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Exemption d’assujettissement à l’ONSS : qu’entend-on par organisateur de manifestations sportives ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 27 novembre 2015, R.G. n° 2014/AL/407

Mis en ligne le jeudi 28 avril 2016


Cour du travail de Liège (division Liège), 27 novembre 2015, R.G. n° 2014/AL/407

Terra Laboris

Dans un arrêt du 27 novembre 2015, la Cour du travail de Liège (Div. Liège), se fondant sur la définition qui avait été donnée de cette notion par la Cour d’appel statuant en matière correctionnelle à l’occasion d’une précédente infraction, rappelle que les exceptions à l’obligation générale d’assujettissement pour certains types de prestations sont restrictives vu le caractère d’ordre public de la loi et que cette notion doit être comprise comme ne visant pas les sous-traitants d’organisateurs de telles manifestations.

Les faits

L’ONSS réclame des cotisations sociales à une société au motif de l’occupation de plus de septante travailleurs à l’occasion des « 24 heures de Francorchamps ». La société a payé ces cotisations, mais uniquement à titre conservatoire. Elle en poursuit le remboursement en justice.

Son objet social étant la gestion, l’organisation et la promotion de diverses activités, dont des manifestations sportives, éducatives, culturelles ou autres, soit une activité d’organisation ou de participation à l’organisation (en qualité de sous-traitant) de manifestations sportives, elle estime qu’elle doit avoir la qualité d’organisateur de telles manifestations au sens de l’article 17 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 et qu’elle doit dès lors être dispensée du paiement des cotisations sociales correspondantes.

Pour l’ONSS, tel n’est pas le cas, s’agissant d’un sous-traitant de la société organisatrice de l’événement. L’ONSS considère par ailleurs que, la société ayant été condamnée au pénal en raison de faits précédents, il y a autorité de la chose jugée imposant la débition des cotisations.

Lors d’un premier contrôle en 2006, le gérant de la société avait en effet fait valoir qu’il estimait être couvert par l’article 17, § 2, alinéa 2 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, au motif qu’il occupait du personnel occasionnel, pour une durée qui n’excédait pas vingt-cinq jours de travail par année civile. Ce premier contrôle en resta là.

Un deuxième fut cependant effectué l’année suivante où la même situation fut constatée. Des poursuites pénales furent alors engagées et il y eut une condamnation, confirmée par un arrêt de la Cour d’appel de Liège en 2012. La Cour d’appel avait considéré que l’exemption visait l’organisateur de manifestations sportives et non ceux à qui une partie de l’organisation est déléguée ou à qui il est fait appel ou encore qui sont chargés d’organiser certaines prestations. La société n’était, pour la cour d’appel, dès lors pas visée par la définition. En outre, celle-ci impose une déclaration préalable à l’inspection sociale, ce qui n’avait pas été fait.

Les faits qui ont abouti au litige actuel se sont produits quelque temps après cette décision de la Cour d’appel, 72 travailleurs étant à présent concernés. L’activité porte sur l’organisation des paddocks, du plan de vente de la billetterie, du contrôle de l’accès aux tribunes, de la gestion des parkings, etc. Cette fois, la déclaration préalable a été faite, cependant.

L’Office considérant que les conditions de l’article 17 n’étaient pas rencontrées, la société fut invitée à payer les cotisations.

La position de l’Office a été confirmée par le jugement a quo. La société interjette ainsi appel, considérant qu’exclure de la définition l’activité exercée dans le cadre d’une sous-traitance revient à ajouter une condition au texte, condition qu’il ne contient pas. Elle conteste par ailleurs l’autorité de chose jugée de la procédure pénale précédente.

Décision de la cour

La cour rappelle le cadre légal et réglementaire, étant que l’arrêté royal du 28 novembre 1969 pris en exécution de l’article 2 de la loi du 27 juin 1969 contient un article 17 dont le paragraphe premier, 6°, vise, parmi les exemptions de cotisations de sécurité sociale, les organisateurs de manifestations sportives et les personnes qu’ils occupent exclusivement le jour de ces manifestations à la condition que l’occupation ne dépasse pas vingt-cinq journées de travail au cours d’une année civile, chez un ou plusieurs employeurs.

