Terralaboris asbl

Appréciation de la capacité de travail pour l’octroi d’allocations de chômage

Commentaire de C. trav. Mons, 20 novembre 2014 et 7 octobre 2015, R.G. 2012/AM/379

Mis en ligne le mardi 23 février 2016


Cour du travail de Mons, 20 novembre 2014 et 7 octobre 2015, R.G. 2012/AM/379

Terra Laboris

Saisie d’un recours contre une décision de l’ONEm considérant qu’une personne ne peut bénéficier d’allocations de chômage vu qu’elle n’aurait jamais eu de capacité de travail, la Cour du travail de Mons rappelle dans un arrêt du 7 octobre 2015 que les décisions des médecins conseils intervenant dans le cadre de la réglementation chômage ou AMI n’ont pas de caractère contraignant l’une vis-à-vis de l’autre.

Les faits

Une assurée sociale est admise aux allocations d’attente en 2002. Son code indique qu’elle a travaillé au moins un total de 13 semaines (WA). En septembre 2007, elle est reconnue incapable de travailler et bénéficie alors d’indemnités A.M.I., et ce pendant 3 ans et demi.

Le médecin-conseil met ultérieurement un terme à l’incapacité, ce sur quoi l’intéressée marque accord. Elle sollicite alors le bénéfice des allocations de chômage et demande notamment, vu une inaptitude permanente de 33%, de ne pas passer au forfait (article 114 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991). Elle est alors examinée par le médecin-conseil de l’ONEm, qui constate qu’elle est atteinte d’une incapacité permanente d’au moins 33%. Il précise que l’intéressée n’a jamais présenté de capacité de gain.

Elle est alors entendue, peu de temps après, par l’ONEm, qui décide de son exclusion au motif qu’elle n’est pas disponible pour le marché de l’emploi, vu la conclusion de son médecin-conseil (absence de capacité de gain). Elle est renvoyée vers le SPF Sécurité sociale (prestations aux personnes handicapées) pour la période où elle n’a pas été prise en charge dans le secteur AMI.

Près de 3 mois plus tard, elle est reprise en charge par sa mutuelle.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Mons (section de La Louvière), qui rend un jugement le 27 septembre 2012. La décision de l’ONEm est partiellement annulée, laissant cependant l’intéressée dans la même situation au niveau de sa couverture sociale.

Elle interjette appel.

Moyens des parties devant la cour

L’intéressée conteste que le médecin de l’ONEm ait le pouvoir de se prononcer sur la capacité de gain au sens de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Elle rappelle, sur les faits, qu’elle a suivi une procédure d’activation entre 2005 et 2006. Elle considère que l’on ne peut conclure à l’absence de capacité de gain et conteste devoir dépendre du régime résiduaire des prestations aux personnes handicapées.

Quant à l’ONEm, il relève, outre l’application combinée des articles 56, § 1er, 60 et 62 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qu’étant inapte au travail, vu qu’elle ne présente pas de capacité de gain, l’intéressée ne serait pas disponible sur le marché du travail. Elle ne remplit dès lors pas une condition d’octroi.

Les décisions de la cour

L’arrêt du 20 novembre 2014

La cour rend un premier arrêt en date du 20 novembre 2014. Cet arrêt contient un rappel important des principes relatifs au constat de l’aptitude au travail, ainsi que de cette notion spécifique d’aptitude dans la réglementation chômage.

La cour relève en premier lieu que l’aptitude au travail est une condition d’octroi des allocations et que, si elle n’est pas contrôlée systématiquement, ce droit de contrôle existe bel et bien. Ceci a été fait en l’espèce. La cour en vient dès lors à la définition de l’aptitude au travail dans le secteur chômage, puisque l’article 60 de l’arrêté royal renvoie à la notion d’incapacité en A.M.I. : pour bénéficier des allocations de chômage, le travailleur doit être apte au travail au sens de cette législation. Il faut dès lors renvoyer à l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Celui-ci subordonne la reconnaissance de l’incapacité à trois conditions, étant (i) la cessation des activités, (ii) la réduction de capacité de gain des deux tiers et (iii) le lien entre la cessation des activités et le début ou l’aggravation des lésions et troubles fonctionnels, cause de la réduction de capacité.

C’est ce dernier critère qui est questionné en l’espèce et la cour rappelle la modification intervenue dans la législation par un arrêté royal du 23 mars 1982. Il en découle qu’au moment de son entrée sur le marché du travail, l’assuré social doit justifier d’une capacité de gain de plus de deux tiers et que, s’il n’avait pas de capacité de gain, l’aggravation de son état de santé ne peut ouvrir le droit aux indemnités A.M.I. au sens de l’article 100.

