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Exigence de la réparation intégrale en cas de licenciement discriminatoire sur un critère de genre

Commentaire de C.J.U.E., 17 décembre 2015, n° C-407/14

Mis en ligne le vendredi 11 mars 2016


Cour de Justice de l’Union européenne, 17 décembre 2015, n° C-407/14

Terra Laboris

La Cour de Justice a été saisie d’une question préjudicielle posée par le Juzgado de la Social (tribunal du travail) n° 1 de Cordoue (Tribunal du travail) portant sur l’article 18 de la Directive n° 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.

Le litige se meut dans le cadre du licenciement d’un agent féminin de sécurité travaillant dans un établissement pénitentiaire (pour mineurs). Suite à son licenciement, intervenu en avril 2014, l’intéressée a contesté la rupture, au motif principal qu’il y avait discrimination fondée sur le sexe. L’objet de la demande était l’octroi de dommages et intérêts d’un montant de 6.000 €.

Le juge interne fait valoir, dans la question préjudicielle, qu’il a déjà conclu au caractère discriminatoire du licenciement et que l’objet de la question est le montant de l’indemnisation, l’article 18 de la Directive n° 2006/54/CE prévoyant que le préjudice doit être réparé ou indemnisé de manière dissuasive. La question est posée de savoir s’il faut accorder des dommages et intérêts allant au-delà de l’indemnisation intégrale du préjudice subi, et ce à titre « punitif » afin de servir d’exemple.

La Cour de Justice est dès lors saisie de la question de savoir si l’article 18 peut être interprété en ce sens qu’il permet au juge national de prononcer à titre supplémentaire la condamnation à des dommages et intérêts punitifs raisonnables, étant une somme supplémentaire, qui, bien qu’elle soit au-delà de la réparation intégrale du préjudice réel subi, doit servir d’exemple – et ce dans la mesure où la somme reste dans les limites de ce qui est proportionné. La question précise encore que la notion de « dommages et intérêts punitifs » est étrangère à la tradition juridique espagnole.

La décision de la Cour

La Cour rappelle en premier lieu que le texte de l’article 6 a évolué avec le temps.

Initialement (Directive n° 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976), il disposait que les Etats membres introduisent dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour permettre à toute personne qui s’estime lésée par la non-application à son égard du principe de l’égalité de traitement de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle, après éventuellement le recours à d’autres instances compétentes.

Suite à la Directive n° 2002/73/CE du 23 septembre 2002, l’article 6 a été modifié. L’obligation des Etats membres, dans ce texte, est de veiller à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives, y compris éventuellement des procédures de conciliation, visant à faire respecter les obligations découlant de la Directive, soient accessibles à toute personne qui s’estime lésée pour la même raison, même après que les relations dans lesquelles la discrimination est présumée s’être produite ont cessé.

Les Etats doivent également introduire dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour veiller à ce que le préjudice subi soit effectivement réparé ou indemnisé selon des modalités qu’ils fixent de manière dissuasive et proportionnée par rapport au dommage subi. Le texte précise encore que la compensation (ou réparation) ne peut être a priori limitée par un plafond maximal, sauf si l’employeur peut prouver que le seul dommage subi suite à la discrimination est le refus de prendre en considération la demande d’emploi de la victime de celle-ci.

Une nouvelle disposition a été ajoutée, étant un article 8quinquies, prévoyant que les Etats membres doivent déterminer le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées, conformément à la Directive, et prendre toutes mesures nécessaires pour assurer leur application. Ces sanctions, qui peuvent être le versement d’indemnités, doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.

