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Sociétés assurant l’accompagnement de personnes à mobilité réduite ou en perte d’autonomie : quelle est la commission paritaire compétente ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 novembre 2015, R.G. 2013/AB/1.111

Mis en ligne le jeudi 28 avril 2016


Cour du travail de Bruxelles, 30 novembre 2015, R.G. 2013/AB/1.111

Terra Laboris

Dans un arrêt du 30 novembre 2015, la cour du travail de Bruxelles a fait un examen fouillé du champ d’application des sous-commissions paritaires de la commission paritaire 140 et conclu que l’accompagnement de personnes à mobilité réduite ou en perte d’autonomie ne dépend d’aucune d’entre elles mais de la commission paritaire du non-marchand.

Les faits

Suite à son licenciement survenu en octobre 2010, un chauffeur de minibus, au service d’une A.S.B.L. assurant l’accompagnement et le déplacement de personnes à mobilité réduite, conteste le barème de rémunération qui lui a été appliqué pendant la période contractuelle.

Il revendique celui de la sous-commission paritaire 140.02 pour les services de location de voitures avec chauffeur. Il sollicite également le paiement de l’indemnité RGPT.

L’enquête menée par le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale conclut à l’appartenance à cette sous-commission paritaire. Suite à une contestation de l’A.S.B.L., l’avis est modifié et le SPF conclut alors à l’application des barèmes de la 140.03 pour le personnel ouvrier, ainsi que de la 337 pour le personnel employé. La première concerne le transport routier et la logistique pour compte de tiers et la seconde le secteur non-marchand.

L’A.S.B.L. conteste cette conclusion.

Une demande en justice est formée par le travailleur en octobre 2011.

La décision du tribunal du travail

Par jugement du 31 juillet 2013, le tribunal du travail conclut que l’A.S.B.L. relève, pour ses ouvriers, de la C.P. 140, étant plus particulièrement, jusqu’y compris le 18 février 2010, de la 140.06 (entreprises de taxis) et, à partir de cette date, de la 140.03 (date d’institution de cette sous-commission paritaire).

Appel est interjeté par l’A.S.B.L.

Le travailleur forme appel incident, en vue de faire retenir la sous-commission paritaire 140.02 B et, à titre subsidiaire, la 140.03.

Il considère que l’objet essentiel de l’activité de l’A.S.B.L. est le transport. Il plaide à titre principal qu’il s’agit de transport rémunéré de personnes, vu l’existence de tarifs. Sa thèse subsidiaire se fonde sur la conclusion du tribunal, étant que, dans la sous-commission paritaire 140.03, est exclu le transport urbain ou régional et ceci signifie qu’elle vise non seulement le transport de choses mais également celui de personnes.

Quant à la C.P. 337, il considère que l’on ne peut s’y référer qu’à défaut de rattachement à une autre commission paritaire.

La décision de la cour

La cour rappelle en premier lieu, sur l’avis donné par le SPF Emploi, que les services de l’Inspection sociale ne sont pas compétents pour déterminer la commission paritaire dont dépend l’employeur. C’est à celui-ci de le faire, en fonction de l’activité économique de son entreprise. La compétence du SPF n’est dès lors qu’une compétence d’avis et de conseil. La cour rappelle que cet avis n’est pas obligatoire pour son destinataire et que, d’ailleurs, aucun recours n’est ouvert, ne s’agissant pas d’un acte administratif causant grief. Ce sont donc les juridictions sociales qui sont compétentes pour trancher la question. Il en découle que l’avis de l’administration a une valeur purement indicative et n’a aucune force contraignante.

Sur la question de fond, étant le ressort des commissions paritaires, la cour reprend la jurisprudence de la Cour de cassation (dont Cass., 14 mai 2007, n° S.06.0043.F, ainsi que Cass., 22 décembre 2003, n° S.03.0060.F), en vertu de laquelle, en règle, ce ressort est déterminé par l’activité principale de l’entreprise concernée – sauf si un autre critère a été retenu par l’arrêté royal d’institution. Il faut dès lors apprécier la situation in concreto, à savoir qu’il y a lieu de déterminer l’activité réellement exercée et de ne pas se limiter à la description de l’objet social.

