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Accident du travail dans le secteur public : force contraignante de la décision du MEDEX

Commentaire de C. trav. Mons, 16 novembre 2015, R.G. 2009/AM/21.571

Mis en ligne le mardi 10 mai 2016


Cour du travail de Mons, 16 novembre 2015, R.G. 2009/AM/21.571

Terra Laboris

Dans un arrêt du 16 novembre 2015, la Cour du travail de Mons reprend la procédure de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 relatif à la réparation en faveur notamment des membres des C.P.A.S. des dommages résultant des accidents du travail et des accidents survenus sur le chemin du travail. Elle tranche le point particulier de savoir si les juridictions du travail sont liées par les conclusions du MEDEX intervenant sur le taux d’incapacité permanente dès lors que d’une part la victime marque accord sur celles-ci et que de l’autre une expertise judiciaire est en cours et qu’elle aboutira à un taux inférieur.

Les faits

Suite à un accident du travail survenu le 1er octobre 2003, un agent d’un C.P.A.S. introduit une procédure en avril 2005, dans le cadre de laquelle un expert est désigné. Le rapport de l’expert conclura à une consolidation à la date du 1er mai 2004, avec un taux d’I.P.P. de 3%, l’incapacité temporaire totale étant retenue pour la période antérieure, sauf quelques semaines où le travail fut repris.

Il apparaît, dans la suite de l’instruction de l’affaire, que le SPF Santé publique (MEDEX) a pris parallèlement une décision, mais celle-ci n’est pas produite. Une réouverture des débats est dès lors ordonnée et elle porte également sur la procédure de l’arrêté royal du 13 juillet 1970, avec les conséquences sur le plan de l’indemnisation. Dans son jugement définitif, le tribunal ne suit pas les conclusions de l’expert sur la date de consolidation, qui est postposée d’un peu plus d’un an. L’incapacité permanente est fixée à 6%. Ce taux est celui repris dans la décision du SPF Santé publique qui a été transmise entre-temps. Le tribunal s’est fondé sur la circonstance que l’intéressée avait marqué accord sur ces propositions et que, vu l’arrêt de la Cour de cassation du 7 février 2000 (Cass., 7 février 2000, n° S.99.0148.N), l’autorité administrative employeur était liée.

Appel est interjeté.

Les arrêts rendus par la cour du travail

La cour du travail a rendu plusieurs décisions avant l’arrêt annoté du 16 novembre 2015 (ce dernier vidant sa saisine).

L’arrêt du 19 avril 2010

Cet arrêt s’est penché sur l’intérêt dans le chef de la victime de l’accident à saisir le tribunal du travail au cours de la procédure administrative d’instruction de la demande en paiement, et ce sans attendre l’issue de celle-ci et, plus spécifiquement, de demander la désignation d’un expert dès lors qu’elle aurait marqué son accord sur le taux d’I.P.P. et la date de consolidation. Les parties ont dès lors été amenées à répondre à plusieurs questions en lien avec cette problématique.

L’arrêt du 7 février 2011

La cour constatait dans cet arrêt que c’est après la première réunion d’expertise que la décision du MEDEX lui fut notifiée. L’autorité faisait valoir pour sa part qu’elle n’avait jamais été informée formellement de l’accord de la victime sur la proposition du MEDEX et que la victime avait commis une faute en mettant en œuvre et en poursuivant jusqu’à son terme les travaux d’expertise.

Aussi, la cour considéra-t-elle qu’elle n’était pas suffisamment informée quant à la question de savoir s’il y avait eu accord ou désaccord de l’intéressée sur la proposition faite par le MEDEX. Les décisions du MEDEX sont en effet accompagnées d’une annexe permettant à une victime d’un accident du travail de manifester son désaccord en renvoyant à ce service un document signé par son médecin et ce document n’était pas produit.

L’arrêt du 4 septembre 2013

De nouvelles questions furent posées dans cet arrêt, demandant notamment au MEDEX de confirmer qu’il n’avait pas notifié sa décision à l’autorité et, également, qu’il n’avait pas informé celle-ci de l’évolution du dossier de l’intéressée ouvert dans le cadre de la procédure administrative prévue par l’arrêté royal du 13 juillet 1970. Etait également posée la question de savoir si cette dernière avait rentré les documents relatifs à son désaccord.

L’arrêt du 16 novembre 2015

La cour est enfin en possession des explications nécessaires, en ce compris celles du MEDEX, dont il ressort que l’autorité ne fut avisée des conclusions en cause que par un courrier de son propre réassureur (ETHIAS) et qu’elle n’a dès lors pas pu procéder aux vérifications et examens prévus à l’article 9 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970, non plus que proposer un taux d’indemnisation, la procédure judiciaire ayant été engagée avant la fin de la procédure administrative.

Ces développements amènent la cour à reprendre la procédure applicable, procédure fixée en l’espèce par ledit arrêté royal du 13 juillet 1970 relatif à la réparation en faveur notamment des membres des C.P.A.S. des dommages résultant des accidents du travail et des accidents survenus sur le chemin du travail.

