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Prestations aux personnes handicapées : à quelle date prend effet une décision de revision ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 novembre 2015, R.G. 2014/AB/915

Mis en ligne le jeudi 28 avril 2016


Cour du travail de Bruxelles, 2 novembre 2015, R.G. 2014/AB/915

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 novembre 2015, la Cour du travail de Bruxelles conclut à l’inconstitutionnalité de l’article 23 de l’arrêté royal du 22 mai 2003 relatif à la procédure concernant le traitement des dossiers en matière des allocations aux personnes handicapées, en ce qu’il fixe des points de départ distincts en cas de revision en fonction des différents groupes de motifs de revision visés.

Rétroactes

Une bénéficiaire de prestations dans le secteur des allocations aux personnes handicapées se marie en juillet 2004 alors qu’elle bénéficie à ce moment d’une allocation d’intégration (catégorie 4) ainsi que d’une allocation de remplacement de revenus. Elle informe l’administration de son mariage et demande à recevoir les documents nécessaires en vue de la revision du dossier.

Trois mois plus tard, une revision d’office lui est annoncée avec effet au 1er août 2004. La décision n’est notifiée que près de sept mois plus tard encore, supprimant les allocations avec effet au 1er du mois suivant le mariage, et ce eu égard aux revenus professionnels du conjoint. Un indu de près de 12.500€ est alors notifié. Une renonciation partielle est obtenue en mars 2009, un solde de l’ordre de 5.000€ subsistant.

Des recours ont cependant été introduits, parallèlement, devant le tribunal du travail, contre les décisions de l’administration (suppression des allocations, notification de l’indu de 12.500€ et ensuite du maintien de celui-ci à concurrence de 5.000€).

Les décisions du tribunal

Un premier jugement (définitif) a été rendu le 21 décembre 2011, suite auquel a été prise la dernière des décisions de l’administration.

Un second jugement a alors été rendu le 10 septembre 2014, écartant l’application de la décision administrative en ce qu’elle prend effet rétroactivement au premier du mois suivant le mariage. Il écarte également l’application des deux décisions de recouvrement et ordonne à l’Etat belge de rembourser à l’intéressée des paiements qu’elle avait faits afin d’apurer très partiellement la dette.

Position des parties devant la cour

L’Etat belge interjette appel, faisant grief au tribunal d’avoir conclu au caractère discriminatoire de l’article 23, §2, alinéas 1 et 2 de l’arrêté royal du 22 mai 2003 et d’avoir, en conséquence, écarté l’application des décisions administratives et ordonné le remboursement des sommes récupérées. Il sollicite la confirmation de sa position telle que reprise dans les décisions administratives rendues.

L’intéressée demande la confirmation du jugement, en ce qui concerne l’inconstitutionnalité de la disposition litigieuse.

Position de la cour

La cour rappelle les principes en matière de discrimination contraire à la constitution ainsi que les étapes du raisonnement à suivre par le juge, étant (i) de déterminer si les catégories de personnes traitées différemment se trouvent dans une situation comparable, (ii) si cette différence de traitement existe, de vérifier qu’elle repose sur un critère objectif et (iii) qu’elle est raisonnablement justifiée. L’examen de la justification doit s’opérer en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause.

En l’espèce, la disposition litigieuse concerne les revisions d’office et la date de prise d’effet. Elle vise trois groupes de motifs (pour lesquels il y a ou non un effet rétroactif).

Le premier groupe (qui prend toujours effet le premier jour du mois qui suit la notification de la décision) vise les revisions médicales planifiées, les conditions médico-légales d’octroi ainsi que la revision quinquennale. Il n’y a ici jamais d’effet rétroactif.

Le deuxième groupe a par contre un tel effet et concerne les situations où une modification de l’état civil ou de la composition du ménage est intervenue, dans la mesure où celle-ci a une incidence sur le droit aux allocations, ainsi que les situations d’admission ou de sortie d’une institution.

Enfin, un troisième groupe peut avoir un effet rétroactif ou non, selon que l’événement donnant lieu à revision a été porté à la connaissance de l’administration ou constaté par elle dans les trois mois après sa survenance. Il s’agit des conditions de nationalité et de résidence, de la modification de la situation en matière d’enfants à charge ayant une incidence sur la catégorie, de l’augmentation des revenus annuels d’un ménage d’au moins 20% ou encore du remplacement des revenus du travail par des prestations ou indemnités ou des prestations sociales.

La cour examine, dès lors, ces mesures, en suivant le raisonnement exposé ci-dessus. Elle constate en premier lieu une différence de traitement entre des catégories de personnes se trouvant dans des situations comparables. Le critère de différenciation est le motif de la revision et il s’agit d’un critère objectif.

Se pose alors la question de la justification de cette différence. La cour ne suit pas l’Etat belge, qui fait valoir plusieurs circonstances. La première est qu’en matière de modification d’état civil, il est informé de celle-ci via les flux de la banque-carrefour, les intéressés ne pouvant être obligés d’avertir l’administration. Par contre, le départ d’un enfant à charge ne fait pas l’objet d’une telle information et il y a ici obligation pour la personne handicapée d’avertir l’administration.

Pour la cour, si ce que l’Etat belge retient comme critère justifiant la différence de traitement est de sanctionner les personnes qui n’ont pas satisfait à leur obligation d’information, cette mesure n’est pas raisonnablement proportionnée au but poursuivi, dans la mesure comme en l’espèce des personnes qui se marient ou dont la composition du ménage se modifie se trouvent pénalisées alors qu’elle n’ont manqué à aucune obligation.

La cour écarte d’autres justifications de l’administration tirées des flux automatiques de la banque-carrefour et constate par ailleurs qu’aucune autre justification à la différence de traitement n’est donnée. Celle-ci est donc sans justification raisonnable et est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Le jugement se trouve ainsi confirmé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles – dûment motivé – conclut au rétablissement de l’égalité entre diverses catégories de bénéficiaires de prestations aux personnes handicapées dans l’hypothèse d’une revision.

L’on notera ici que la demanderesse avait dûment informé l’administration en temps utile et que la décision administrative ne lui fut notifiée que dix mois plus tard, les allocations continuant à être versées entretemps. La conclusion de cet arrêt est que le principe constitutionnel d’égalité s’oppose à l’effet rétroactif d’une telle décision.

L’on notera que cette conclusion a été acquise dans le cadre de l’examen de l’A.R. uniquement et qu’aucun détour par la Charte de l’assuré social n’a été fait. La portée de l’arrêt est donc plus large puisque celui-ci ne se limite pas à régler le cas d’espèce en retenant (éventuellement) une erreur de l’administration mais qu’il tranche un point de droit étant la justification des points de départ distincts en cas de revision.


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