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Cotisations de sécurité sociale : conditions de l’interruption de la prescription

Commentaire de C. trav. Mons, 12 février 2015, R.G. 2013/AM/418

Mis en ligne le jeudi 10 mars 2016


Cour du travail de Mons, 12 février 2015, R.G. 2013/AM/418

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 février 2015, la Cour du travail de Mons reprend les conditions légales requises pour qu’une lettre recommandée puisse avoir un effet interruptif de prescription, rappelant que la seule formalité de l’envoi recommandé ne suffit pas : il faut qu’elle ne laisse planer aucun doute dans l’esprit de celui à qui il s’adresse.

Les faits

En décembre 2008, l’O.N.S.S. adresse à une gérante d’un salon de coiffure un courrier recommandé l’informant de l’existence d’un contrôle général effectué par l’Inspection sociale, eu égard à la situation juridique de stagiaires placés par une A.S.B.L. au sein de divers salons.

L’Office précise que le courrier a pour but d’interrompre le cours de la prescription, en ce qui concerne les cotisations de sécurité sociale, celles-ci étant fixées provisoirement à 1 €.

En avril 2011, une décision de régularisation d’office est notifiée, relative à l’occupation d’une stagiaire entre décembre 2003 et mars 2005 et d’une autre pour une période plus brève, à la même époque.

Les cotisations sont fixées et, vu le non-paiement, une citation est signifiée en décembre 2011 devant le Tribunal du travail de Mons (section de La Louvière).

Citation en intervention forcée et garantie est lancée contre l’A.S.B.L., ainsi que contre son gérant. Par jugement du 20 juin 2013, le tribunal du travail condamne la gérante du salon aux cotisations réclamées et déclare la demande en intervention forcée et garantie fondée vis-à-vis de l’A.S.B.L., mais non vis-à-vis de son gérant.

Appel est interjeté par l’intéressée. Il ne concerne que l’O.N.S.S.

Position des parties devant la cour

La partie appelante conteste la requalification de la convention de stage en contrat de travail et fait également valoir que la demande de l’Office est prescrite.

Quant à celui-ci, il sollicite la confirmation du jugement et estime qu’il n’y a pas prescription.

La décision de la cour

La cour examine uniquement la question de la prescription.

Elle rappelle en premier lieu que, jusqu’au 1er janvier 2009, le délai de prescription était de 5 ans à partir de la date d’exigibilité du paiement des cotisations, délai actuellement de 3 ans. C’est l’apport d’une loi-programme du 22 décembre 2008, dont l’article 75 prévoit des mesures transitoires pour les créances qui n’étaient pas prescrites à la date d’entrée en vigueur de son article 74 (qui a introduit le délai de 3 ans), mais qui le seraient déjà selon le nouveau délai. Pour celles-ci, la date de prescription est fixée au 1er janvier 2009.
Le délai de prescription commence à courir à l’exigibilité des cotisations, celles-ci devant être payées au plus tard le dernier jour du mois qui suit le trimestre auquel elles se rapportent.

Les cotisations en cause, relatives à la période de 2003 à 2005, n’étaient ainsi pas prescrites selon le délai de 5 ans, mais l’auraient été sur la base de celui de 3 ans, de telle sorte qu’elles doivent se voir appliquer la disposition transitoire.

L’Office considère avoir interrompu la prescription par sa lettre recommandée du 11 décembre 2008. Pour la cour, qui renvoie à un précédent arrêt (C. trav. Mons, 14 novembre 2013, R.G. 2012/AM/336), ainsi qu’à la doctrine (J.-F. FUNCK, Droit de la sécurité sociale, Larcier, 2006, p. 78), toute lettre recommandée n’est pas interruptive de prescription, ce qui est exigé étant une sommation, révélatrice de la manifestation de volonté du créancier d’exercer son droit et d’obtenir le paiement de sa créance. Ce principe est encore reflété dans le nouvel article 2244 du Code civil, son § 2, alinéa 4, prévoyant comme mode interruptif la mise en demeure envoyée par l’avocat du créancier, par l’huissier de justice désigné à cette fin par celui-ci ou par la personne pouvant ester en justice au nom du créancier en vertu de l’article 728, § 3, du Code judiciaire. Des précisions sont également exigées par la disposition légale, étant que cette mise en demeure doit contenir de façon complète et explicite notamment la description de l’obligation qui a fait naître la créance et, si celle-ci porte sur une somme d’argent, la justification de tous les montants réclamés.

Il faut donc que l’acte ne laisse planer aucun doute dans l’esprit de celui à qui il s’adresse.

Examinant la lettre recommandée du 11 décembre 2008, la cour considère qu’elle ne remplit pas ces conditions, et ce d’autant que l’Office y annonce simplement qu’il va procéder à une analyse de la situation sans cependant dénoncer aucun fait. Ce n’est que lors de l’enquête de l’Inspection sociale, deux ans plus tard, que l’existence d’une dette sera établie. La lettre recommandée ne pouvait dès lors avoir d’effet interruptif.

La cour relève encore à juste titre qu’en prévoyant que le nouveau délai de 3 ans commencerait à courir à partir de la date d’exigibilité des créances, en ce compris à celles nées avant la date d’entrée en vigueur de la loi, le législateur a manifesté clairement sa volonté de s’écarter des principes en la matière, possibilité que lui offre d’ailleurs la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 12 février 2007, Pas., I, p. 303).

L’ensemble des cotisations se révèlent dès lors prescrites vu l’absence d’effet interruptif de la lettre du 11 décembre 2008.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle à très juste titre les conditions légales de la sommation en matière civile. Toute lettre recommandée ne peut en effet avoir un effet interruptif de prescription au sens des articles 2244 et suivants du Code civil.

L’on peut très utilement rappeler à cet égard – et la cour y fait d’ailleurs un renvoi exprès – un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 18 novembre 2009 (C. trav. Bruxelles, 18 novembre 2009, R.G. 2008/AB/51.108) rendu en matière de chômage, relatif à l’application de l’article 7, § 13, de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944. La Cour du travail de Bruxelles y a considéré que la loi édicte en faveur de l’ONEm une règle dérogatoire au droit commun, lorsqu’elle autorise l’interruption de la prescription par lettre recommandée et qu’une telle règle doit être de stricte interprétation. Pour être interruptive de prescription, cette lettre recommandée doit contenir la manifestation de volonté de l’intention du créancier d’obtenir paiement de sa créance.

L’on peut encore rappeler avec la Cour du travail de Mons que cette exigence est encore contenue dans l’actuel article 2244 du Code civil modifié par la loi du 23 mai 2013 (loi modifiant l’article 2244 du Code civil pour attribuer un effet interruptif de la prescription à la lettre de mise en demeure de l’avocat, de l’huissier de justice ou de la personne pouvant ester en justice en vertu de l’article 728, § 3, du Code judiciaire). L’article 2244 prévoit d’ailleurs toute une série de mentions expresses que doit contenir la mise en demeure pour bénéficier de cet effet interruptif. Vu le détail des exigences des mentions légales, nous renvoyons au texte de la disposition.


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