En vertu de celui-ci, l’agent doit se soumettre à la procédure administrative (articles 6 et suivants), impliquant l’intervention du service médical (ici le MEDEX), qui examine le dossier dans tous ses aspects médicaux. Son appréciation ou avis sera soumis à l’autorité compétente, qui vérifiera si les conditions d’octroi des indemnités sont réunies. Elle n’est pas liée par l’avis du MEDEX (renvoyant à l’arrêt du 4 juin 2007 de la Cour de cassation, n° S.06.0082.F). Dans l’affirmative, elle examine les éléments du dommage et apprécie s’il y a lieu d’augmenter le pourcentage fixé par le MEDEX. Ensuite, elle propose le paiement d’une rente, et ce par voie recommandée, mentionnant la rémunération de base, la nature de la lésion, la réduction de la capacité, ainsi que la date de consolidation.

En cas d’accord de la victime, la proposition faite par l’autorité est intégralement reprise dans une décision, également notifiée par lettre recommandée.

Des conséquences en découlent sur le plan de la prescription, au sens de l’article 20, alinéa 1er de la loi du 3 juillet 1967, étant que l’acte juridique administratif contesté, qui sert en tant que point de départ du délai de trois ans pour saisir les juridictions du travail d’une action en paiement, n’est pas exclusivement la décision de l’autorité elle-même mais peut, si la demande en paiement est introduite avant que la décision précitée n’ait été prise, consister en la proposition du service médical. L’arrêt rappelle que, pour la Cour de cassation, il y a deux actes distincts susceptibles de constituer le point de départ de la prescription. La proposition du MEDEX peut dès lors faire l’objet d’une contestation en justice, et ce dès lors que la décision de l’autorité n’a pas encore été prise.

Sur l’application de cette règle, aucune difficulté ne se pose dans le dossier, seul étant discuté l’intérêt de la victime de saisir le tribunal du travail avant l’issue de la procédure administrative. En effet, si la Cour de cassation a considéré dans son arrêt du 7 février 2000 (ci-dessus) que la décision du service médical lie l’autorité en ce qui concerne l’invalidité permanente et que celle-ci ne peut qu’augmenter le pourcentage fixé, se pose la question de savoir quel est le pourcentage à retenir en l’espèce, du fait que la détermination du taux a été soumise au tribunal et que la décision du service médical est intervenue ultérieurement.

La cour examine dès lors si cette décision peut avoir un caractère contraignant. Dans l’arrêt ci-dessus du 7 février 2000, la Cour de cassation a confirmé le prescrit légal et réglementaire des articles 8, 9 et 10 de l’arrêté royal : celui-ci ne déroge pas à la compétence de la juridiction du travail pour trancher les contestations relatives au pourcentage d’invalidité permanente même si celle-ci est tenue de respecter la réglementation relative à la reconnaissance de l’invalidité.

Que le texte se réfère à l’invalidité plutôt qu’à l’incapacité est pour la cour une question de sémantique qui ne doit pas intervenir dans la conclusion. L’appréciation de l’incapacité de travail se fait selon les critères généraux de la détermination du marché général de l’emploi, s’agissant d’apprécier la diminution de la valeur économique du travailleur, la nécessité d’efforts supplémentaires et la perte de chances de promotion.

Dès lors, le premier juge était tenu d’entériner les conclusions médicales du MEDEX.

Reste encore un point à examiner, étant de savoir si l’intéressée pouvait laisser se poursuivre les travaux d’expertise alors qu’elle avait marqué accord sur les conclusions du MEDEX. Pour la cour, l’intéressée avait certes le droit de diligenter une procédure à titre conservatoire, mais à partir du moment où l’accord était donné, son attitude est assimilable à un comportement téméraire et vexatoire.

La cour la condamne en conséquence à prendre à sa charge l’indemnité de procédure d’appel, ainsi que les frais et honoraires de l’expert judiciaire.

Intérêt de la décision

Outre l’imbroglio suscité par la gestion en parallèle de la procédure administrative et de la procédure judiciaire, alors que l’ensemble des acteurs concernés semblaient respectivement tenus dans l’ignorance de celles-ci, l’instruction du dossier démontre que la cour s’est attachée avec ténacité à tenter de comprendre ce qui s’est réellement passé entre la victime, son employeur, le service médical et, également, le réassureur ETHIAS. L’on constate qu’il a fallu non moins de quatre arrêts pour qu’elle soit mise en possession des pièces lui permettant de retracer le parcours du dossier !

L’intérêt de la décision sur le plan des principes est d’avoir rigoureusement rappelé la procédure de l’arrêté royal du 19 juillet 1970 appliquant au personnel des C.P.A.S. la loi du 3 juillet 1967 sur la réparation des accidents du travail et maladies professionnelles dans le secteur public.

L’on ne peut par ailleurs que s’étonner – avec la cour elle-même d’ailleurs – du maintien dans ce texte de la référence à « l’invalidité » alors que le secteur indemnise une « incapacité », étant une réduction de potentiel économique. Cette survivance est, comme le souligne à diverses reprises l’arrêt, purement sémantique et aucune conclusion ne peut en être dégagée.

Cet arrêt est enfin l’occasion de rappeler l’arrêt de la Cour de cassation du 7 février 2000 ainsi que celui du 4 juin 2007. Si ce dernier n’est pas directement applicable, dans la mesure où il porte sur la prescription à retenir en la matière, la cour retient de l’enseignement du premier que, dans l’hypothèse où la décision du service médical (MEDEX) est non pas antérieure mais postérieure à l’introduction de la procédure judiciaire, le juge est néanmoins tenu de retenir la proposition du MEDEX comme taux en dessous duquel l’on ne peut aller.


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