Elle renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 3 mars 1988 (Cass., 3 mars 1988, Arr. Cass., 1988, p. 907), selon lequel on ne peut pas perdre une seconde fois une capacité de travail déjà perdue par le passé. Si le travailleur est inapte au sens de l’article 100 parce qu’il n’a jamais présenté une réelle capacité de travail, il est également inapte au sens de l’article 60 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, puisque cette dernière disposition renvoie à la première.

Se pose cependant la question du caractère contraignant de la décision prise par un médecin-conseil vis-à-vis d’une autre institution de sécurité sociale. Pour la cour, le constat du médecin-conseil ne pouvait avoir aucune incidence sur le droit de l’intéressée aux allocations de chômage. A supposer, selon les propres termes de l’arrêt, ce constat exact, l’intéressée n’était en effet pas incapable au sens de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Elle doit dès lors être considérée comme apte au sens de l’article 60.

La cour rappelle encore que, dès lors qu’elle a été reprise dans le secteur A.M.I. ultérieurement, c’est qu’une capacité de travail lui était reconnue. La cour pose encore dans cet arrêt une dernière question, étant de savoir si, dans la mesure où l’ONEm est contraint en vertu de l’article 60 de l’arrêté royal de prendre en charge les chômeurs qui n’ont jamais eu de capacité de gain, et ce de la même manière que ceux qui ont eu celle-ci, il n’y a pas là une situation qui manquerait de justification objective et raisonnable et qui serait, partant, contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. La cour rouvre les débats, sur la base du contrôle de constitutionnalité de la norme, imposée par l’article 159 de la Constitution.

L’arrêt du 7 octobre 2015

La cour rend un second arrêt, en date du 7 octobre 2015. Celui-ci est essentiellement consacré à la conformité de l’article 60 de l’arrêté royal avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Elle considère que les personnes qui n’ont jamais eu de capacité de gain et pour qui la réduction de cette capacité est permanente n’ont pas pour vocation d’accéder au marché du travail et aux revenus que celui-ci est susceptible de leur procurer. Cette situation diffère fondamentalement de celle des ex-étudiants ou ex-travailleurs qui ont disposé d’une telle capacité. L’article 60 doit dès lors être considéré comme engendrant une situation qui n’est pas susceptible de justification objective et raisonnable. La cour considère qu’il est contraire aux normes constitutionnelles. Elle en écarte dès lors l’application.

Cette conclusion aboutit, en l’espèce, au constat que, dans un premier temps, l’intéressée a été reconnue en incapacité de travail et indemnisée par son organisme assureur pendant trois ans et demi et qu’elle a été réadmise ultérieurement. Ces décisions signifient « implicitement mais certainement » (selon les termes de l’arrêt) qu’elle a toujours présenté une capacité de gain et que ces éléments sont de nature à contrarier valablement le point de vue du médecin de l’ONEm, fondement de la décision administrative. La cour annule dès lors cette décision, qui est inadéquatement motivée, dans la mesure où elle se réfère à l’absence de disponibilité sur le marché de l’emploi. L’intéressée ne peut être exclue dès lors qu’elle doit être considérée comme apte au travail au sens de la législation en matière A.M.I. et qu’ainsi, elle réunit une des conditions d’octroi pour prétendre au bénéfice des allocations de chômage.

Intérêt de la décision

Ce cas de figure, tranché par la Cour du travail de Mons, n’est pas rare, étant que, vu le renvoi de la réglementation chômage vers les critères de l’article 100 de la loi du 14 juillet 1994, dès lors qu’une personne subit une réduction de plus de deux tiers de sa capacité de travail, elle est automatiquement renvoyée vers le secteur chômage. En l’occurrence, la spécificité de l’arrêt est d’avoir écarté l’article 60 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui dispose que, pour bénéficier des allocations, le travailleur doit être apte au travail au sens de la législation relative à l’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité. La cour rejette, ainsi, que le contrôle de l’existence d’une capacité initiale de gain puisse être effectué au niveau de la demande des allocations de chômage. En l’occurrence, le constat de l’absence de capacité de gain avait amené le médecin-conseil de l’ONEm à conclure qu’une autre condition d’octroi n’était pas remplie, étant l’absence de disponibilité sur le marché du travail.

Pour la cour du travail, l’article 60 ne peut trouver à s’appliquer, dans la mesure où il implique une aptitude au travail au sens de la législation A.M.I. (cette législation admettant que peut exister une absence de capacité de travail, qui ferait en sorte que les conditions d’octroi des indemnités A.M.I. ne sont pas remplies). Pour la Cour du travail de Mons, dès lors qu’il y a incapacité de travail en A.M.I., il faut conclure à l’aptitude au travail en chômage.

La solution alternative, qui, de manière traditionnelle, renvoie les personnes dans cette situation vers les prestations aux personnes handicapées, n’est dès lors pas la solution à retenir. Un droit dans le régime contributif existe en effet du fait de l’application des dispositions.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be