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Non-respect d’une clause de non concurrence : prescription de la demande de l’employeur

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 septembre 2015, R.G. n° 2013/AB/888

Mis en ligne le jeudi 28 avril 2016


Cour du travail de Bruxelles, 22 septembre 2015, R.G. n° 2013/AB/888

Terra Laboris

Dans un arrêt du 22 septembre 2015, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles relatives au mécanisme de la clause de non concurrence, renvoyant pour ce qui est de l’action de l’employeur en paiement de l’indemnité forfaitaire due en cas d’infraction à la clause à la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur la prescription de l’action en justice et particulièrement sur les effets interruptifs d’une citation.

Rétroactes

Suite à son licenciement pour motif grave, un employé introduit une procédure, dans laquelle se pose la question des droits et obligations des parties au contrat de travail en cas de clause de non concurrence figurant dans le contrat.

Les questions relatives au motif grave et autres sommes ont été réglées dans un premier arrêt du 2 décembre 2014 (le motif grave étant retenu). Dans le cadre d’une réouverture des débats la cour aborde uniquement l’examen de la clause de non concurrence.

Le contrat prévoit que l’employé s’interdit pendant sa période d’occupation et ultérieurement pendant une période de douze mois d’exercer en Belgique une activité similaire à celle qu’il effectuait au sein de la société, ainsi que d’entrer au service d’un employeur concurrent. En contrepartie, la société s’engage à payer une indemnité correspondant à la moitié du brut que l’employé aurait perçu pendant la période de non concurrence, cette indemnité correspondant donc à la rémunération de six mois. Est également prévue la possibilité pour l’employeur de lever la clause dans les quinze jours après la rupture du contrat. En cas de non-respect par l’employé de l’interdiction contenue dans cette clause, une indemnité sera due par lui, étant que, outre le remboursement de l’indemnité perçue, il sera tenu de payer à l’employeur la même somme au titre de dommages et intérêts.

Position de la cour

En ce qui concerne la validité d’une telle clause, la cour en rappelle les conditions, étant qu’elle doit être conforme à l’article 65 de la loi sur les contrats de travail. Dès lors qu’elle vise l’interdiction de concurrence pendant l’exécution du contrat lui-même, elle constitue une application de l’article 17 de la loi, lui-même découlant de l’obligation générale d’exécution de bonne foi des conventions contenue aux articles 1134 et 1135 du Code civil. Les parties sont dès lors autorisées à reprendre une telle interdiction dans le contrat de travail.

En ce qui concerne les indemnités, elles ont trait à la concurrence faite après la fin du contrat. Le remboursement de l’indemnité perçue par l’employé ne peut, en effet, trouver d’application logique que s’il s’agit d’une infraction à l’interdiction de faire concurrence dans la période couverte par l’indemnité, c’est-à-dire après la fin du contrat de travail. Une telle clause ne peut donc signifier que l’indemnité devrait également être remboursée dans l’hypothèse d’une concurrence exercée pendant l’exécution du contrat. Ceci ne ressort pas de la volonté des parties. En outre, l’obligation pour le travailleur de rembourser l’indemnité et de payer une indemnité complémentaire équivalente en cas de concurrence pendant l’exécution du contrat – et ce même s’il n’y a pas d’infraction à cette clause après la fin des relations professionnelles – constituerait, pour la cour, une aggravation disproportionnée des obligations du travailleur eu égard aux termes de l’article 65 de la loi ainsi que de son article 6.

La cour rappelle également que pendant l’exécution du contrat, le dommage causé par le travailleur à l’entreprise doit s’apprécier par rapport à l’article 18 mais que cette disposition ne concerne pas les activités concurrentes exercées en dehors du contrat de travail.

En l’espèce, la société fait valoir une infraction à la clause pendant la période de douze mois après les relations contractuelles et elle demande, ainsi, le remboursement de l’indemnité compensatoire qu’elle serait tenue de payer (et qu’elle n’a pas payée). Le travailleur a en effet droit au paiement de cette indemnisation conventionnelle, dans la mesure où le licenciement est intervenu pour motif grave et qu’il est établi que la société n’a pas renoncé à la clause de non concurrence dans le délai de quinze jours après la fin du contrat.

La société demandant également paiement par le travailleur du montant équivalent à cette indemnité, dans la mesure où il serait constaté qu’il a enfreint l’interdiction de concurrence, la cour examine un argument de prescription, en ce qui concerne les deux demandes de la société : remboursement par l’employé de l’indemnité qu’elle doit lui payer et condamnation de ce dernier à payer l’équivalent de cette indemnité vu l’infraction à l’interdiction visée.

