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Exercice du droit au congé d’adoption en cas de kafala

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 11 janvier 2016, R.G. 2015/AL/82

Mis en ligne le lundi 26 septembre 2016


Cour du travail de Liège (div. Liège), 11 janvier 2016, R.G. 2015/AL/82

Terra Laboris

Par arrêt du 11 janvier 2016, la Cour du travail de Liège (division Liège) reprend, à partir de l’enseignement de la Cour constitutionnelle à propos de la prime d’adoption, les conditions d’exercice du congé d’adoption, dès lors que l’enfant accueilli dans une famille l’a été via la procédure de kafala et que la procédure d’adoption, selon le droit belge, a été introduite ultérieurement, en-dehors du délai légal de deux mois.

Les faits

M. T. demande l’octroi d’un congé d’adoption pour un enfant qui lui a été confié, à son épouse et lui, en 2006, dans le cadre d’une kafala. Il est arrivé en Belgique à ce moment. Il sera adopté ultérieurement, le jugement prononçant l’adoption datant de février 2008. Pour la période antérieure, il n’a pas de liens familiaux avec la famille qui l’a accueilli.

Une demande de congé d’adoption est alors introduite et la mutuelle y oppose un refus, au motif que, à ce moment (mars 2008), l’enfant est inscrit au registre de la population depuis plus de deux mois. Cette position est confirmée par l’I.N.A.M.I., qui considère que l’intéressé est hors délai, eu égard aux conditions de l’article 30ter de la loi du 3 juillet 1978, qui impose un délai de deux mois après l’inscription de l’enfant dans le ménage du travailleur dans les registres. Il est effectivement constaté que le fils adoptif a été inscrit comme non-apparenté pendant les deux années antérieures. Pour l’I.N.A.M.I., le congé d’adoption devait être pris dans les deux mois de l’inscription, même si l’enfant y était repris comme « non-apparenté ».

Suite au recours introduit devant le Tribunal du travail de Liège, les décisions administratives sont confirmées, le tribunal soulignant qu’un jugement d’adoption n’est pas exigé et que le texte impose que la demande de congé se situe dans le cadre d’une adoption.

L’intéressé interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’appelant considère que le congé d’adoption est étroitement lié à l’adoption elle-même. Il précise qu’il avait fait une demande d’information dès l’arrivée de l’enfant et qu’il lui avait été confirmé verbalement qu’il n’était pas dans les conditions. Sur les conditions de l’article 30bis, il plaide que le délai débute lors de l’inscription de l’enfant comme membre du ménage et qu’interpréter la disposition autrement aboutirait à priver des travailleurs dans sa situation de la possibilité de bénéficier du congé d’adoption, ce qui serait discriminatoire, et ce selon que l’adoption est précédée ou non d’une kafala.

Quant à l’I.N.A.M.I., il maintient que le congé d’adoption peut être pris lorsque l’enfant est accueilli en vue d’une adoption, et ce même avant que celle-ci ne soit finalisée. Sur la finalité du congé d’adoption, il considère qu’il s’agit d’accueillir l’enfant dans la famille et que, dès lors, le congé doit être pris au début de la cohabitation.

Enfin, l’U.N.M.L. s’aligne sur la position de l’I.N.A.M.I.

L’avis du Ministère public

Pour le Ministère public, le droit au congé d’adoption naît au moment de l’introduction de la demande d’adoption, c’est-à-dire lors du dépôt de la requête devant le tribunal de la jeunesse. Quant au congé d’adoption, il doit être pris dans les deux mois qui suivent l’inscription de l’enfant dans le ménage de ses parents.

La décision de la cour

La cour procède à un examen très approfondi de l’article 30ter de la loi du 3 juillet 1978, inséré dans la loi sur les contrats de travail par l’article 293 d’une loi-programme du 9 juillet 2004. Elle examine ensuite les travaux préparatoires, qui ne peuvent cependant apporter les précisions requises.

S’agissant d’une kafala, la cour précise que cette figure juridique a déjà donné « du fil à retordre aux juridictions » et renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 19 juin 2013 (C. const., 19 juin 2013, n° 92/2013), à propos de l’article 73quater des lois relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés. Il s’agissait d’une prime d’adoption et non d’un congé d’adoption, comme en l’espèce, mais les critères retenus par la Cour constitutionnelle sont cependant considérés pertinents pour la solution à donner au présent litige. La Cour y avait examiné la loi marocaine, dans laquelle la kafala ne confère ni droit à la filiation ni à la succession, même si la personne qui assure la kafala a la charge d’entretien, de garde et de protection de l’enfant. Cette procédure de droit marocain est distincte de l’adoption telle qu’organisée par les articles 343 et suivants du Code civil. Dans sa décision, la Cour constitutionnelle avait par conséquent considéré que l’absence de prime d’adoption pour une famille qui accueille un enfant dans le cadre de la kafala n’était pas discriminatoire.

Tout en approuvant cette jurisprudence, la cour du travail considère que ceci ne peut pas être transposé automatiquement au congé d’adoption. L’esprit de l’article 30bis de la loi du 3 juillet 1978 est de lier le congé d’adoption au cadre de l’adoption et à l’accueil de l’enfant. Ceci justifie d’interpréter largement les conditions d’octroi, à savoir que ce congé peut être pris non seulement lorsque l’adoption a eu lieu, mais également dans la phase préalable, à la condition que le but poursuivi soit l’adoption elle-même.

La cour renvoie à un élément du dossier de l’I.N.A.M.I., qui fait état de placements pré-adoptifs ou de placements en vue d’adoption. Le congé doit être pris dans un délai le plus proche possible de l’arrivée de l’enfant dans la famille, afin de « s’apprivoiser mutuellement ».

Dans la mesure où le Maroc ne connaît pas l’adoption (et où la décision de kafala n’autorise pas l’entrée sur le territoire belge par regroupement familial), l’article 361-5 du Code civil permet cependant l’adoption qui fait suite à une telle procédure, à la condition d’avoir respecté les autres dispositions du Code civil (ainsi que le décret de la Communauté française du 31 mars 2004 relatif à l’adoption).

Pour la cour, le droit au congé naît dès lors au moment où l’enfant est effectivement accueilli et il doit être exercé dans les deux mois qui suivent son inscription comme faisant partie du ménage du travailleur, et ce même si le lien de filiation n’est pas encore établi à ce moment.

La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Cette affaire est l’occasion de préciser la portée de l’article 30ter de la loi du 3 juillet 1978, qui permet d’exercer le droit au congé d’adoption dans un délai de deux mois à dater de l’inscription dans les registres de l’enfant adopté. La condition que l’enfant y soit repris comme un membre de la famille (ce qui n’est pas autorisé par la kafala – la loi marocaine ne reconnaissant pas l’adoption) n’est pas une condition fixée par la loi. L’article 30ter doit être interprété comme permettant de fixer, vis-à-vis de l’enfant, une période pendant laquelle les parties vont apprendre à se connaître et, selon l’arrêt, à rythmer leur vie quotidienne. Cette période doit dès lors se situer le plus près possible de l’arrivée de l’enfant et est indépendante, dans ce type d’hypothèse, de l’issue de la procédure d’adoption.


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