Ultérieurement, la Directive n° 76/207 a été abrogée, et ce par la Directive n° 2006/54 du 5 juillet 2006, qui prévoit actuellement, sur le plan de l’indemnisation (ou réparation), dans son article 18, que les Etats membres doivent introduire dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour veiller à ce que le préjudice subi soit effectivement réparé ou indemnisé, selon des modalités qu’ils fixent, de manière dissuasive et proportionnée au préjudice subi. Comme auparavant, un plafond maximal n’est pas autorisé, sauf si l’employeur peut prouver que le seul dommage subi est le refus de prendre en considération une demande d’emploi. Pour ce qui est des sanctions, l’article 25 prévoit qu’elles sont de la compétence des Etats membres, qui doivent prendre toutes mesures nécessaires pour en assurer l’application. Ces sanctions peuvent comprendre le versement d’indemnités, mais avoir un caractère effectif, proportionné et dissuasif.

Des dispositions plus favorables peuvent être adoptées, en vertu de l’article 27, qui rappelle qu’il s’agit de prescriptions minimales.

La Cour rappelle les règles du droit interne, étant qu’il appartient au juge, en cas de violation, de déterminer le montant des dommages et intérêts en fonction tant du dommage moral lié à la violation du droit fondamental que des préjudices supplémentaires qui en découlent. Le principe est de rétablir autant que faire se peut la victime dans sa situation antérieure, ainsi que de contribuer à l’objectif de prévention du dommage.

L’article 18 actuel reprend donc le libellé de l’article 6, § 2, de la Directive n° 76/207 tel que modifié par la Directive n° 2002/73.

La Cour de Justice expose sa jurisprudence sur la question, rappelant que le droit communautaire laisse aux Etats membres la liberté de choisir parmi les différentes solutions propres à réaliser l’objectif poursuivi. Cependant, les mesures prises doivent assurer une protection juridictionnelle effective et efficace et avoir un effet dissuasif réel. Ceci implique de tenir compte des caractéristiques propres de chaque situation. En cas de licenciement discriminatoire, à défaut de réintégration, il faut se tourner vers la réparation pécuniaire du préjudice subi et celle-ci, si elle est la mesure retenue, doit permettre de compenser intégralement les préjudices effectivement encourus du fait du licenciement, et ce selon les règles nationales.

Pour la Cour, le texte initial (Directive n° 76/207) n’impliquait pas l’attribution de dommages et intérêts punitifs qui vont au-delà de la réparation intégrale des préjudices effectivement subis et qui constituent une sanction. Le texte actuel n’a pas modifié ce principe. Les Etats membres doivent dès lors introduire dans leur ordre juridique interne les mesures permettant de prévoir le versement de dommages intérêts couvrant la totalité du préjudice subi, mais non des dommages et intérêts « punitifs ». La Cour souligne encore qu’en vertu de l’article 25, de tels dommages et intérêts punitifs peuvent être prévus par les Etats membres, en cas de discrimination fondée sur le sexe. En l’occurrence, celle-ci n’existant pas en droit espagnol, le juge national ne peut pas lui-même prononcer une telle condamnation.

La Cour ajoute encore que, si un Etat-membre décidait d’adopter de telles mesures, il faudrait respecter les principes d’équivalence et d’effectivité de la sanction.

La réponse à la question est dès lors que l’article 18 impose aux Etats membres qui choisissent la forme pécuniaire de réparation d’introduire dans leur ordre juridique interne, selon des modalités qu’ils restent libres de fixer, des mesures prévoyant le versement de dommages et intérêts couvrant intégralement le préjudice subi.

Intérêt de la décision

Outre le rappel de toute une série de décisions rendues par la Cour dans le cadre des différents textes successifs, décisions qui ont d’ailleurs amené à la modification de ces Directives, l’arrêt contient un principe important, étant celui de la réparation intégrale du dommage. Les Etats membres doivent introduire, dans leur ordre juridique interne, en application de la norme européenne, des mesures permettant de couvrir cette réparation intégrale. Il appartient au juge, en cas de violation, de déterminer le montant des dommages et intérêts en fonction tant du dommage moral lié à la violation du droit fondamental que des préjudices supplémentaires qui en découlent.

La Cour souligne encore qu’à défaut pour l’Etat-membre d’avoir introduit de telles mesures, le juge ne peut se substituer au législateur.


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