Pour la cour, la demande de remboursement n’est pas prescrite. Elle est prévue à l’article 65 de la loi du 3 juillet 1978. L’article 65 prévoit en effet qu’en cas de violation de la clause de non concurrence, le travailleur sera tenu de rembourser à l’employeur la somme que ce dernier aura payée en application du principe énoncé au paragraphe 2, alinéa 5, 4° de la même disposition et devra en outre lui payer une somme équivalente. Cette disposition, qui vise l’ouvrier, est également applicable à l’employé en application de l’article 86, §1er de la loi.

La cour rappelle que l’article 2257 du Code civil prévoit que la prescription n’est pas acquise pour une créance soumise à une condition, aussi longtemps que cette condition n’est pas remplie. La demande de l’employeur tendant au remboursement du montant payé (ou à payer) dépend de la condition autorisant l’octroi de ce montant. Cette demande ne se prescrira dès lors pas tant que le montant ne sera pas payé. En l’espèce, dans la mesure où il est acquis qu’il y a eu infraction - le travailleur ayant exercé une concurrence pendant la période de douze mois après la fin du contrat - il doit rembourser l’indemnité qui lui est due.

L’indemnité complémentaire équivalente, fixée au titre de réparation forfaitaire du dommage en cas de non-respect de la clause est soumise au délai d’un an, fixé à l’article 15 de la loi sur les contrats de travail. La prescription de cette demande a ainsi commencé à courir à l’issue de la fin de la période d’interdiction de concurrence. La cour renvoie ici à l’article 2257 du Code civil ci-dessus ainsi qu’à deux arrêts de la Cour de cassation (Cass., 14 mai 2012, n° S.11.0128.F et Cass., 13 novembre 2006, n° S.05.0111.N). En l’espèce, le contrat de travail s’est terminé le 10 août 2007 et l’interdiction de concurrence a ainsi couru jusqu’au 10 août 2008, le délai de prescription d’un an expirant le 10 août 2009.

La cour constate que dans ses conclusions déposées dans le cours de ce délai, la société n’a pas expressément visé cette indemnité, mais l’a fait ultérieurement.

Renvoyant à un autre arrêt de la Cour de cassation (Cass., 17 septembre 1990, R.G. n° 7.129), elle rappelle que l’action du demandeur n’a pu sur ce chef interrompre la prescription en ce qui concerne la demande reconventionnelle. La citation introduite par l’employé ne peut intervenir comme cause d’interruption de la prescription de cette demande.

Une citation constitue en effet une cause d’interruption pour ce qui est des demandes qu’elle contient ainsi que de celles qui y sont virtuellement comprises (avec renvoi à plusieurs arrêts de la Cour de cassation dont Cass., 11 avril 2014, R.G. n° C.12.0242.F). Ceci ne vise cependant pas la demande fondée sur une autre cause, c’est-à-dire l’ensemble des faits sur lesquels une partie se fonde dans son action.

Il en résulte que la demande de dommages et intérêts pour non respect de l’interdiction de concurrence n’était pas virtuellement comprise dans les demandes figurant dans les conclusions déposées dans le délai d’un an et qu’il y a prescription.

La demande de l’employé de se voir octroyer l’indemnité contractuelle est fondée et la demande reconventionnelle de l’employeur de se la voir rembourser l’est également. Il y a dès lors lieu à compensation.

La demande de paiement de l’indemnité conventionnelle forfaitaire est quant à elle frappée de prescription.

Vu la solution dégagée, la cour considère que chaque partie doit supporter ses dépens de première instance et d’appel.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle une règle de prudence à adopter lors de l’introduction de l’action en justice en cas de pluralité des chefs de demande. L’illustration donnée par le cas d’espèce est éclairante puisque se pose, outre un point de départ particulier du délai de prescription annale en cas de demande soumise à la réalisation d’une condition (délai débutant ainsi en-dehors du délai d’un an qui suit immédiatement la fin du contrat de travail), la question de l’effet interruptif de l’acte introductif de l’action judiciaire. En l’espèce si le remboursement de l’indemnité était visé, le paiement des dommages et intérêts forfaitairement fixés à l’équivalent de ce montant ne l’était pas. La cour a déduit des éléments qui lui étaient soumis que cette demande n’était pas virtuellement comprise dans la première…..

L’arrêt procède par ailleurs à bon rappel des arrêts de la Cour de cassation sur la question, étayant ainsi un point de droit très utile.


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