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Notion de temps de travail dans le secteur des taxis

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 octobre 2015, R.G. 2014/AL/196

Mis en ligne le vendredi 25 mars 2016


Cour du travail de Liège (div. Liège), 9 octobre 2015, R.G. 2014/AL/196

Terra Laboris

Dans un arrêt 9 octobre 2015, la Cour du travail de Liège reprend les éléments constitutifs de la notion de temps de travail pour la perception des cotisations de sécurité sociale, renvoyant notamment aux arrêts Jaeger et Simap de la C.J.U.E.

Les faits

Une société de taxis occupant près de 50 chauffeurs voit rectifier l’assiette des cotisations sociales dues à l’O.N.S.S. en juin 2002. Le principal est de près de 72.000 €. Cette rectification fait suite à un contrôle qui a notamment porté sur la durée du travail du personnel roulant. Il est intervenu dans le cadre d’une information pénale entamée à l’initiative de l’Auditorat du travail. Est en cause l’article 3 de l’arrêté royal du 14 juillet 1971 relatif à la durée du travail du personnel roulant occupé dans les entreprises de taxis et de taxis-camionnettes, qui prévoit qu’il n’est pas tenu compte, pour la détermination de la durée du travail, du temps pendant lequel l’ouvrier est à la disposition de l’employeur sans effectuer un travail effectif, le temps de pause non-comptabilisable comme temps de travail ne pouvant cependant excéder 24% du temps total de la mise à disposition.

L’inspecteur social a, en application de cette disposition, distingué (1) les jours de travail non déclarés à l’O.N.S.S., (ii) les jours où la feuille de route n’a pas été établie et pour lesquels il faut procéder à une extrapolation à raison de 12 heures par jour, (iii) les jours où aucune prestation n’a été accomplie et (iv) ceux pour lesquels les feuilles de route concordent avec les comptes individuels, eu égard au nombre de jours prestés.

Pour l’Inspection sociale, il faut entendre par « temps pendant lequel l’ouvrier est à la disposition de l’employeur sans effectuer de travail effectif » celui pendant lequel le chauffeur ne transporte pas de clients mais est néanmoins disponible pour une prise en charge éventuelle (s’agissant de temps d’attente). Ceci ne couvre pas le temps de pause réel, étant celui où le taxi est fermé et où le chauffeur n’est pas dans le véhicule. La méthode retenue a été de calculer le nombre d’heures de présence multiplié par 76%, sous déduction des heures déjà déclarées.

Une procédure a été initiée contre cette décision par la société devant le Tribunal du travail de Liège, qui, par jugement du 6 janvier 2014, l’a déboutée, confirmant le point de vue de l’Office.

Appel est interjeté.

L’avis du Ministère public

Le Ministère public considère qu’il y a lieu à confirmation du jugement, sauf pour ce qui a trait à la date de prise de cours des intérêts, dont il demande la limitation pendant la moitié de la période considérée, vu la lenteur de l’instruction du dossier en première instance.

M. l’Avocat général considère, en premier lieu, que l’avis rectificatif ne constitue pas un acte administratif au sens de l’article 1er de la loi du 29 juillet 1991. Il relève que la motivation est certes succincte, mais qu’elle satisfait à l’obligation de motivation formelle, eu égard aux éléments auxquels il est fait référence : le rapport d’enquête et l’audition de l’administratrice de la société. Ensuite, le Ministère public examine l’argument selon lequel l’O.N.S.S. n’avait pas l’autorisation d’exploiter les données résultant du dossier répressif, question soulevée par la société et le rejette : l’Auditeur du travail avait enjoint par apostille à l’O.N.S.S. de procéder aux régularisations sur la base du rapport de l’Inspection sociale et que, eu égard au principe d’unicité du Ministère public, il était dispensé de l’autorisation expresse du Procureur général pour communiquer à l’Office les éléments du dossier répressif nécessaires.

Sur le fond, la société considérant qu’il faut dissocier la question de la rémunération effectivement due et celle du temps de travail, il rappelle que la rémunération est la contrepartie du travail effectué et que, dans ce secteur d’activité notamment, les travailleurs passent une partie de l’horaire de travail à attendre le client.

