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Carrière en Belgique et en tant que fonctionnaire européen : règles de cumul

Commentaire de C.J.U.E., 10 septembre 2015, Aff. n° C-408/14 (WOJCIECHOWSKI c/ OFFICE NATIONAL DES PENSIONS)

Mis en ligne le mardi 10 mai 2016


Cour de Justice de l’Union européenne, 10 septembre 2015, Aff. n° C-408/14, WOJCIECHOWSKI c/ OFFICE NATIONAL DES PENSIONS

Terra Laboris

La Cour de Justice de l’Union européenne a rappelé qu’une réglementation nationale ne peut avoir un effet dissuasif sur l’acceptation d’un emploi en tant que fonctionnaire européen. L’affaire est relative à la règle de l’unité de carrière et à la réduction de celle-ci conformément à l’A.R. n° 50 relatif aux pensions de retraite des travailleurs salariés.

Les faits

En mai 2012, l’Office national des pensions procède à l’examen d’office des droits d’une salariée en matière de pension de retraite. Celle-ci atteindra en effet l’âge de 65 ans en avril 2013. Elle a une carrière de 12 ans en tant que salariée en Belgique et ensuite est devenue fonctionnaire européen, et ce pour le reste de sa carrière, de 1977 à 2011. Elle a une pension à charge de la Commission européenne depuis lors et a cessé toute activité.

L’Office prend une décision en septembre 2012, constatant qu’elle a en plus de sa carrière de travailleuse salariée une carrière dans un autre régime et qu’elle ne peut par le cumul des régimes de pensions dépasser l’unité de carrière. Ceci signifie que sa carrière globale ne peut comporter plus de 45 années et qu’elle doit dès lors être diminuée de 10 années. Lui est ainsi octroyé un droit à une pension de retraite correspondant à une carrière professionnelle de 3/45es, correspondant à un montant de 83,05€.

Ce calcul est fait, alors que l’Office ignore le montant de la pension versée par la Commission européenne et qu’il a procédé à une estimation, étant que, après 35 années de carrière, l’importance de la pension à prendre en considération pour l’application de la réglementation belge était égale à 70/70es ou 45/45es. L’Office est parti du principe que pour chaque année travaillée le fonctionnaire européen (entré en service avant le 1er mai 2004) acquiert 2% de pension par année, s’agissant du dernier salaire payé en activité (avec un maximum de 70% du dernier salaire de base). Pour l’Office, il en découlait ainsi que l’unité de carrière était dépassée de 13 ans.

L’Office annonce, ensuite, qu’après une revision des calculs, aucune année d’activité en tant que travailleuse salariée ne pouvait en fin de compte être validée, contrairement à ce qui avait été annoncé au départ.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles. Elle se fonde sur les règlements européens de coordination (1408/71 et 883/2004) pour conclure à l’impossibilité pour l’ONP d’appliquer dans le calcul de la pension belge le principe de l’unité de carrière. Quant à l’Office, il plaide que les pensions à charge des institutions de l’Union Européenne ne relèvent pas du champ d’application de ceux-ci. Sur la question de l’unité de carrière, il renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation dont il précise qu’elle a admis la constitutionnalité de ce principe et, pour les calculs, considère avoir agi conformément au principe de précaution, à défaut de renseignements plus précis.

La question préjudicielle

Le Tribunal du travail de Bruxelles pose par jugement du 19 août 2014 une question préjudicielle à propos du principe de l’unité de carrière en vertu duquel toutes les carrières reconnues (sauf celle d’indépendant) sont additionnées à celle de travailleur salarié et, si le total des fractions dépasse l’unité, la carrière prise en considération pour le calcul de la pension de retraite est diminuée d’autant d’années que nécessaire pour ramener ce total à l’unité.

Le tribunal du travail souligne que l’application de ce mécanisme, prévu par l’article 17bis de l’arrêté royal n° 50 – pourrait rendre plus difficile le recrutement par l’Union Européenne de fonctionnaires de nationalité belge ayant une certaine ancienneté. Il pose dès lors la question de savoir si le principe de coopération loyale et l’article 4, §3 du Traité d’une part ainsi que l’article 34, §1er de la Charte d’autre part s’opposent à ce qu’un Etat membre réduise, voire refuse, une pension de retraite à un travailleur salarié en vertu des prestations accomplies conformément aux conditions de l’Etat lorsque le total des années de carrière accomplies à la fois dans cet Etat et au sein des institutions européennes dépasse l’unité de carrière.

