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Test préalable à l’embauche et accident du travail

Commentaire de C. trav. Mons, 8 septembre 2015, R.G. 2014/AM/287

Mis en ligne le lundi 12 septembre 2016


Cour du travail de Mons, 8 septembre 2015, R.G. 2014/AM/287

Terra Laboris

Dans un arrêt du 8 septembre 2015, la Cour du travail de Mons conclut à la non-application de la loi du 10 avril 1971 à propos d’un accident survenu lors d’un « test » préalable à l’embauche d’un travailleur, au motif de l’accord des parties sur l’absence de rémunération.

Les faits

Un accident de circulation (refus de priorité) intervient, impliquant un cyclomoteur et une voiture. Le conducteur de la moto est emmené aux urgences, étant sérieusement blessé. Il présente un polytraumatisme important, ainsi que de nombreuses fractures.

Une expertise médicale intervient en droit commun et un taux de 40% d’invalidité permanente partielle est admis, des répercussions économiques sur le marché du travail étant retenues pour le même taux.

Il s’est avéré que l’intéressé livrait des pizzas au moment des faits et conduisait un cyclomoteur appartenant à une société.

La question qui oppose les parties est de savoir s’il y avait contrat de travail au moment de l’accident.

Pour l’assureur, il s’agissait d’un test préalable à l’embauche.

Une déclaration d’accident du travail a cependant été introduite par la société et l’assureur a, en conséquence, refusé son intervention.

Suite au recours introduit par l’intéressé devant le Tribunal du travail de Tournai, il a été dit pour droit qu’il y avait accident du travail. L’assureur interjette appel.

Position des parties devant la cour

A l’appui de sa thèse, l’assureur fait valoir que le gérant de la société s’était, immédiatement après l’accident, référé à un document signé entre parties, étant un test préalable à l’embauche. Suite au conseil de son agent d’assurances et à l’intervention d’un avocat, la décision fut prise de considérer qu’il n’y avait pas contrat de travail, la convention conclue ne pouvant être assimilée à celui-ci.

Quant à l’intimé, il demande confirmation de la décision du tribunal du travail.

La position de la cour

La cour reprend le champ d’application de la loi du 10 avril 1971. Son article 1er renvoie à la loi du 27 juin 1969 en matière de sécurité sociale et celle-ci dispose, en son article 1er, qu’elle s’applique aux travailleurs et employeurs liés par un contrat de travail. La définition du contrat de travail se trouve quant à elle aux articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978.

Il faut dès lors que celui qui se prévaut de l’existence d’un tel contrat (et qui a donc la charge de la preuve de celui-ci, conformément aux articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire) établisse l’existence de trois éléments : une rémunération, un travail fourni et l’autorité de l’employeur dans l’exécution de celui-ci.

En ce qui concerne les faits eux-mêmes, le travailleur dit qu’il avait rencontré précédemment le gérant et qu’au moment de l’accident, il se trouvait dans l’exécution du contrat en train de livrer des pizzas, et ce sous l’autorité de l’employeur, avec son matériel et moyennant une rémunération sur laquelle il y avait eu accord.

L’absence d’écrit n’a pour lui aucune incidence sur l’existence du contrat lui-même. Il fait également valoir qu’après l’accident, l’employeur a effectué diverses démarches (déclaration Dimona, fiche de paie), démarches qui, pour l’assureur, ne modifient pas la nature des relations de travail au moment de l’accident lui-même, étant qu’il s’était agi à ce moment d’effectuer un test préalable à l’embauche de trois heures, test non rémunéré.

Se pose dès lors la question de la validité de ce test d’embauche. Pour la cour du travail, qui renvoie à la C.C.T. n° 38 du 6 décembre 1983 concernant le recrutement et la sélection des travailleurs, de tels tests et épreuves peuvent être effectués préalablement à l’engagement. Elle cite l’article 16 de cette C.C.T., selon lequel, si la procédure de sélection comprend des travaux productifs au titre d’épreuve pratique, ceux-ci ne peuvent durer plus longtemps qu’il n’est nécessaire pour tester les capacités du candidat. La cour relève que cette C.C.T. n’a pas été rendue obligatoire par arrêté royal.

La cour effectue une distinction entre l’essai – dont elle considère que le but est de vérifier si, effectivement, le travailleur convient à l’emploi offert tant au point de vue des tâches à réaliser que de son insertion dans le milieu du travail – et le test à l’embauche, qui doit permettre de contrôler si le niveau de formation du candidat est suffisant pour satisfaire théoriquement à l’emploi offert.

Elle constate qu’avant l’accident, une convention a été conclue et que celle-ci se réfère à une « procédure de sélection » destinée à vérifier si l’intéressé a les aptitudes suffisantes pour remplir le poste. Les tests visés sont les livraisons de pizzas, la durée du test lui-même étant de trois heures. Il est prévu que son exécution ne donne pas lieu au paiement d’une rémunération et que, par ailleurs, elle ne produit aucun avantage financier pour l’entreprise.

La cour constate que l’accident est survenu pendant la période du test.

A la victime, qui plaide que son niveau de compétence aurait pu être vérifié par un test d’une durée inférieure, la cour rétorque que ceci ne signifie pas nécessairement qu’existait un contrat de travail. Les parties ont en effet confirmé dans la convention écrite qu’il n’y aurait pas de paiement de rémunération, et cet élément est essentiel dans la définition du contrat de travail.

Elle conclut dès lors que la loi ne s’applique pas. Le premier juge ne pouvait prendre en compte les démarches effectuées a posteriori par l’employeur, allant même jusqu’à la signature d’un contrat de travail (non signé par le travailleur).

Elle considère dès lors l’appel fondé.

Intérêt de la décision

Les faits de l’espèce sont particulièrement malheureux et dramatiques, si l’on se réfère aux séquelles qui ont été indemnisées en droit commun.

Sur le plan de l’application de la loi du 10 avril 1971, il n’en demeure pas moins que la cour a pu avoir égard à la circonstance que les parties avaient signé une convention confirmant le caractère très limité du « test », ainsi que, de manière plus fondamentale, l’absence de toute rémunération.

C’est en définitive sans trop se pencher sur la validité du test lui-même, mais par la conclusion que manquait un élément indispensable dans la définition du contrat de travail, que l’arrêt a conclu à la non-application de la loi.

L’on peut cependant rester perplexe sur l’existence d’un test dans une telle situation, d’autant que, dans la convention collective de travail n° 38, l’article 16 auquel il est fait référence figure (article unique) sous un titre « travail à l’essai ». Le but du test en lui-même, étant de vérifier si la prestation avait pour objet de « tester les capacités du candidat », le rapproche par ailleurs très fort de celui de l’essai. Toujours est-il que l’argument de l’absence de rémunération est incontournable.


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