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Cotisation spéciale de sécurité sociale : règle de prescription

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 février 2016, R.G. 2014/AB/720

Mis en ligne le jeudi 29 septembre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 25 février 2016, R.G. 2014/AB/720

Terra Laboris

Par arrêt du 25 février 2016, la Cour du travail de Bruxelles reprend la jurisprudence des hautes cours nationales eu égard à l’absence de règle de prescription spécifique en matière de recouvrement de cette cotisation, et ce en cas de recours fiscal, recours ayant duré plusieurs années.

Les faits

Un couple de commerçants est en litige avec l’ONEm suite au non-paiement de la cotisation spéciale de sécurité sociale imposée par la loi du 28 décembre 1983 portant des dispositions fiscales et budgétaires.

Cette loi prévoyait l’obligation de payer cette cotisation dès lors que les revenus taxables de l’année 1982 dépassaient le montant de trois millions de francs belges. Un versement anticipé fut fait.

L’année suivante, l’administration fiscale fixa le montant imposable à 4 millions de francs belges environ. En 1985, l’ONEm effectua le calcul de la cotisation définitive. Une réclamation fiscale avait entre-temps été introduite et les intéressés en informèrent l’ONEm.

Suite à une légère diminution du revenu imposable admise par l’administration, un recours fiscal fut introduit et la Cour d’appel de Bruxelles l’accueillit partiellement. Un pourvoi en cassation fut formé mais rejeté. Les revenus définitifs furent dès lors établis en 1990 suite à l’arrêt de la Cour d’appel. Ce n’est que 3 ans plus tard que le fisc transmit ce chiffre à l’ONEm, qui, immédiatement, détermina la cotisation définitive. Restait un solde de l’ordre de 2.700 €, qui ne fut pas payé. Il fut ramené à un montant légèrement inférieur ensuite.

L’ONEm introduisit une procédure en novembre 1994. Celle-ci aboutit à un jugement en date du… 17 juin 2014 !

Appel est interjeté par les intéressés, qui ont été condamnés à payer le principal à majorer des intérêts de retard. Le cours de ceux-ci fut cependant suspendu pour une bonne partie de la procédure en première instance, soit entre 2001 et 2012.

Position des parties devant la cour

Les parties appelantes contestent essentiellement le non-respect des principes d’universalité et d’annuité de l’impôt et concluent à un manquement dans le chef de l’ONEm, qui aurait failli à ses devoirs d’information, n’aurait pas respecté le principe de la sécurité juridique et aurait manqué à son devoir de diligence procédurale.

Quant à l’ONEm, il sollicite la confirmation du jugement.

Position de la cour

La cour reprend en premier lieu le mécanisme de la cotisation spéciale de sécurité sociale, existant depuis la loi du 28 décembre 1983 (précédée elle-même de deux arrêtés royaux relatifs à l’année 1982).

Les recettes issues du paiement de cette cotisation, recouvrée par l’ONEm, sont affectées à l’assurance chômage. L’ONEm est chargé de procéder au recouvrement de celle-ci, au besoin par voie judiciaire. Les administrations fiscales sont tenues de fournir à ce dernier les renseignements nécessaires à l’établissement de la cotisation.

La question spécifiquement posée est relative à l’absence de délai de prescription dans la loi du 28 décembre 1983. La question a donné lieu à diverses décisions de la Cour de cassation, qui a considéré qu’il faut se référer à la prescription de droit commun. La Cour constitutionnelle a également été saisie et, dans plusieurs arrêts (dont C. const., 9 juillet 2009, n° 104/2009 et 12 novembre 2009, n° 177/2009), elle a considéré que la prescription de droit commun portait atteinte de manière disproportionnée aux droits des assurés sociaux. Le dernier de ces arrêts précise qu’il appartient au juge d’appliquer le délai de prescription de 5 ans.

La Cour de cassation a ultérieurement rendu des arrêts, considérant qu’en cas de recours fiscal, le délai de prescription ne prend cours qu’à l’expiration du mois qui suit celui au cours duquel une nouvelle feuille de calcul a été adressée par l’ONEm au redevable de la cotisation sociale. Aussi longtemps que la dette fiscale n’est pas fixée définitivement, il ne peut être procédé au recouvrement. La prescription ne peut dès lors pas courir tant que la créance n’est pas exigible.

La cour renvoie encore à un dernier arrêt de la Cour constitutionnelle du 26 septembre 2013 (C. const., 26 septembre 2013, n° 131/2013), qui s’est prononcé sur le point de départ du délai de prescription, considérant également qu’il y avait violation de la Constitution, vu l’absence de délai raisonnable fixé, celui-ci débutant à la date exécutoire du rôle fiscal.

Elle rencontre ensuite, successivement, les divers arguments des parties appelantes, relevant notamment que la cotisation spéciale n’est pas un impôt et que l’ONEm n’a pas commis de faute dans la gestion administrative du dossier, un certain retard étant certes intervenu, mais attribuable à l’administration fiscale.

La cour considère qu’il faut examiner la question à la lumière de l’arrêt de la Cour constitutionnelle ci-dessus, arrêt dont elle reprend de larges extraits. Elle fait une lecture combinée de celui-ci et de l’arrêt du 12 novembre 2009, concluant que, d’après la Cour constitutionnelle, il appartient ainsi au juge d’appliquer un délai de prescription de 5 ans, et ce à compter de la date exécutoire du rôle fiscal de l’année en cause. En cas de recours fiscal, le délai ne peut par ailleurs commencer qu’au moment où la contestation est terminée. En l’espèce, le délai « raisonnable » a débuté à l’issue de la procédure fiscale, en novembre 1989. L’ONEm a introduit sa procédure dans les 5 ans et le délai raisonnable est respecté.

Reste un dernier point, étant l’accumulation des intérêts, puisque la dette concerne l’année 1982 et que les appelants étaient tenus à l’époque de faire un versement provisionnel sur leur revenu estimé.

Si le tribunal du travail a admis la suspension des intérêts, la cour arrive à une conclusion différente, étant que, dans le cadre d’une procédure civile, chacune des parties dispose des moyens permettant de diligenter celle-ci et que, si l’ONEm n’a pas fait preuve de diligence, les actuels appelants auraient pu eux-mêmes prendre des initiatives à cet égard.

Il y a dès lors condamnation au principal ainsi qu’aux intérêts de retard de 1,25% par mois de 1982 à 1988 et de 0,8% par mois ensuite.

Intérêt de la décision

Dans cette affaire, qui a ainsi duré plus de 30 ans, la Cour du travail de Bruxelles considère qu’il n’y a pas lieu de suspendre les intérêts pendant la procédure judiciaire. La jurisprudence sur la question admet, selon les circonstances, la possibilité d’une telle suspension ou non. Celle-ci n’est cependant pas de droit, même s’il est régulièrement plaidé, dans des procédures qui ne sont pas diligentées, qu’il y a un manquement au droit au « délai raisonnable » de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

La cour a ici rejeté la suspension du cours des intérêts pendant une partie importante de la procédure en première instance vu l’inertie du débiteur.

Un autre intérêt, sur cette matière précise, est le rappel fait par la cour des décisions rendues par les hautes juridictions au fil du temps. Nombreux ont en effet été les recours fondés sur la prescription de l’action de l’ONEm. La lecture des différents arrêts rendus par la Cour constitutionnelle aboutit, comme le relève la cour, à retenir un délai de 5 ans, dont le point de départ est la fin de la procédure fiscale. C’est la fixation du montant des revenus imposables qui doit être prise en compte.


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