Décision de la Cour

La Cour de Justice rappelle, dans ses principes directeurs, que le droit de l’Union ne porte pas atteinte à la compétence des Etats membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale. Dans le cadre de cette compétence, ils doivent cependant respecter le droit de l’Union, dont les principes sont constamment réaffirmés par la Cour de Justice dans sa jurisprudence. Parmi ceux-ci figure celui de la coopération loyale des Etats membres en liaison avec le statut des fonctionnaires européens. Ce principe s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet pas de tenir compte des années de travail qu’un ressortissant de l’Union a accomplies au service d’une institution de l’Union aux fins d’ouvrir un droit à une pension de retraite anticipée au titre de régime national. C’est ce qui a été jugé dans l’arrêt MY (C.J.U.E., 16 décembre 2004, C-293/03) et il en va de même pour la pension de retraite ordinaire, qui est la jurisprudence de l’ordonnance RICCI et PISANESCHI (C.J.U.E., 9 juillet 2010, C-286/09 et C-287/09). Les réglementations en cause dans ces affaires ont été considérées comme pouvant rendre plus difficile le recrutement par les institutions ou les organes de l’Union de fonctionnaires nationaux ayant une certaine ancienneté. Elles peuvent ainsi entraver, voire décourager, l’exercice d’une activité professionnelle dans la mesure où, en acceptant un tel emploi, le travailleur qui a précédemment été affilié à un régime de pension nationale risque de perdre le bénéfice d’une prestation.

La Cour reprend également son arrêt MELCHIOR (C.J.U.E., 4 février 2015, C-647/13 – précédemment commenté) rendu en matière d’allocations de chômage, où il a été jugé que l’on ne peut omettre dans la prise en compte des périodes de travail celles accomplies en qualité d’agent contractuel au sein d’une institution de l’Union établie dans l’Etat membre.

Dans la présente affaire, il a été tenu compte de la période de travail accomplie au sein des institutions européennes aux fins du calcul de la pension de retraite à charge du régime belge. Dès lors cependant que cette prise en compte aboutit au même résultat de réduction – voire de suppression – des droits correspondants, l’effet dissuasif est présent. Or, celui-ci pourrait être évité si, comme le souligne la Cour, l’on accordait aux années de carrière accomplies au service d’une institution européenne une valeur temporelle identique à celle accordée aux années de carrière dans le régime belge. L’effet dissuasif de l’acceptation d’un emploi en tant que fonctionnaire européen serait ainsi neutralisé.

La Cour considère dès lors que la réglementation belge, qui est susceptible d’entraîner la réduction ou le refus de la pension de retraite due à un travailleur salarié ressortissant de l’Etat belge, en vue des prestations accomplies conformément à la loi belge, lorsque le total des années de carrière effectuée en Belgique comme salarié et en tant que fonctionnaire européen dans ce même Etat de résidence, dépasse l’unité de carrière est contraire à l’article 4, §3 du Traité en liaison avec le statut des fonctionnaires de l’Union européenne.

Pour la Cour, cette contrariété réside dans le fait qu’en raison de la méthode de calcul de la fraction qui exprime l’importance de la pension à la charge de l’Union, la réduction est plus importante que celle qui aurait été appliquée si l’ensemble de la carrière avait été accompli en tant que salarié dans l’Etat membre.

Intérêt de la décision

Cette conclusion quant à l’effet dissuasif que ne peut avoir une réglementation nationale sur le recrutement de personnel par les institutions européennes est une constante dans la jurisprudence de la Cour. Celle-ci rappelle d’ailleurs trois des principaux arrêts rendus sur la question. Dans chaque situation, il appartient à l’Etat membre de mettre sa réglementation en conformité avec l’obligation de coopération loyale souscrite eu égard au statut des fonctionnaires européens.


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