Avant d’examiner la portée de la disposition, la cour considère qu’il faut examiner en premier lieu l’étendue de l’autorité de la chose jugée, étant les points tranchés par l’arrêt de la Cour d’appel du 12 janvier 2012. L’ONSS n’était en effet pas partie à la procédure pénale et la question se pose de savoir s’il peut se saisir pour des faits ultérieurs de l’autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt.

La cour rappelle l’évolution de la notion d’autorité de la chose jugée et renvoie à plusieurs décisions de la Cour de cassation (dont Cass., 18 décembre 2003, R.G. n° C02.0344.N) : celle-ci s’attache à ce qui a été certainement et nécessairement jugé par le juge pénal, en ce qui concerne l’existence des faits mis à charge du prévenu compte tenu des motifs qui sont le soutien nécessaire de la décision répressive.

La question en l’espèce est que la cour d’appel statuant en matière pénale s’est prononcée sur l’interprétation de la notion civile d’organisateur d’événements sportifs. La doctrine (A. JACOBS, « L’autorité de la chose jugé du pénal sur le civil : une création jurisprudentielle à remodeler constamment », JLMB, 2013/36-1846 à 1858) considère, sur les questions qu’il n’appartient pas au juge pénal de trancher définitivement, qu’il exprime son point de vue et qu’il ne peut gêner la liberté d’appréciation du juge civil.

Cependant, la cour de cassation s’étant encore dans d’autres arrêts prononcée sur le contours de la notion, il est admis actuellement que la chose jugée s’étend à ce que le juge a décidé sur un point qui – étant en litige entre les parties – a été tranché de façon contradictoire (Cass., 22 décembre 2011, R.G. n° C.11.0007.N) et que l’autorité de la chose jugée s’attache à tous les éléments - à l’égard desquels les parties au procès pénal ont pu faire valoir leurs moyens de défense - qui ont été certainement et nécessairement jugés concernant les faits mis à charge du prévenu (Cass., 16 septembre 2009, R.G. n° P.09.0608.F).

Il découle de cette évolution jurisprudentielle que, si une question relative à la définition d’un élément constitutif de l’infraction a fait l’objet d’un débat contradictoire devant le juge pénal, le juge civil doit se conformer à l’interprétation que ce dernier en a donnée. La cour considère qu’elle est tenue par l’arrêt de la Cour d’appel, qui a constaté de manière définitive que l’infraction était établie. Elle confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Outre les développements repris dans l’arrêt en ce qui concerne l’évolution de la notion d’autorité de la chose jugée – qui font l’essentiel des points juridiques de la décision -, cet arrêt de la Cour du travail de Liège (Div. Liège) aborde une hypothèse spécifique d’exemption de l’obligation de payer les cotisations sociales pour l’occupation de travailleurs.
L’article 17, §1, 6° ne définit pas la notion d’organisateur de manifestations sportives.

Vu le caractère d’ordre public de la loi et s’agissant d’une dérogation à l’obligation générale d’assujettissement, le tribunal du travail avait considéré que cette disposition doit se voir conférer une interprétation restrictive et ne pouvait viser les sous-traitants. La société avait considéré discriminatoire le traitement d’un « organisateur principal » par rapport à celui « auquel l’organisation avait été sous-traitée ». Elle considérait qu’il y avait ici une violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

La cour du travail n’a pas abordé cette argumentation, vu l’obligation pour le juge civil de se prononcer sur l’étendue de l’autorité de la chose jugée eu égard à la définition qu’avait donnée la Cour d’appel. Rappelons que celle-ci s’était fondée sur la seule circonstance qu’il s’agissait d’un sous-traitant et que l’exemption de l’article 17 ne lui était donc pas applicable.


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