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Nettoyage des écoles et garderie : l’embauche par adjudication publique faite par une commune ne doit pas être requalifiée en contrat de travail

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 24 avril 2007, R.G. 7.661/04

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Liège (section Namur), 24 avril 2007, R.G. 7.661/2004

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans son arrêt du 24 avril 2007, la Cour du travail de Liège, section Namur, confirme la qualification indépendante des contrats (par adjudication publique) pour le nettoyage des écoles et la tenue des garderies. Elle confirme ainsi sa jurisprudence sur cette question précise (voir C. trav. Liège, section Namur, 5 décembre 2006, R.G. 8013/06).

Les faits

Une commune de la province de Namur recourt, pour le nettoyage des écoles et la garderie des enfants, à des soumissions et des adjudications publiques. Un cahier des charges précis, contenant des obligations quant aux tâches à effectuer et aux horaires à respecter, sert de base à ces adjudications. Il contient ainsi des obligations détaillées quant au travail à accomplir (prestations de nettoyage à faire et indentification des locaux), ainsi qu’à la fréquence et aux jours de prestation. Il précise par ailleurs que le contrat peut être résilié en cas d’inexécution fautive. Pour les prestations de nettoyage, les prestataires doivent fournissent le matériel (l’utilisation de certains produits étant d’ailleurs imposée) et déterminent eux-mêmes l’organisation pratique de la prestation. Le prix est quant à lui global (annuel pour les prestations de nettoyage et mensuel pour les garderies).

Le recours à de la main d’œuvre indépendante, avec ce type de cahier des charges, ayant été utilisé par différentes administrations communales de la province, l’ONSS lance une enquête et conclut à l’assujettissement des travailleurs au statut social des travailleurs salariés. Les cotisations de sécurité sociale dues sont prélevées d’autorité.

Une commune introduit une action devant le tribunal du travail, aux fins d’obtenir la condamnation de l’ONSS au remboursement des cotisations prélevées.

La décision du tribunal

Le tribunal du travail rejette la demande de l’ONSS. Il relève en effet que, quoique deux indices plaident en faveur de la qualification conventionnelle (fourniture du matériel et possibilité d’assurer son remplacement), l’existence d’un lien de subordination doit être retenu. Il se fonde sur

  • la description précise des tâches à effectuer, reprise au cahier des charges,
  • la possibilité de rupture pour inexécution fautive, qui révèle un pouvoir de contrôle dans le chef de la commune du travail effectué ainsi que de la manière dont celui-ci a été réalisé,
  • le type de prestation (travail manuel – nettoyage),
  • l’absence de volonté de conclure un contrat d’entreprise,
  • l’exercice d’un travail exclusif pour le compte de la commune,
  • l’absence de volonté de développer une entreprise,
  • pour les garderies, l’existence d’un horaire fixe, sous la direction des enseignants.

La décision de la Cour

La Cour commence son examen du dossier par un important rappel des principes, dont une définition de la notion de subordination juridique et la détermination de la charge de la preuve.

Sur le premier point, elle considère notamment que c’est le lien d’autorité qui caractérise la subordination juridique, étant le pouvoir de déterminer la prestation de travail et d’en organiser l’exécution, ce second élément étant considéré comme constituant l’essence même du lien de subordination. Elle note par ailleurs que la subordination présente, dans le chef du travailleur, un caractère intuitu personae, de sorte qu’il n’y pas subordination si la prestation peut être effectuée par un tiers, à la demande du travailleur.

Quant à la charge de la preuve, la Cour s’aligne sur la jurisprudence de la Cour de cassation, relevant que la convention ne peut être disqualifiée que si les éléments soumis permettent d’exclure la qualification donnée par les parties. En conséquence, la méthode indiciaire (comparaison du poids respectif des indices plaidant pour ou contre la qualification conventionnelle) n’est plus de mise.

En conséquence de ces principes, la Cour débute son examen par la qualification de la convention. Quoiqu’elle reconnaisse que la plupart des soumissionnaires n’ont pas perçu l’incidence de leur démarche (comme en témoigne l’absence d’accomplissement des formalités légales liées au statut d’indépendant), elle retient l’absence de volonté de conclure un contrat de travail, se fondant notamment sur la fixation annuelle du prix des prestations (pour le nettoyage). Pour la Cour, dès lors que l’acte a été signé, il est opposable, quand bien même la portée de celui-ci aurait échappé à l’un des cocontractants. Le contrat d’adjudication révèle donc la qualification donnée, étant une collaboration indépendante, d’autant qu’il n’est pas nécessaire que celle-ci ressorte du seul contrat écrit.

Elle examine ensuite si l’ONSS, qui supporte la charge de la preuve en sa qualité de demandeur en requalification, apporte la preuve d’éléments incompatibles avec la qualification donnée.

Elle relève ainsi que sont indifférents l’absence d’information de la commune sur le statut social (aucune obligation n’existant d’ailleurs à cet égard), le caractère manuel de la fonction (estimant qu’il n’existe pas de tâches qui, en elles-mêmes, ne pourraient être exercée que sous un lien de subordination) ainsi que les affiliations (ou absence d’affiliation) à une caisse d’assurances sociales, l’assujettissement à la TVA ou l’enregistrement comme entrepreneur.

Quant à la définition des tâches par le cahier des charges, la Cour estime qu’il ne s’agit que de directives portant sur le travail à accomplir (afin d’atteindre le résultat attendu par la commune), directives d’ailleurs nécessaires pour permettre aux soumissionnaires d’établir le prix de la prestation. Elle relève par ailleurs des auditions menées par l’ONSS que certaines travailleuses admettent une liberté totale dans l’organisation de leur travail tandis que les remarques pointées par d’autres sur le travail effectué ne peuvent être assimilées à une instruction.

Par ailleurs, eu égard au fait que le prix de la prestation était déterminé par les soumissionnaires eux-mêmes, la Cour estime qu’il y a dans leur chef gestion de leur propre affaire. Quant aux horaires imposés pour la surveillance des enfants (garderie), la Cour refuse d’y voir un indice de subordination, estimant qu’il s’agit d’une conséquence du type d’activité, contrainte inhérente à la convention.

Enfin, la Cour relève l’existence d’indices incompatibles avec un lien de subordination, étant la possibilité de remplacement et la fourniture du matériel nécessaire à l’exécution de la prestation.

Si la Cour dit qu’il est regrettable qu’une commune conclue ce type de convention pour assurer les prestations en litige, elle considère, vu l’absence d’indices contredisant la qualification et la présence d’autres qui excluraient une subordination, que la demande originaire de la commune est fondée.

Intérêt de la décision

Dans un précédent arrêt du 5 décembre 2006 (R.G. 8013/06, disponible sur Juridat), la Cour du travail de Liège avait déjà avalisé la nature indépendante des prestations de nettoyage confiées à ses soumissionnaires.

L’arrêt illustre par ailleurs la difficulté d’obtenir une requalification de la convention, vu que doivent exister des éléments incompatibles avec celle-ci, ce que rappelle régulièrement la Cour de cassation (voir encore Cass., 5 févr. 2007, S06.0024.F).


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