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Harcèlement au travail : conditions de l’action en cessation

Commentaire de Prés. Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 1er avril 2016, R.G. 16/958/A

Mis en ligne le vendredi 24 juin 2016


Prés. Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 1er avril 2016, R.G. 16/958/A

Terra Laboris

Dans une ordonnance du 1er avril 2016, le Tribunal du travail du Hainaut (div. Charleroi) reprend les conditions de l’action en cessation de faits de harcèlement au travail, après avoir constaté l’existence de comportements de l’employeur n’ayant pas de justification objective et ayant entraîné des séquelles physiques et psychologiques chez le travailleur.

Les faits

Un informaticien, chargé notamment de la conception et de l’entretien du site internet de deux sociétés appartenant à un même groupe et dirigées par un même responsable, connaît des difficultés dans l’exécution de son contrat de travail, six ans après son entrée en fonction. Des incidents l’opposent à l’administrateur général, sur divers éléments contractuels (réduction de frais de déplacement, questions diverses au niveau informatique,…). Il apparaît également que l’intéressé a posté une annonce de recherche d’un nouvel emploi sur un site professionnel.

La situation aboutit à une période d’incapacité de travail, qui va durer six mois et demi. Au début de celle-ci, il entame une procédure de plainte informelle, mais celle-ci n’aboutit pas.

Quelques jours avant la reprise du travail, il met en œuvre une procédure de plainte formelle.

La reprise se passe mal (mauvais accueil). Surtout, le travailleur constate qu’il est isolé dans un autre bureau que celui où il était occupé précédemment. Il est en effet coupé de ses collègues et privé de petit matériel de bureau, a reçu un ordinateur qui ne correspond pas aux besoins de sa fonction et a été affecté à des tâches d’encodage, etc. Il s’est, par ailleurs, vu interdire d’adresser la parole à ses collègues.

La situation perdurant, il entame, trois semaines plus tard, une procédure devant le Président du tribunal du travail aux fins d’obtenir la cessation des mesures de harcèlement dont il se considère victime.

La décision du Président du tribunal

Sur la recevabilité, le Président du tribunal constate que l’action est dirigée contre celui qui exerce les fonctions et pouvoirs de l’employeur. Elle est dès lors recevable, ayant par ailleurs respecté les autres conditions de l’article 32decies de la loi du 4 août 1996.

Sur le fondement de la demande, le Président rappelle qu’il lui appartient, en vertu de la même disposition (§ 2), de constater l’existence des faits de harcèlement et, ensuite, d’en ordonner la cessation, dans un délai qu’il fixe, et ce même si les faits sont pénalement réprimés.

Les faits visés ne peuvent cependant être que ceux en cours, au moment où l’injonction est donnée d’y mettre fin. Aux faits en cours, s’ajoute également une autre catégorie de faits, étant ceux susceptibles de se reproduire à l’avenir.

Il faut dès lors écarter les faits précédant la reprise du travail, qui peuvent, néanmoins, recevoir la qualification de harcèlement, mais ce dans le cadre de l’instruction de la plainte formelle.

L’examen doit dès lors porter sur les nouvelles conditions de travail, depuis la reprise. Le Président du tribunal constate que, au moment où il statue, l’intéressé est retombé en incapacité de travail.

Il examine dès lors les faits reprochés à l’employeur.

Il s’agit essentiellement de l’isolement dans un nouveau bureau, au fond d’un couloir, du fait d’être coupé de tout contact avec ses collègues et autres questions annexes vues ci-dessus (matériel, outils informatiques, tâches d’encodage, etc.). Pour l’employeur, le bureau qui a été alloué à l’intéressé serait par contre « l’un des plus beaux bureaux de l’entreprise », situé à plus de 25 mètres du sien.

Le Président du tribunal constate cependant qu’aucune justification n’est apportée quant aux raisons du transfert géographique et du plus grand isolement de l’intéressé, le fait que celui-ci conserverait la possibilité de discuter avec ses collègues et d’avoir un téléphone interne étant cependant constaté.

