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Représentant de commerce : qu’entend-on par « négociation d’affaires » ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 septembre 2015, R.G. 2013/AB/924

Mis en ligne le vendredi 8 avril 2016


Cour du travail de Bruxelles, 29 septembre 2015, R.G. 2013/AB/924

Terra Laboris

Dans un arrêt 29 septembre 2015, la Cour du travail de Bruxelles a analysé la notion de « négociation d’affaires » au sens de l’article 4 de la loi du 3 juillet 1978, rappelant que la négociation peut se dérouler en plusieurs étapes et porter sur d’autres paramètres que le prix et que le statut de représentant de commerce peut dès lors être reconnu même si l’ensemble des opérations n’est pas réalisé par celui qui le revendique.

Les faits

Une société spécialisée dans les articles promotionnels à destination des entreprises engage en 2005 un « représentant », ainsi que repris au contrat de travail. La commission paritaire est la CPNAE et il est précisé que le travailleur sera amené à accomplir éventuellement d’autres tâches accessoires ou connexes aux activités principales.

Le contrat est rompu 18 mois plus tard, la société considérant que les chiffres réalisés ne sont pas satisfaisants. Une indemnité compensatoire de préavis de 3 mois est payée.

La procédure

L’employé introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Bruxelles, en paiement d’arriérés de salaire, d’un complément d’indemnité de rupture et, surtout, d’une indemnité d’éviction.

Dans le cadre de l’instruction du dossier par le tribunal du travail, des mesures d’instruction ont été ordonnées, étant la comparution personnelle des parties ainsi que des enquêtes.

Par jugement du 6 mai 2013, le tribunal a condamné la société à des régularisations salariales et a réservé à statuer sur l’indemnité d’éviction.

La société a interjeté appel de ce jugement.

Dans le cadre de la procédure d’appel, l’employé demande que la cour statue, sur évocation, sur l’indemnité d’éviction. Se pose, dès lors, la question de l’examen du statut de l’intéressé au sein de la société.

La décision de la cour du travail

La cour renvoie, sur la notion de représentant de commerce et sur la charge de la preuve, au premier jugement (jugement interlocutoire) du tribunal du travail, qui a rappelé les principes. La notion de représentant de commerce déroge au droit commun du contrat de travail et doit dès lors faire l’objet d’une interprétation restrictive. La qualification donnée par les parties à la relation de travail dans le contrat n’est pas déterminante, qu’il s’agisse de délégué commercial, de démarcheur ou de représentant de commerce au sens de la C.C.T. sectorielle du 29 mai 1989. Le seul critère est la réalité du contenu des prestations.

L’employé doit être chargé de négocier les affaires, c’est-à-dire d’entreprendre des démarches, discussions, etc., en vue d’arriver à un accord, et ce même s’il n’a pas le pouvoir de conclure. La condition de négociations n’implique pas que celles-ci aient été conclues. Il suffit qu’elles soient entamées. Il faut dès lors renvoyer au sens courant du terme, étant qu’il doit s’agir d’entretiens ou de démarches effectuées en vue de parvenir à un accord. Conformément aux règles régissant le statut de représentant de commerce, l’employé doit pouvoir négocier des affaires et, s’il ne le peut pas, il ne peut revendiquer le statut. Il doit en outre négocier lui-même et non pas présenter un produit en vue d’une négociation future. Par ailleurs, c’est le but de l’activité, et non le résultat, qui doit être retenu.

La cour constate que l’intéressé avait une activité de prospection et de visite de la clientèle et qu’il ne négociait pas lui-même les prix et n’envoyait pas les offres aux clients. Il n’avait pas davantage le pouvoir de conclure des affaires (signature de bons de commande). C’était une activité en amont des offres de la société. Il y avait dès lors une étape intermédiaire entre la présentation des produits et le moment où le client pouvait faire une demande d’offre, de nature alors à permettre à la société de rédiger celle-ci et au client ensuite de poursuivre éventuellement de nouvelles négociations, notamment sur le prix.

