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Evaluation de l’aide de tiers en accident du travail : un important arrêt de la Cour de cassation

Commentaire de Cass., 23 novembre 2015, n° S.13.0016.N

Mis en ligne le jeudi 26 mai 2016


Cour de cassation, 23 novembre 2015, n° S.13.0016.N

Terra Laboris

Par arrêt du 23 novembre 2015, la Cour de cassation met fin à une discussion récurrente relative à l’évaluation de l’aide de tiers : aucun critère n’est fixé dans la loi en ce qui concerne le calcul de cette indemnité complémentaire, le juge ayant le pouvoir de décider du montant à allouer, et ce à l’intérieur des limites déterminées par la loi (soit le R.M.M.M.G).

Rétroactes

La Cour est saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Gand (Section Bruges) du 13 septembre 2012 rendu dans un cas d’application de l’article 24, 4e alinéa de la loi sur les accidents du travail.

Le texte de cette partie de la disposition prévoit que, si son état exige absolument l’assistance régulière d’une autre personne, la victime peut prétendre à une allocation annuelle complémentaire, fixée en fonction du degré de nécessité de cette assistance sur la base du revenu minimum mensuel moyen garanti applicable au moment où l’incapacité a présenté le caractère de la permanence (le taux du R.M.M.M.G. retenu étant celui du travailleur à temps plein, âgé d’au moins 21 ans et demi et ayant au moins six mois d’ancienneté). Il est également prévu que le montant annuel de cette allocation complémentaire ne peut dépasser le montant dudit revenu minimum mensuel moyen garanti multiplié par douze.

La décision de la Cour du travail de Gand

Dans son arrêt, la cour du travail avait admis que le coût d’une administration provisoire pour une période de plus de six ans pouvait être qualifié d’aide de tiers au sens de cette disposition et qu’il devait être pris en charge sur la base du coût réel exposé. La cour du travail avait considéré que le caractère forfaitaire de l’indemnité d’aide de tiers ne fait pas obstacle à un examen concret du besoin d’aide et que, notamment, celle-ci était destinée à couvrir des frais réels. La cour s’était fondée sur les travaux préparatoires de la loi, selon lesquels il faut partir du principe de la couverture totale des coûts aux fins d’améliorer la prise en charge effective en fonction des besoins réels. Les travaux préparatoires soulignaient encore que le système applicable jusque-là prévoyait que l’indemnité était limitée en fonction du degré de nécessité de l’aide, avec un montant maximum. L’évaluation de l’aide de tiers pouvait se faire sur la base d’une évaluation chiffrée concrète mais à l’intérieur des limites préétablies. La Cour de cassation l’avait d’ailleurs confirmé dans un arrêt du 10 juin 1991 (Cass., 10 juin 1991, R.G. 7413). Il n’est pas indiqué dans la loi - et ce n’est d’ailleurs pas l’intention du législateur - que le besoin en aide de tiers doit se voir affecter un pourcentage entre zéro et cent, celui-ci devant trouver sa traduction dans le montant maximum fixé.

Le pourvoi

Le pourvoi rappelle que le texte actuel de l’article 24, 4e alinéa de la loi est issu d’une modification législative intervenue par la loi-programme du 22 décembre 1989 (art. 38). Il considère que la nouvelle disposition n’affecte en rien l’idée de départ d’une évaluation forfaitaire de l’indemnité, le but du législateur n’étant pas de procéder à une évaluation en fonction du coût réel de l’aide ou en fonction de la durée de celle-ci mais qu’il a visé une indemnité forfaitaire en fonction de la nécessité de cette aide. Le but était, dans ce cadre, de faire abstraction de toute référence au coût réel ou à la durée de l’aide. Il considère que l’article 24 dans son libellé actuel doit donc être interprété dans le sens que la victime a droit à une indemnité annuelle complémentaire en fonction de la nécessité ou du besoin de cette aide et non en un remboursement soit-il partiel ou forfaitaire de l’aide réelle accordée. L’indemnisation ne dépend pas de la nature, des modalités, de l’efficacité ou de la qualité de l’aide en cause.

En ce qui concerne la jurisprudence de la Cour de cassation dans son arrêt du 10 juin 1991, le pourvoi souligne que celle-ci date d’avant la modification légale. Le pourvoi se fonde sur la doctrine, dont P. PALSTERMAN (P. PALSTERMAN, « L’indemnisation de l’aide de tiers dans la législation des accidents du travail », in J. BAUTHIER (Ed.), Justice et dommage corporel. Panorama du handicap au travers des systèmes d’aide et de réparation, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 76), selon lequel la victime a droit à une indemnité en fonction du « besoin » d’aide et non pas à un remboursement, fut-il partiel ou forfaitaire, d’une aide effectivement apportée.

Décision de la Cour

La Cour rejette le pourvoi, énonçant qu’il ressort des paragraphes 4 et 5 de l’article 24 que pour la fixation de l’indemnité complémentaire d’aide de tiers aucun montant fixe n’est déterminé. La loi prévoit que l’indemnité variera en fonction du R.M.M.M.G. à la date de la consolidation. Elle ne fixe cependant aucun critère en ce qui concerne le calcul de cette indemnité complémentaire, laissant au juge le soin de décider du montant à l’intérieur de limites déterminées. Il ne suit pas de ces dispositions que le montant maximal de l’indemnité est réservé à la victime qui a le plus grand besoin d’aide. Rien n’empêche, selon la Cour, que lors de la fixation de cette indemnité complémentaire il soit tenu compte des frais réels ou de la durée de l’aide de tiers.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de cassation rappelle une règle importante, sur la question de l’aide de tiers.

Il est fait référence tant dans l’arrêt de la cour du travail que dans le pourvoi à l’arrêt rendu par la Cour suprême le 10 juin 1991 sur l’interprétation à donner à la disposition légale avant la modification intervenue par la loi-programme du 22 décembre 1989. La Cour avait précisé qu’il ressort du texte (de l’époque) que le juge qui applique cette disposition ne doit tenir compte du l’état de la victime que lorsqu’il examine si cet état exige absolument et normalement l’assistance d’une autre personne et qu’il lui faut, le cas échéant, déterminer la nature et l’importance de cette assistance. Lorsque le juge fixe l’augmentation de l’allocation annuelle sur la base du prix de revient de l’assistance qu’il a ainsi déterminée et par la comparaison entre ce prix de revient et la rémunération de base, il fait une juste application de la loi.


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