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Maladies professionnelles : des précisions sur la réparation en cas de carrière mixte

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 22 avril 2016, R.G. 2010/AL/660

Mis en ligne le mercredi 17 août 2016


Cour du travail de Liège (division Liège), 22 avril 2016, R.G. 2010/AL/660

Terra Laboris

Dans un arrêt du 22 avril 2016, statuant sur un incident d’expertise lié au libellé d’une mission d’expertise décidée dans un arrêt précédent, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle le dispositif des articles 48quater des lois coordonnées le 3 juin 1970 et 20quinquies de la loi du 3 juillet 1967, soulignant qu’il faut examiner l’évolution de l’exposition au risque au cours de l’ensemble de la carrière professionnelle de l’intéressé.

Les faits

Un chauffeur de bus sollicite la reconnaissance d’une maladie professionnelle. Il a une carrière mixte, dans une société publique d’abord et, ensuite, vu la reprise de celle-ci par le TEC, dans le secteur privé.

Se pose la question de savoir quelle est la dernière exposition au risque (vibrations mécaniques) pendant la carrière professionnelle de l’intéressé, qui a duré 24 ans (de 1978 à 1992), celui-ci bénéficiant des indemnités AMI depuis.

La question juridique posée

C’est essentiellement sur l’identification de l’organisme appelé à la cause et devant indemniser l’intéressé que se portent les débats. Le travailleur a en effet introduit sa demande à la fois contre le Fonds des Maladies Professionnelles et la société publique.

Le siège de la matière est l’article 48quater des lois coordonnées le 3 juin 1970 (secteur privé) et l’article 20quinquies de la loi du 3 juillet 1967 (secteur public). Le texte de ces dispositions est identique en cas de carrière mixte, étant que la totalité de la réparation est accordée exclusivement sur la base d’une législation, à savoir celle de la dernière exposition au risque professionnel, et ce avant la demande.

L’arrêt du 10 octobre 2014

Cet arrêt ordonne une expertise, dont la première mission est de déterminer si l’intéressé est ou non atteint de la maladie. Dans l’affirmative, l’expert est ensuite chargé de donner un avis sur la dernière exposition avant la demande de réparation introduite en 1998. La durée sur laquelle doit porter l’examen de l’exposition est l’ensemble de la carrière professionnelle, dans laquelle il est demandé à l’expert de distinguer deux périodes, étant que, pour la première partie, correspondant à la période d’occupation dans le secteur public, de dire s’il peut être exclu, avec le plus grand degré de certitude que permettent les connaissances médicales actuelles, qu’il y a eu exposition au risque professionnel. Dans l’hypothèse où il ne serait pas répondu affirmativement à cette question, étant qu’il y a eu exposition pendant la première partie de la carrière, si, compte tenu de cette exposition, il peut être considéré comme établi qu’il a encore été exposé à ce risque ultérieurement, et ce de de manière suffisante en durée, fréquence et intensité.

Les points suivants de la mission sont plus classiques, étant relatifs aux points habituels d’une mission d’expertise en la matière.

Déroulement de l’expertise

Les opérations d’expertise ne se déroulent pas sans encombre, les parties s’opposant quant au libellé de la mission. La cour est dès lors saisie sur pied de l’article 973 du Code judiciaire.

L’arrêt du 22 avril 2016

La cour reprend les principes, étant que le législateur (tant pour le secteur privé tant que pour le secteur public) a établi une règle simple dans son principe. Cependant, le mode probatoire dans chacun des secteurs est distinct et le régime applicable doit être celui sous lequel la victime a connu sa dernière exposition au risque professionnel.

Ce risque étant à caractère évolutif, la cour considère qu’il faut tenir compte de l’ensemble de la carrière professionnelle, l’intensité, la fréquence et la durée de l’exposition pouvant avoir varié au fil du temps.

Sur le plan de la charge de la preuve, la présomption existant dans le secteur public n’est limitée qu’à celui-ci, de telle sorte que, pour la première partie de la carrière, l’intéressé bénéficie de cette présomption, mais qu’il supporte la charge de la preuve de l’exposition au risque pour les années passées dans le secteur privé.

Pour la cour, il faut dès lors tenir compte non seulement de la différence dans les règles de preuve, mais également de la nécessité d’une appréciation globale de l’ensemble de la carrière du travailleur.

Elle dégage, à partir des situations possibles en cas de carrière mixte, six hypothèses.

S’il n’y a pas eu d’exposition suffisante dans le secteur public, la présomption légale est renversée et, si l’intéressé ne prouve pas cette exposition dans le secteur privé, aucune indemnisation n’est due.

Un deuxième cas vise l’hypothèse où l’exposition est démontrée dans les deux secteurs : la présomption existant dans le secteur public n’est pas renversée et la preuve de l’exposition est quant à elle apportée pour le secteur privé. Ici, c’est la dernière exposition avant la demande qui va déterminer l’organisme compétent, soit en l’occurrence le F.M.P.

La cour voit ensuite deux autres hypothèses, qu’elle qualifie d’intermédiaires, étant d’une part l’exposition acquise dans le secteur public et une absence totale d’exposition dans le secteur privé – hypothèse dans laquelle il faut renvoyer à l’article 20quinquies de la loi du 3 juillet 1967 et celle de l’exposition non acquise dans le secteur public, mais établie dans le secteur privé (pour laquelle il faut appliquer l’article 48quater des lois coordonnées le 3 juin 1970).

Tenant par ailleurs compte du caractère évolutif de la maladie, la cour relève que, contrairement à l’accident du travail, la maladie professionnelle requiert une évaluation globale de l’exposition pendant toute la carrière professionnelle, ce qui amène à deux autres hypothèses. Si la présomption n’est pas renversée pour l’occupation dans le secteur public et qu’il y a eu exposition complémentaire (même partielle ou plus réduite en fréquence, durée et intensité) ayant contribué à l’aggravation de la pathologie, c’est la dernière exposition qui va désigner le régime de la réparation (régime privé). Enfin, si la dose suffisante d’exposition n’est atteinte que la seconde partie de la carrière (secteur privé), et ce même si elle n’a ici été que partielle et contribué à affirmer l’effet nocif de l’exposition, c’est encore l’article 48quater qui doit être appliqué. La victime a en effet été exposée en dernier lieu avant l’introduction de la demande au risque professionnel dans le secteur privé.

La conclusion de la cour est qu’il faut donc apprécier la condition d’exposition sur l’ensemble de la carrière et que le critère de la dernière exposition est une condition nécessaire mais suffisante pour déterminer le régime applicable. L’expert est dès lors chargé de déterminer à quelle hypothèse il faut se référer pour la suite de l’instruction de l’affaire.

Intérêt de la décision

La conclusion à laquelle aboutit l’arrêt de la Cour du travail de Liège est classique, puisqu’il s’agit de déterminer, en cas de carrière mixte, les règles de réparation de la maladie professionnelle. La totalité de celles-ci est accordée exclusivement sur la base de la législation sous laquelle la victime a été exposée en dernier lieu au risque professionnel, et ce avant l’introduction de la demande.

Dans cet arrêt, la cour – qui a rappelé la mission initialement confiée à l’expert, avec les différences de position que ce libellé a pu induire auprès des différentes parties – reprend une méthodologie claire, détaillant les hypothèses diverses dans lesquelles l’on peut se trouver. La mission de l’expert est dès lors adaptée, tenant compte de l’exigence de déterminer s’il y a maladie ostéo-articulaire due aux vibrations mécaniques (au sens de la liste) prenant en considération l’évolution de l’exposition au cours de l’ensemble de la carrière professionnelle de l’intéressé.


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