Dans la mesure où l’intéressé devait nécessairement permettre à un client de rédiger une offre la plus détaillée possible, la cour retient qu’il s’agissait pour lui au moins d’aborder le contenu de la demande et que son intervention ne se limitait dès lors pas à de simples informations. La cour renvoie, sur la question, à plusieurs décisions de la Cour du travail de Liège : la négociation d’affaires implique l’existence d’un pouvoir de discussion des conditions de l’opération à conclure, mais le représentant ne doit pas disposer d’un mandat engageant son employeur. Les modalités de passation de la commande (non à l’occasion de la visite du représentant elle-même, mais directement auprès de son employeur) sont sans incidence.

La cour rejette dès lors la position de la société selon laquelle, pour qu’il y ait négociations, il faudrait que celles-ci portent sur l’ensemble des paramètres qui emportent le consentement du client. Cette condition n’est pas exigée dans l’article 4 de la loi du 3 juillet 1978, la cour précisant que la négociation d’affaires n’implique pas nécessairement la négociation du prix, au sens de cette disposition. Celle-ci n’exige pas non plus que le représentant ait été le seul intervenant pour l’ensemble de la négociation, qui peut se dérouler en plusieurs étapes.

Pour la cour, dès lors que l’intéressé pouvait exercer une « influence réelle sur le contenu de la demande du client », il négociait des affaires, étant que son rôle ne se limitait pas à présenter les articles ou à collecter des informations. Cette influence réelle constitue un élément essentiel pour la suite des négociations, même si elles n’étaient plus menées par lui. L’intéressé disposait en effet d’un réel pouvoir de discussion des conditions de l’opération à conclure et peu importe qu’il n’avait pas le pouvoir de fixer le prix final, qui était une prérogative de la direction.

Il en découle, pour la cour, que les conditions légales sont remplies, étant que l’employé prospectait et visitait une clientèle en vue de la négociation d’affaires. Il devait dès lors se voir reconnaître la qualité de représentant et, par ailleurs, sa rémunération devait être fixée conformément à la quatrième catégorie de la convention collective du 29 mai 1989 conclue au sein de la C.P. 218 (applicable à l’époque).

Reste encore, sur les conditions de l’indemnité d’éviction, à examiner la question de l’apport de clientèle. La cour rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation (dont Cass., 15 juin 1988, n° 6.171), selon laquelle l’apport de clientèle ne doit pas être notable. Il existe dès que la possibilité de commandes futures est envisageable et il faut tenir compte, dans cette appréciation, de la nature du produit ou du service, ainsi que de la personnalité des acheteurs et, également, de l’évolution des modes de consommation (c’est l’enseignement d’un arrêt de la Cour du travail de Liège du 17 janvier 2002, J.T.T., 2002, p. 340, auquel l’arrêt renvoie).

En l’espèce, l’apport ne peut être qualifié d’insignifiant. La cour écarte d’ailleurs, dans l’appréciation de l’existence de celui-ci, le chiffre d’affaires généré, puisque certains paramètres de la négociation échappaient au représentant. Enfin, elle constate que la société n’établit pas que l’intéressé n’aurait pas subi de préjudice.

Intérêt de la décision

Les discussions sur le statut de représentant de commerce sont fréquentes. Cet arrêt insiste sur un élément spécifique de la définition légale, étant la négociation d’affaires.

L’importance de cette décision de la Cour du travail de Bruxelles est d’avoir rappelé la distinction entre la mission de simple information et celle de discussions en vue de la négociation d’affaires. Y est souligné un point particulier, étant que la négociation peut être le fait de plusieurs intervenants et que celle-ci peut être retenue, même si elle ne porte pas sur les prix, qui, en l’espèce, constituaient une prérogative de la direction. Pour la cour, le critère à retenir est que l’intervention de l’employé ait exercé une influence réelle sur le contenu de la demande du client.


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