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Revenu d’intégration sociale et défaut de la collaboration : une mise au point de la Cour de cassation

Commentaire de Cass., 22 juin 2015, n° S.14.0092.F

Mis en ligne le vendredi 26 février 2016


Cour de cassation, 22 juin 2015, n° S.14.0092.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 22 juin 2015, la Cour de cassation a jugé, en matière de revenu d’intégration sociale, que, si la collaboration tardive d’un demandeur de R.I.S. n’est pas sanctionnée en tant que telle, elle peut néanmoins aboutir à un refus d’octroi de la part du Centre pour la période pour laquelle il ne dispose pas des éléments nécessaires à l’examen de la demande.

Rétroactes

Le C.P.A.S. d’Ixelles décide, vis-à-vis d’un assuré social, de la suspension du bénéfice du revenu d’intégration à partir du 1er juin 2011. Celui-ci conteste la décision et introduit une procédure devant les juridictions du travail de Bruxelles.

L’arrêt de la cour du travail

Par arrêt du 8 juillet 2014, la cour du travail confirme le bien-fondé de la position du C.P.A.S., qui avait conclu à un défaut de collaboration dans le chef du demandeur, soulignant qu’existait un contexte de méfiance, le fait que sa compagne exerçait une activité salariée n’ayant pas été porté à la connaissance du Centre. Aussi avait-il été demandé à l’intéressé de produire les extraits du compte bancaire pour toute l’année 2011. Dans un premier temps, celui-ci ne fournit que ceux relatifs à un mois (octobre). Considérant qu’il était dans l’impossibilité de vérifier sa situation ainsi que son éventuel état de besoin, le Centre avait déploré un manquement au devoir général de collaboration avec les services sociaux (article 19, § 2, de la loi du 26 mai 2002) et pris la décision litigieuse.

L’octroi du R.I.S. était réintervenu un an plus tard, soit à la mi-2012, l’ensemble des éléments d’ordre bancaire ayant à ce moment été fournis.

La cour du travail constate que se pose ainsi uniquement une question d’arriérés, étant ceux relatifs à la période du 1er juin 2011 à la mi-juillet 2012. La question posée est de savoir si le revenu d’intégration sociale devait être accordé rétroactivement, dès lors qu’il y avait en l’espèce collaboration tardive de l’intéressé et que l’examen des documents produits n’avait révélé aucune ressource particulière, hors celles qui étaient déjà connues.

Pour la cour, qui renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 30 novembre 2009 (Cass., 30 novembre 2009, n° S.09.0019.N), le Centre peut refuser l’octroi du revenu d’intégration pour la période pendant laquelle il ne dispose pas des éléments nécessaires à l’examen de celle-ci, eu égard à un manque de collaboration dans le chef du demandeur du R.I.S. La cour précise que raisonner autrement impliquerait que le R.I.S. pourrait être récupéré pour le passé, et ce à un moment où, vu l’écoulement du temps, le C.P.A.S. ne serait plus en mesure de vérifier les informations fournies.

Le pourvoi

Un pourvoi est introduit, fondé sur diverses dispositions de la loi du 26 mai 2002, dont spécialement les articles 19, § 2 (enquête sociale), 21, § 5 (prise de cours de la décision) et 22, § 2 (prise de cours d’une décision de revision).

Le moyen fait valoir que, sous réserve du respect des autres conditions légales, le droit au R.I.S. existe à partir de la demande ou, s’il s’agit d’une revision, à partir de celui où le motif de la revision est apparu, et ce indépendamment des erreurs, de l’ignorance, de la négligence ou encore de la faute du demandeur. Aucun délai n’est par ailleurs prévu dans la loi pour fournir les renseignements utiles à l’examen.

Il considère qu’il y a violation de plusieurs dispositions de la loi du 26 mai 2002, dans la mesure où, d’une part, l’arrêt de la cour du travail a constaté que l’intéressé, qui a collaboré tardivement à l’examen de la demande, ne celait aucune ressource particulière (hors les revenus connus) et où, de l’autre, il y a eu refus du revenu d’intégration pour la période correspondante. La cour ne pouvait à la fois constater que la situation de l’intéressé était, en fin de compte, conforme et admettre que le revenu d’intégration n’était pas dû.

La décision de la Cour de cassation

La Cour rejette le pourvoi. Elle considère en effet que, si l’article 19, § 2, de la loi du 26 mai 2002 n’impose pas de délai pour fournir les renseignements demandés par le Centre dans le cadre de l’examen de la demande et si l’exécution de cette obligation ne constitue pas une condition dont le défaut priverait l’intéressé du droit à l’intégration sociale, ce défaut peut néanmoins empêcher de vérifier que les conditions d’octroi sont réunies.

Pour la Cour, le C.P.A.S. peut refuser le droit au revenu d’intégration pour la période pour laquelle il ne dispose pas des éléments nécessaires à l’examen de la demande.

La cour du travail a considéré qu’il appartient au demandeur de R.I.S. de prouver qu’il se trouve dans les conditions d’octroi et, vu la collaboration tardive, elle a jugé que l’intéressé ne peut récupérer un droit pour le passé, dans la mesure où, vu l’écoulement du temps, le C.P.A.S. pourrait ne plus être à-même de vérifier les informations fournies. Ce faisant, elle a justifié sa décision, dans la mesure où il ressort que, selon son appréciation, les conditions du droit à l’intégration ne peuvent plus être vérifiées pour la période litigieuse.

La Cour de cassation souligne encore qu’il n’a pas ici été fait application de l’article 30 visé dans le pourvoi), les sanctions administratives intervenant en cas d’omission de déclaration ou de déclarations inexactes ou incomplètes – ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt important, sur la matière du revenu d’intégration sociale, il a été souligné, dans le pourvoi, que la loi ne prévoit pas de délai pour la fourniture des renseignements utiles à l’examen de la demande et que le droit au revenu d’intégration sociale ne dépend pas de la date à laquelle l’assuré social a produit la preuve de la réunion des conditions d’octroi. Il n’empêche que, si la collaboration tardive n’est pas sanctionnée en tant que telle, elle peut néanmoins avoir des effets négatifs pour le demandeur de revenu d’intégration, dans la mesure où le Centre peut ne plus être en mesure de vérifier si les conditions d’octroi sont réunies pour la période litigieuse.

L’on rappellera également que cette obligation de collaboration n’est pas une condition d’octroi en elle-même, mais est un élément permettant de vérifier si est remplie une des conditions d’octroi reprises à l’article 3 de la loi, étant le fait de ne pas disposer de ressources suffisantes.

Il peut encore être souligné que la solution dégagée par la Cour de cassation est généralement retenue. Ainsi, dans un arrêt du 21 octobre 2015 (C. trav. Mons, 21 octobre 2015, R.G. 2014/AM/388), la cour du travail de Mons a rappelé cette règle : si le respect du devoir de collaboration n’est pas une condition d’octroi du revenu d’intégration, il reste qu’il constitue un obstacle à cet octroi dans le cas où le C.P.A.S. se trouve dans l’impossibilité de vérifier si les conditions sont réunies dans le chef du demandeur.


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