Terralaboris asbl

Lien de subordination : éléments révélateurs de l’existence de l’autorité patronale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 mai 2007, R.G. 40.676

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles – 2 mai 2007 – R.G. N° 40.676

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 2 mai 2007, rendu dans un cas d’espèce, la Cour du travail de Bruxelles a précisé les critères permettant de révéler l’existence d’un lien de subordination dans une relation contractuelle.

Les faits

L’ONSS sollicitait la condamnation d’une société (sprl) de comptabilité à payer des cotisations de sécurité sociale pour une dame D. qui avait été à son service depuis 1993.

Il assigna en 1999 et par jugement du 28 septembre 2000, rendu sur avis conforme du Ministère public, le tribunal déclara la demande recevable mais non fondée.

La position des parties devant la Cour

L’ONSS interjeta appel, aux motifs suivants :

  • il était établi que l’intéressée consacrait toute son activité professionnelle à la société, ou à tout le moins qu’elle n’en n’avait pas d’autre qui soit significative – même si elle avait peut-être quelques autres clients ;
  • de même elle travaillait essentiellement au bureau ;
  • de même qu’en clientèle, traitait les dossiers comme comptable de la même manière qu’un responsable de la société, se déplaçait avec sa voiture, ne bénéficiait pas de frais de déplacement, avait un ordinateur portable personnel (acquisition faite toutefois en lien étroit avec la société) et avait une formation moindre que les responsable de celle-ci, e qui expliquait qu’elle était en charge de dossiers moins importants.

Pour l’ONSS, l’on ne pouvait suivre le premier juge lorsqu’il avait considéré que le comptable qui consacre l’essentiel de son activité professionnelle à une société de comptabilité pour laquelle il traite des dossiers dans leur ensemble – même s’il s’agit de dossiers plus simples que ceux pris en charge par les dirigeants experts-comptables et même s’il n’a pas la même qualification que ceux-ci – peut travailler comme indépendant, dès lors que les directives relative au contenu et à l’organisation même de la prestation ne sont pas établies. Le premier juge avait également considéré le fait pour un commettant de distribuer des dossiers ne constitue pas en soi la preuve de l’autorité de l’employeur et que cette répartition peut s’exercer par les nécessités de l’organisation du travail.

Pour l’ONSS, le principe énoncé par le tribunal n’était pas applicable en l’espèce, dans la mesure où la dame D. n’était pas comptable. Il exposait ainsi la situation professionnelle de l’intéressée qui est la suivante :

Le début de la relation

Il s’avérait que, avant d’être engagée, l’intéressée était au chômage et qu’elle avait été mise en contact avec le bureau de comptabilité par le biais de l’ONEm.

La fonction

La dame D. définissait son horaire comme régulier, précisait qu’elle devait demander au gérant l’autorisation de prendre congé, ne signait rien personnellement, était téléphoniste, avait reçu une formation dans la mesure où son expérience en comptabilité était limitée et recevait les instructions des gérants successifs, ce qui était confirmé par un de ceux-ci.

La rémunération

Les factures remises par la dame D. faisaient état d’un fixe de 80.000 BEF, avec une réduction occasionnelle au motif d’absence pour vacances.
Sur la base essentiellement de ces considérations, l’ONSS sollicitait la réformation du jugement.
La sprl, quant à elle, en demandait la confirmation et, à titre subsidiaire, demandait la suspension du cours des intérêts légaux pendant une période de plus de 4 ans, pendant laquelle l’ONSS n’avait pas diligenté la procédure.

La position de la Cour

La Cour, comme à son habitude, rappelle clairement les principes tels que dégagés dans les arrêts de la Cour de cassation des 23 décembre 2002 et 28 avril 2003 : lorsque les parties ont qualifié leur convention, le juge du fond ne peut y substituer une qualification différente lorsque les éléments soumis à son appréciation ne permettent pas d’exclure la qualification qui avait été donnée par les parties. Elle évoque également la jurisprudence plus récente, étant les arrêts des 8 décembre 2003 et du 3 mai 2004 (l’ensemble étant disponible sur le site de la Cour de cassation).

La Cour va alors procéder à un examen des données de fait, constatant assez rapidement que les éléments soumis à son appréciation ne correspondant pas à la qualification donnée par la dame D. et la sprl à leurs relations contractuelles.

Elle procède en deux temps et considère, en premier lieu, que si certains éléments (tels que le fait de travailler avec son propre ordinateur chez soi, le fait de circuler avec son véhicule) peuvent faire penser à l’exercice d’un contrat d’entreprise, l’ensemble des éléments relatifs aux conditions de travail laisse clairement apparaître qu’elle prestait sous l’autorité des gérants de la société.

La Cour reprend les déclarations de l’intéressé, qui avait défini son horaire, la question des congés pour lesquels elle devait demander l’autorisation, le contenu des fonctions, l’obligation de demander des autorisations aux gérants, ainsi que – et ce point est important – la formation qui a été donnée par le gérant en comptabilité. Elle soulignait également qu’elle avait reçu des remarques pour des petites erreurs dans son travail et enfin, que le gérant l’envoyait en cas d’urgence en priorité chez certains clients. Le gérant confirmait les dires de l’intéressée en ce qui concerne l’activité de téléphoniste, le fait qu’il lui donnait des indications (indications sur son travail), restait en sus, le fixe mensuel facturé.

La Cour en retient que sur la base de ces déclarations – non valablement contredites – qu’existait dans le dossier, un série d’éléments révélateurs de l’existence d’un lien de subordination, à savoir,

  • l’acquisition par le travailleur d’une formation donnée par « l’employeur » ;
  • une rémunération fixe déterminée par la société, rémunération limitée dans certaines circonstances, mis ce de manière unilatérale ;
  • l’absence de rémunération de « heures supplémentaires » ;
  • un horaire sinon fixe en tout cas régulier ;
  • l’absence d’initiative dans le chef du travailleur ;
  • les indications données par la société sur la clientèle à visiter ;
  • ainsi que l’obligation de respecter les directives du gérant et également le fait de recevoir des remarques.

Sur la base de l’ensemble de ces critères, constatés comme existants en l’espèce, la Cour considère que l’appel était fondé et qu’il y avait contrat de travail.

Sur le chef de demande relative à la suspension des intérêts, la Cour rappelle qu’elle ne peut accéder à cette demande que dans l’hypothèse où la durée anormale de la procédure est imputable à la partie qui postule la condamnation au paiement d’intérêts et qu’il ressort des éléments de l’affaire que tel n’est pas le cas.

Intérêt de la décision

L’intérêt de cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est de redéfinir, dans une hypothèse très fréquente de relations contractuelles d’employés / collaborateurs indépendants les critères permettant de faire le partage entre l’un et l’autre statut.


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