A ce stade de son analyse du dossier, le Président reprend la définition du harcèlement, au sens de l’article 32ter de la loi sur le bien-être (telle que complétée par celle du 28 février 2014). Il n’est pas aisé de distinguer une situation de harcèlement moral d’un conflit de personnes et, à cette fin, il faut identifier les agissements répétés de harcèlement. Il rappelle en substance que l’on rencontre, parmi ces manifestations, des marques d’hostilité à l’encontre de la personne, la mise sous pression de celle-ci, son isolement ou le fait de porter sur elle le discrédit. Il constate ensuite qu’une personne victime de harcèlement présente des symptômes connus : un très grand malaise, une peur, une incompréhension, etc., et que des symptômes physiques et psychiques apparaissent, entraînant une dépression, des angoisses, des maux de ventre, ou encore la prise de médicaments ou d’alcool, etc. Il s’agit d’une déstabilisation de la personne, qui débouche d’ailleurs souvent sur son départ de l’entreprise. Le tribunal renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 19 août 2008 (C. trav. Brux., 19 août 2008, J.T., 2008, p. 586).

Il appartient dès lors à la personne qui introduit une action en justice d’établir des faits constitutifs d’un commencement de preuve des griefs. Une fois les faits établis par le plaignant, la partie à laquelle ils sont imputés doit renverser le caractère de harcèlement moral qui leur serait attribué. Un ensemble de faits sont relevés, relatifs au litige, notamment la plainte, des instructions données, des attestations de témoins, des photos du bureau,… Le demandeur dépose également un dossier médical circonstancié relatant ses souffrances, ainsi que les soins et thérapies reçus dans les derniers mois.

Il y a dès lors commencement de preuve au sens légal. Le défendeur doit en conséquence prouver qu’il ne s’agit pas de harcèlement. Il se borne à produire quelques déclarations écrites de membres du personnel, dont il ressort que l’intéressé aurait encore eu des relations verbales avec eux et que le bureau est effectivement l’un des plus beaux.

Pour le tribunal, ceci n’est pas suffisant. Il constate l’absence de toute justification objective à la fois du déplacement de l’intéressé en-dehors de son environnement habituel de travail et de son isolement de ses collègues directs. Ces mesures apparaissent comme étant arbitraires, à savoir vexatoires ou abusives et dépassant l’exercice normal de l’autorité par l’employeur. Il examine également les séquelles sur le plan médical, étant une décompensation physique et psychologique, des troubles du sommeil, etc., l’ensemble étant attribué par le médecin aux conditions de travail.

Il y a dès lors eu des conduites abusives, qui ont porté atteinte à l’intégrité physique et psychique de l’intéressé, créant un environnement intimidant, hostile, dégradant ou humiliant.

Il est encore relevé qu’en modifiant les conditions de travail, l’employeur n’a pas respecté l’article 32tredecies de la loi, qui interdit une telle modification à l’égard d’un travailleur qui a déposé une plainte formelle.

Le Président du tribunal fait dès lors droit à la demande et ordonne la cessation de toute conduite abusive constitutive de harcèlement moral, étant de réintégrer l’intéressé en son bureau initial et de lui confier les tâches et missions conformes. Une mesure de publicité est également ordonnée, consistant en l’affichage de l’ordonnance à un endroit visible de l’entreprise pendant quinze jours.

Intérêt de la décision

Les circonstances de fait peuvent paraître banales, à première vue. Elles ne le sont cependant pas.

L’ordonnance relève l’enchaînement des événements, les incidents ayant émaillé les relations professionnelles depuis plusieurs mois et ayant abouti à une mise en incapacité de travail de longue durée. L’intérêt particulier de l’ordonnance est, après avoir rappelé la définition actuelle du harcèlement, d’avoir relevé, à partir des premiers éléments donnés par le travailleur, qu’il n’y avait pas de justification objective aux mesures prises par l’employeur et que, de ce fait, celles-ci dépassaient l’exercice normal de l’autorité patronale.

Les séquelles physiques et psychologiques de faits de harcèlement étant par ailleurs connues et étant d’ailleurs ici rappelées en substance, le tribunal constate qu’ils sont présents dans le cas d’espèce et que, dès lors, la définition légale du harcèlement se trouve présente, s’agissant de conduites abusives qui ont porté atteinte à l’intégrité physique et psychique du travailleur et ont créé un environnement intimidant, hostile, dégradant ou humiliant à l’égard de ce dernier.


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