Pour la cour, l’activité de l’A.S.B.L. n’est pas le transport mais l’accompagnement de personnes à mobilité réduite ou en perte d’autonomie. Elle écarte la référence aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur, eu égard aux termes du décret régional wallon du 18 octobre 2009 sur la question, qui a donné une définition de ce type de transport, étant qu’il doit s’agir de mise à disposition d’un véhicule en vue d’une cérémonie, du transport vers un hôtel, etc. Ceci n’étant nullement le cas en l’espèce, iIl faut écarter la C.P. 140.02 B.

Quant à la 140.03, compétente pour le transport et la logistique, elle ne trouve pas davantage à s’appliquer, dans la mesure où son arrêté royal d’institution du 22 janvier 2010 vise les entreprises de transport routier (ou tout autre transport hippomobile ou automobile) pour compte de tiers, ou encore des entreprises exerçant (exclusivement) des activités logistiques pour compte de tiers. La cour reprend la définition du terme « activités logistiques », au sens de cet arrêté royal, étant les activités de stockage, de conditionnement, de préparation, de gestion de stocks, etc., pour conclure que ces activités ne visent que des biens et non des personnes.

Le jugement du tribunal du travail, qui a conclu à l’appartenance à cette sous-commission au motif que l’exclusion du transport urbain et régional impliquerait, outre le transport de choses, celui de personnes, doit dès lors être réformé.

La cour examine si l’on peut retenir la sous-commission paritaire 140.02 et conclut également par la négative, au motif que les véhicules ne sont pas mis à disposition du public en vue de déplacements pour un prix fixé par taximètre, avec une marge bénéficiaire, les transports étant à vocation non-lucrative et les véhicules étant des minibus adaptés avec élévateur et sanglage. En outre, la tâche est fort différente de celle d’un chauffeur de taxis. Il en découle que l’A.S.B.L. ne relève d’aucune sous-commission paritaire de la commission paritaire 140.

S’agissant, au contraire, d’une activité non-lucrative, il y a lieu de classer l’entreprise dans le secteur non-marchand. Les termes du décret wallon du 18 octobre 2007 l’autorisent, étant qu’il faut entendre par là les services qui assurent, avec chauffeur, le transport rémunéré de personnes par véhicule automobile, et ce par des organismes agréés par le Gouvernement wallon, selon les modalités définies dans le texte. La cour constate que les activités de l’A.S.B.L. correspondent à ces conditions, étant qu’il s’agit de services de transport d’intérêt général. Les travaux préparatoires relèvent que la définition de cette nouvelle catégorie de services est proche de celle des taxis et taxis collectifs, mais qu’il existe entre eux une différence majeure, résidant dans la rémunération de ces services, qui ne peut être supérieure à l’indemnité kilométrique allouée aux fonctionnaires de la Région wallonne pour leurs frais de déplacement (pouvant également être fixés par forfait soumis à certaines conditions).

Son activité doit dès lors être classée dans C.P. 337, étant un service à la collectivité sans finalité lucrative.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle fort opportunément la nature subsidiaire de la compétence de la commission paritaire 337 pour le secteur non-marchand, étant qu’elle doit être retenue à défaut de pouvoir rattacher l’activité principale de l’employeur à une autre commission paritaire. Reprenant la doctrine (N. LEPOIVRE, « Du ressort des commissions paritaires », Chron. Dr. Soc., 1989, p. 161), la cour souligne que le critère peut être autre que celui de l’activité principale, s’il est fixé par l’arrêté royal d’institution. Par ailleurs, c’est l’activité concrète qui est à examiner et non celle présentée formellement.

L’arrêt est également l’occasion de rappeler la définition des services de transport d’intérêt général, dans le cadre du décret wallon du 18 octobre 2007, étant que, si cette catégorie est proche de celle des taxis et taxis collectifs, une différence majeure réside entre les deux, eu égard à la mission d’intérêt général, à savoir le service offert à la collectivité. C’est le critère de la finalité lucrative ou non qui va, en fin de compte, être déterminant.


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