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Amendes administratives : petit rappel du mécanisme légal

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 novembre 2015, R.G. 2015/AB/372

Mis en ligne le jeudi 28 avril 2016


Cour du travail de Bruxelles, 19 novembre 2015, R.G. 2015/AB/372

Terra Laboris

Dans un arrêt du 19 novembre 2015, statuant à propos de plusieurs infractions à la réglementation du travail – infractions constatées à deux reprises successives -, la cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions d’application du principe non bis in idem ainsi que les règles autorisant le sursis des amendes administratives.

Les faits

Des infractions sont constatées lors d’un contrôle effectué par l’Inspection sociale du Contrôle des Lois sociales dans une sandwicherie. Il s’agit essentiellement d’absence de Dimona d’entrée, de non-respect de la réglementation en cas de temps partiel (absence de document de dérogation, ainsi que non-tenue à disposition de l’Inspection de contrats d’occupation d’étudiant.

La situation est régularisée et le dossier est classé sans suite par l’Auditorat.

Six mois plus tard, un nouveau contrôle est effectué et aboutit à la constatation d’infractions similaires. L’Auditeur du travail poursuit. Le Tribunal de Première Instance (chambre correctionnelle) du Brabant wallon acquitte la société mais condamne le gérant à une amende, avec sursis pour la moitié.

Le SPF Emploi décide, après ce jugement, d’imposer une amende administrative pour les premiers faits constatés, soit pour l’absence de Dimona et la non-tenue de contrats d’étudiant, le montant minimum de l’amende étant de 1.800 € (une seule amende étant infligée, vu l’unité d’intention). Pour le non-respect de la réglementation à temps partiel, une amende de 450 € est imposée. Il s’agit d’un montant supérieur au minimum (300 €) mais bien en-deçà du maximum (3.000 €). Il n’y a aucun sursis accordé.

La société saisit le Tribunal du travail de Nivelles, qui, par jugement du 13 mars 2015, confirme la position du SPF. Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour constate que les infractions ne sont pas contestées, la discussion étant uniquement centrée sur la sanction.

La société fait essentiellement valoir que le gérant avait été condamné, quelque temps avant la décision administrative, pour des faits similaires, la condamnation étant personnelle et qu’elle est civilement responsable du paiement de l’amende pénale (18.000 €).

Pour la cour, plusieurs questions de droit pénal social doivent être examinées successivement. En vertu de l’article 105 C.P.S., seul l’employeur peut se voir infliger une amende administrative, et ce même si celle-ci est le fait de son préposé ou mandataire. L’amende devait dès lors être infligée à la société, qui est l’employeur.

Se pose ensuite la question de savoir si la société peut invoquer le principe général de droit non bis in idem, puisque les amendes administratives prévues par le Code pénal social sont considérées comme des sanctions à caractère pénal pour l’application de celui-ci. En l’espèce, renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2014 (Cass., 24 juin 2014, R.W., 2015-2016/9, p. 338), la cour rappelle la notion d’identité de l’infraction, qui seule peut entraîner l’application du principe. Il faut vérifier s’il s’agit de faits identiques ou de faits en substance les mêmes, c’est-à-dire s’il y a un ensemble de circonstances de fait concrètes concernant un même auteur, circonstances indissociablement liées entre elles dans le temps et dans l’espace.

Tel n’est pas le cas ici, la seule circonstance de l’absence de Dimona et de contrats de travail d’étudiant ne permettant pas de conclure qu’il s’agissait des mêmes faits. Il n’y a dès lors pas lieu à l’application de la règle non bis in idem.

La cour considère ensuite qu’il n’y a pas unité d’intention, l’article 113 CPS exigeant que l’on soit en présence d’un même fait constituant plusieurs infractions ou en présence de différentes infractions soumises simultanément à l’administration compétente. Si ceux-ci constituent la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse, seule l’amende administrative la plus forte peut être infligée. Il cependant s’agir d’infractions soumises simultanément à l’administration, comme la cour le relève, et tel n’est pas le cas des infractions constatées à des moments différents. L’on ne peut donc retenir cette hypothèse. L’on ne peut davantage se fonder sur la condamnation pénale intervenue, la doctrine (M. DE RUE, Le Code pénal social, Larcier, 2012, p. 76) ayant rappelé que l’article 113, alinéa 2 C.P.S. prévoit certes une autre hypothèse en cas d’infraction ayant antérieurement fait l’objet d’une décision, mais il doit s’agir uniquement d’une décision infligeant une sanction administrative.

Enfin, se pose la question du sursis, qui peut, en matière d’amendes administratives, intervenir en tout ou en partie, en vertu de l’article 116 C.P.S. Ce sursis est soumis à certaines conditions, étant que, pendant une période de 5 ans précédant l’infraction à sanctionner, le contrevenant ne doit pas s’être vu infliger d’amende administrative de niveau 2, 3 ou 4, ou avoir eu une condamnation pénale pour ces mêmes types d’infraction. Le sursis peut être octroyé pour une période variant de 1 à 3 ans. Il peut être révoqué en cas de nouvelle infraction pendant le délai d’épreuve, et ce à certaines conditions.

Dans la mesure où la société n’a pas eu d’amende administrative ou de condamnation pénale pendant le délai de 5 ans précédant l’infraction, il n’y a pas d’obstacle à l’octroi du sursis. Les circonstances de l’espèce plaident, pour la cour, en faveur de celui-ci, mais, vu la répétition du comportement infractionnel, ce sursis ne peut être total. Il est accordé pour la moitié de l’amende, et ce à concurrence du délai maximum de 3 ans.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle plusieurs règles de droit pénal social relatives aux amendes administratives. S’agissant d’infractions diverses à la réglementation du travail, le Code pénal social prévoit en effet la possibilité d’infliger de telles amendes, mais ce à l’employeur uniquement, même si l’infraction est commise par son mandataire ou préposé.

L’arrêt rappelle par ailleurs que le juge peut accorder un sursis lorsque l’administration l’a refusé, comme en l’espèce. Sur ce point, la cour fait une appréciation nuancée de la situation de fait, constatant que, si son pouvoir en la matière est d’opter pour un sursis total ou partiel, elle doit tenir compte des éléments concrets, étant la régularisation de l’infraction – même s’il est constaté que la société en a ultérieurement commis de nouvelles. L’on retiendra qu’un autre élément en faveur du sursis est le but de favoriser l’amendement de la société et le respect de la loi à l’avenir.

A bon entendeur…


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