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Accident sur le chemin du travail : notion de résidence

Commentaire de C. trav. Mons, 18 avril 2016, R.G. 2015/AM/101

Mis en ligne le lundi 12 septembre 2016


Cour du travail de Mons, 18 avril 2016, R.G. 2015/AM/101

Terra Laboris

Par arrêt du 18 avril 2016, la Cour du travail de Mons reprend les conditions dans lesquelles un logement (autre que le logement usuel) peut être considéré comme résidence au sens de l’article 8 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail.

Les faits

Un jeune travailleur, domicilié chez ses parents, est victime d’un accident mortel en se rendant au travail, alors qu’il avait passé la nuit au domicile de la mère de sa compagne, et ce dans la même localité.

L’assureur conteste qu’il y ait chemin du travail.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Tournai, qui, par jugement du 24 février 2012, ordonne des enquêtes d’office. Il s’agit, à propos du seul fait côté, d’établir si le jeune homme séjournait régulièrement et habituellement chez son amie, Mlle X, avec qui il entretenait une relation présentant un caractère de stabilité.

Suite aux auditions, le tribunal du travail admet, par un second jugement, en date du 28 novembre 2014, qu’il y avait chemin du travail.

Appel est interjeté par l’assureur.

La décision de la cour

La première question tranchée par la cour du travail est la notion d’accident sur le chemin du travail. Celle-ci met en œuvre trois notions, celle de résidence, celle de lieu d’exécution du travail ainsi que celle de trajet. La loi n’exige pas que le travailleur ait une seule résidence, sous la réserve que la pluralité de résidences ne puisse se réaliser simultanément. Tout lieu où le travailleur séjourne n’est pas nécessairement une résidence. Il faut en outre l’intention d’y fixer son habitation, au moins temporairement. Un critère d’une certaine régularité est exigée, l’habitation de fait pouvant être retenue. Ainsi, le travailleur peut résider pendant certains jours ouvrables chez une personne avec qui il entretient des liens affectifs et peut, par ailleurs, vivre sous le même toit que ses parents, au sens de l’article 20 de la loi.

La cour aborde, ensuite – et très longuement –, la question du respect de la vie privée. En effet, l’assureur a fait procéder à un rapport par un détective privé, dans lequel figure une déclaration dactylographiée émanant de la compagne de la victime (par ailleurs entendue dans le cadre des enquêtes), et affirmant ici que son ami avait passé la nuit en sa compagnie à titre exceptionnel.

Dans son rappel des principes, la cour renvoie au prescrit de l’article 8 de la C.E.D.H., en vertu duquel il est interdit de s’immiscer dans la sphère privée des individus. Cette disposition produit des effets directs dans l’ordre juridique interne (la cour renvoyant notamment à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 1985 (Cass., 10 mai 1985, n° 4.273). Elle reprend, ensuite, les principes dégagés par la jurisprudence ANTIGONE et MANON (de même que par l’arrêt LEE DAVIES de la Cr.E.D.H. du 28 juillet 2009, Req. 18704/05) relative à la régularité de la preuve et à l’incidence de la preuve irrégulièrement recueillie sur le procès équitable. Elle renvoie également à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2008 (Cass., 10 mars 2008, n° S.07.0073.N), qui a admis l’application des principes dégagés dans la jurisprudence ANTIGONE à la matière du chômage, et relève que la Cour de cassation n’a pas restreint cette jurisprudence au contentieux pénal ainsi qu’à celui de la sécurité sociale, où sont constatées des infractions pénales, mais qu’elle concerne les litiges civils, dont ceux en matière d’accident du travail.

Un rapport de détective privé n’a pas une force probante authentique et il ne constitue pas à lui seul un mode de preuve irréfutable. C’est un commencement de preuve ou une présomption de fait. Au sens de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel, le rapport rédigé par le détective privé constitue un traitement de données à caractère personnel, sauf s’il n’y a pas recours à l’utilisation de l’informatique.

La cour relève les obligations d’informations plurielles mises à charge du responsable du traitement, en vertu de l’article 9, § 1er, de la loi, étant l’obligation de fournir à la personne concernée auprès de laquelle il a obtenu les données la concernant et, au plus tard, au moment où ces données sont obtenues, diverses informations (dont les références du responsable du traitement, les finalités de ce traitement, l’existence du droit de s’y opposer, ainsi que d’autres informations supplémentaires). Cette disposition d’une part est assortie d’une sanction pénale et, d’autre part, est d’ordre public. Le rapport du détective privé peut dès lors être écarté si la loi n’est pas respectée.

Elle souligne en l’espèce le caractère discordant des déclarations de la compagne de la victime, étant que, dans le cadre des enquêtes, où elle a été entendue, elle a déclaré qu’elle avait avec lui une relation stable et qu’ils avaient l’intention d’emménager ensemble dans une maison qu’elle avait fait construire. Dans le cadre de ces enquêtes, elle a par ailleurs été amenée à relire la déclaration figurant dans le rapport du détective privé, déclaration qui lui était imputée et qu’elle avait effectivement signée. Elle a dit ne plus se souvenir de cette visite et ne plus pouvoir préciser dans quel contexte elle avait été interrogée par cet inspecteur.

La cour relève que l’assureur – qui met en doute les déclarations de la jeune femme – n’a pas sollicité d’enquêtes contraires alors qu’il aurait pu ainsi asseoir sa thèse.

Par ailleurs, le rapport d’inspection lui-même doit être écarté, sur la base de l’article 9, § 1er, de la loi du 8 décembre 1992 ci-dessus, étant que n’est pas apportée la preuve de l’information exigée, et ce vis-à-vis de la jeune femme. Ce vice porte atteinte au droit à un procès équitable et la cour relève que le non-respect des formalités exigées par l’article 9 n’est pas une irrégularité purement formelle, celui-ci ayant gravement mis en péril le droit à la vie privée de la personne et étant par ailleurs de nature à obtenir une déclaration susceptible d’être orientée (intervenant très peu de temps après le décès de l’intéressé). Elle relève également une violation du droit de défense tant du témoin que des parents, parties intimées.

La cour confirme, en conséquence, le jugement sur l’application de la loi, ordonnant cependant la réouverture des débats pour la poursuite de la discussion.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons aborde deux points de droit distincts, étant d’une part la très délicate question de la résidence, dans la mesure où la loi exige (et la jurisprudence constante le rappelle) que, pour qu’il y ait résidence, il faut qu’il y ait une certaine régularité d’occupation du lieu et le travailleur doit avoir eu l’intention de s’y fixer, même temporairement. Si le point de départ du chemin parcouru pour aller au travail est un lieu purement occasionnel, ne permettant pas de retenir cette notion de régularité, la loi ne pourra s’appliquer. L’on peut ici rappeler notamment un jugement du Tribunal du travail de Charleroi du 24 septembre 2008 (R.G. 06/179.355/A – précédemment commenté),

Par ailleurs, si le recours à un détective privé n’est pas exclu, dans ces matières, et qu’il a même été rappelé par la Cour européenne des Droits de l’Homme dans son arrêt du 27 mai 2014 (DE LA FLOR CABRERA / ESPAGNE, Req. n° 10.764/09), la loi du 9 décembre 1992 contient des garanties importantes en ce qui concerne le traitement des données personnelles, et la cour a, à juste titre, rappelé qu’il s’agit d’une disposition d’ordre public et assortie de sanction pénale.


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