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Sanction du non-respect d’une clause de stabilité d’emploi

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 février 2016, R.G. 2014/AB/146

Mis en ligne le vendredi 23 septembre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 16 février 2016, R.G. 2014/AB/146

Terra Laboris

Par arrêt du 16 février 2016, la Cour du travail de Bruxelles examine la sanction à réserver aux conséquences d’un licenciement intervenu en violation d’une clause de stabilité d’emploi et conclut à la perte d’une chance de ne pas être licencié, perte de chance qui doit être indemnisée.

Les faits

Un employé d’une société publique de téléphonie, engagé depuis avril 2010, est en défaut d’atteindre les performances de vente fixées par la société, et ce dès l’année 2011. Un plan d’accompagnement de 3 mois est mis sur pied et des entretiens ont lieu. Suite à une nouvelle évaluation des performances en février 2012, le résultat de l’activité 2011 est considéré comme devant être amélioré. L’intéressé ne marque pas accord avec cette évaluation. Suite à un troisième entretien en mars 2012, il est finalement proposé de le licencier eu égard aux mauvais résultats. Une indemnité compensatoire de 3 mois lui est payée.

Il introduit une procédure devant le tribunal du travail, aux fins d’obtenir une indemnité pour licenciement abusif. L’indemnité est de l’ordre de 24.500 €. Il est débouté de sa demande.

Il interjette appel.

La décision de la cour

La cour examine une clause de garantie d’emploi figurant dans une convention collective d’entreprise, relative aux années 2011 et 2012. Elle réserve des développements fouillés à sa portée et à son application au cas d’espèce.

Son article 2 prévoit que la société garantit l’emploi pour la période entre sa date de signature et la fin de l’année 2012. Il est précisé que cette garantie ne porte pas préjudice à certaines hypothèses de licenciement (mesures disciplinaires, période d’essai négative, motif grave ou encore hypothèse de l’évaluation ou de mauvaises prestations).

La rédaction de la clause est telle que, pour la cour, il y a un droit créé au profit de chaque membre du personnel à ne pas être licencié. Il y a limitation du droit de licenciement et cette clause affecte dès lors les relations individuelles de travail.

Si le licenciement intervient vu l’évaluation ou de mauvaises prestations, la convention prévoit que le licenciement ne peut intervenir que « conformément à la réglementation en vigueur ».

Or, existe au sein de l’entreprise un Règlement concernant les dispositions administratives relatives à l’évaluation des membres du personnel (concernant notamment les vendeurs). Celui-ci prévoit une procédure d’évaluation relative à la période à laquelle cette évaluation doit intervenir (les deux premiers mois de l’année) et déterminant également l’objet de cette évaluation, étant les prestations de l’année civile précédente. Cette évaluation peut donner sept mentions (l’intéressé ayant la mention 6 : « contribution fortement à améliorer »).

Dans cette hypothèse, ainsi que dans le dernier cas (niveau 7 en cas de « peu ou pas de contribution »), il est prévu qu’une formation complémentaire adéquate doit être donnée au travailleur. Par ailleurs, le licenciement n’est prévu que si la mention 7 est attribuée deux fois. La mention 6 n’est pas visée.

Le licenciement intervenu ne peut donc être considéré comme consécutif à l’évaluation ou à de mauvaises prestations, conformément à la réglementation en vigueur au sein de la société. Il en résulte qu’il y a non-respect de la garantie d’emploi contenue dans la convention d’entreprise.

Sur la sanction de cette violation, qui constitue une faute dans le chef de l’employeur, la cour constate qu’aucune précision n’est donnée dans la convention elle-même et qu’il appartient dès lors, en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 6 octobre 1997, Pas., 1997, I, p. 389), au juge de fixer celle-ci, conformément au droit commun.

Si l’indemnité compensatoire de préavis couvre forfaitairement le préjudice subi suite à la rupture, le travailleur qui demande la réparation d’un dommage extraordinaire doit prouver que celui-ci n’est pas une conséquence normale du congé (la cour renvoyant ici notamment à Cass., 26 septembre 2005, J.T.T., 2005, p. 494).

C’est par la théorie de la perte d’une chance que doit être fixée la réparation du préjudice. Il s’agit effectivement d’un préjudice distinct, d’autant qu’aucun autre motif de licenciement n’est avancé par la société. Si celle-ci avait respecté la convention collective, l’intéressé n’aurait en tout cas pas été licencié pendant la durée de validité de celle-ci. La cour constate qu’il s’agit d’une période de près de 8 mois. Le travailleur a fixé son préjudice à l’équivalent de 6 mois et celui-ci est considéré raisonnable.

Le jugement est dès lors réformé.

Intérêt de la décision

La clause de stabilité d’emploi examinée par la cour du travail dans cette affaire était claire quant aux hypothèses où le droit de licenciement était limité.

Elle ne contient cependant pas de sanction, de telle sorte qu’il appartient au juge – ainsi que l’arrêt le reprend de manière explicite – de fixer le préjudice eu égard aux éléments apportés par le travailleur quant à l’existence d’un préjudice distinct de celui couvert forfaitairement par l’indemnité compensatoire de préavis.

Il faut relever dans cette affaire que l’équivalent de 6 mois de rémunération avait été demandé et que, pour la cour, ceci a été considéré comme raisonnable, eu égard au « gel » du droit de licencier pendant les 8 mois postérieurs au congé, hors l’hypothèse reprise dans la convention elle-même.

La cour n’a, dans cette affaire, pas retenu l’existence d’un dommage moral, considérant que la perte d’une chance de conserver son emploi entraîne un préjudice d’ordre principalement matériel. Il peut cependant être renvoyé, sur le préjudice indemnisable, à un autre arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Brux., 18 mars 2014, R.G. 2010/AB/357 – précédemment commenté), où elle a considéré que le dommage pouvait être évalué de manière forfaitaire à l’équivalent de 6 mois, mais que la moitié de l’indemnité représentait un dommage matériel, la chance perdue comportant celle de conserver sa rémunération. Cependant, était également retenu un volet moral, étant l’arrêt brusque d’une longue carrière au sein de la société, au mépris des engagements pris, ainsi qu’un manque total de considération de la part de l’employeur.

Les éléments de fait étaient différents dans la présente espèce, l’ancienneté étant brève et des problèmes de performances étant rapidement apparus.


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