ». Il y a dès lors lieu de comprendre ce terme comme visant la conciliation elle-même.

Par ailleurs, comme le relève l’arrêt de la Cour, rien n’interdit à la personne qui d’une part est chargée de l’intervention et d’autre part est la seule compétente pour dénoncer un motif grave de puiser dans ces informations les éléments permettant de licencier sur le champ.

Relevons encore que, dans le cadre de l’examen de la demande d’intervention psychosociale formelle, diverses informations peuvent être communiquées par le conseiller en prévention (article 32quinquiesdecies, 2° à 7°).


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