La décision de la cour

La cour reprend d’abord très longuement la question de la motivation des actes administratifs, telle qu’exigée par la loi du 29 juillet 1991. Si les décisions d’assujettissement ou de désassujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés sont des actes administratifs, un avis rectificatif de cotisations n’en est pas un (la cour renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre 2000, n° S.99.0095.F).

Elle souligne en outre que, même si elle devait écarter l’acte administratif pour cause d’absence de motivation, elle serait néanmoins tenue d’examiner le dossier et de statuer sur la régularisation litigieuse. Elle ne rejoint donc pas l’avis du Ministère public, relevant que l’avis en cause était susceptible de produire des effets juridiques immédiats dans le chef de la société, puisqu’elle pouvait se voir privée de sa licence de stationnement.

Sur la régularité de la communication des données du dossier répressif, elle partage cependant cet avis, concluant que l’Auditeur du travail n’avait pas à justifier d’une autorisation expresse du Procureur général.

Sur le fond, étant la détermination de l’assiette des cotisations visées, elle souligne que la notion de rémunération dans la loi du 27 juin 1969 renvoie à celle du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs et que dans un arrêt du 1er février 2010, la Cour de cassation a par ailleurs rappelé que la rémunération à prendre en compte pour les cotisations de sécurité sociale n’est pas la rémunération au sens de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail (Cass., 1er février 2010, S.09.0065.N).

Quant à la durée du travail, elle est définie dans la loi du 16 mars 1971 sur le travail (article 19, alinéa 1er, alinéa 2 et alinéa 3, 1°), étant qu’il faut entendre par là le temps pendant lequel le personnel est à la disposition de l’employeur. L’exécution de cette disposition est intervenue dans le secteur concerné par l’arrêté royal du 14 juillet 1971 ci-dessus.

La cour en vient alors à la définition du temps de travail : c’est la période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions (étant les trois éléments constitutifs de la définition). La cour renvoie à l’arrêt JAEGER de la C.J.U.E. (C.J.U.E., 9 septembre 2003, n° C-151/02 – Landeshaubtstadt Kiel c/ Jaeger), qui a précisé que la notion de temps de travail au sens de l’article 2 de la Directive 93/104 reprend ces trois éléments constitutifs, et ce même s’il y a absence de prestations effectives de travail.

Elle conclut dès lors que la régularisation des cotisations de sécurité sociale a été effectuée correctement, sur la base de la rémunération due, mais non intégralement payée aux travailleurs, eu égard aux prestations effectuées.

La cour décide dès lors de confirmer le jugement, sous réserve de la suspension du cours des intérêts, poste pour lequel elle retient que le délai de traitement de la cause a largement excédé les bornes du délai raisonnable. La suspension est admise pour 10 ans.

Intérêt de la décision

Cet arrêt – imposant – de la Cour du travail de Liège rappelle essentiellement, outre les débats intervenus en doctrine et en jurisprudence sur l’obligation de motivation formelle des avis rectificatifs de l’O.N.S.S., que la notion de temps de travail, étant le temps à rémunérer par l’employeur, a été balisée par la jurisprudence de la Cour de Justice au sens de la Directive n° 93/104.

L’arrêt JAEGER concernait les périodes de garde de médecins effectuant celles-ci dans un hôpital où ils étaient contraints d’être physiquement présents sur le lieu déterminé par l’employeur et de s’y tenir à la disposition de ce dernier pour pouvoir immédiatement fournir leurs services.

La Cour de Justice renvoyait également, dans cet arrêt, à l’arrêt SIMAP (C.J.U.E., 3 octobre 2000, n° C-303/98 – Sindicato de Médicos de Asistencia Pública (Simap) c/ Conselleria de Sanidad y Consumo de la Generalidad Valenciana), dans lequel il avait été précisé que ces obligations mettaient les intéressés dans l’impossibilité de choisir leur lieu de séjour pendant les périodes d’attente.


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