Terralaboris asbl

Non-discrimination en fonction de l’âge

Commentaire de C.J.U.E., 26 février 2015, C-515/13, C.J.U.E. 9 septembre 2015, C-20/13 et C.J.U.E., 1er octobre 2015, C-432/14

Mis en ligne le lundi 15 février 2016


NON-DISCRIMINATION EN FONCTION DE L’ÂGE

Terra Laboris

Le principe de non-discrimination en fonction de l’âge est consacré à l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et est concrétisé par la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.
La Cour de Justice de l’Union européenne est régulièrement interrogée sur l’éventualité de telles discriminations dans les systèmes nationaux.
Nous évoquons ci-après les trois derniers arrêts rendus sur questions préjudicielles.
Le premier porte sur l’interprétation du principe de non-discrimination, le deuxième sur les articles 2, paragraphe 2, sous a), et 6, paragraphe 1, de la directive et le troisième sur les articles 2, 3, paragraphe 1, sous c), et 6, paragraphe 1 de celle-ci.

1.
C.J.U.E., 1er octobre 2015, C-432/14 (O. c/ BIO PHILIPPE AUGUSTE SARL)

Le code du travail français dispose (art. L.1243) que si, à l’issue d’un contrat de travail à durée déterminée, les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un contrat à durée indéterminée, le salarié a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité de fin de contrat destinée à compenser la précarité de sa situation (indemnité égale à 10 % de la rémunération totale brute versée au salarié). Celle-ci n’est cependant pas due notamment lorsque le contrat est conclu avec un jeune pour une période comprise dans ses vacances scolaires ou universitaires.

Le litige concerne un étudiant engagé dans le cadre d’un contrat à durée déterminée pendant ses vacances universitaires. Après un détour par la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel, l’affaire est revenue devant le Conseil des Prud’hommes de Paris, qui a demandé à la Cour de Justice si le principe général de non-discrimination en fonction de l’âge fait ou non obstacle à une telle législation nationale qui exclut les jeunes travaillant durant leurs vacances scolaires ou universitaires du bénéfice d’une indemnité de précarité due en cas d’emploi sous forme de contrat à durée déterminée non suivi d’une offre d’emploi à durée indéterminée.

La première question à trancher est de savoir si le requérant peut être qualifié de ‘travailleur’.

La C.J.U.E. en rappelle la définition (autonome en droit européen) : doit être considérée comme « travailleur », au sens de l’article 45 TFUE, toute personne qui exerce des activités réelles et effectives, à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires. La caractéristique de la relation de travail est la circonstance qu’une personne accomplit pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération.

En cas d’activité exercée pendant une période de temps très brève (4 jours en l’espèce) et en horaire réduit, celle-ci peut néanmoins donner lieu à la qualité de ‘travailleur’ dans le cadre d’une appréciation globale, ainsi eu égard à d’éventuels droits à des congés payés, au maintien du salaire en cas de maladie, à la soumission du contrat de travail à la convention collective applicable, au versement de cotisations et, le cas échéant, à la nature de celles-ci. C’est à la juridiction de renvoi de déterminer si l’intéressé peut être qualifié de ‘travailleur’ au sens de ces critères. Si tel devait être le cas, la Cour rappelle que les États membres disposent dans la réalisation du principe de l’égalité de traitement d’une large marge d’appréciation dans le choix non seulement de la poursuite d’un objectif déterminé parmi d’autres en matière de politique sociale et d’emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser.

En particulier, l’exigence tenant au caractère comparable des situations aux fins de déterminer l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement doit être appréciée au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent, cet examen devant être effectué non pas de manière globale et abstraite, mais de manière spécifique et concrète au vu de la prestation concernée.

Le législateur français a, implicitement mais nécessairement, considéré que ces jeunes ne sont pas, à l’expiration de leur contrat, dans une situation de précarité professionnelle, puisqu’ils ont vocation à reprendre leurs études au terme de ces vacances.

La Cour conclut que, en considérant que la situation des jeunes engagés dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée pour une période comprise dans leurs vacances scolaires ou universitaires n’est pas comparable à celle des autres catégories de travailleurs éligibles à l’indemnité de fin de contrat, le législateur national n’a nullement outrepassé les limites de la marge d’appréciation dont il dispose en matière de politique sociale.

Le dispositif de l’arrêt est donc que le principe de non-discrimination en fonction de l’âge, consacré à l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et concrétisé par la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ne s’oppose pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle une indemnité de fin de contrat (versée au titre de complément de salaire à l’issue d’un contrat de travail à durée déterminée lorsque les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un contrat à durée indéterminée) n’est pas due dans le cas où le contrat est conclu avec un jeune pour une période comprise dans ses vacances scolaires ou universitaires.

2.
C.J.U.E., 26 février 2015, C-515/13 (INGENIØRFORENINGEN I DANMARK c/ TEKNIQ)

Un ingénieur danois travaille au-delà de l’âge normal de la pension. Lorsqu’il arrive à 67 ans, il est licencié au terme d’un préavis de six mois, conformément à la loi compte tenu de son ancienneté. Étant donné que, âgé de plus de 65 ans, il peut prétendre au bénéfice de la pension de retraite du régime général, l’employeur ne lui a pas versé l’indemnité spéciale de licenciement prévue en cas de fin de contrat, dans la mesure où la loi prévoit que le salarié éligible au bénéfice de celle-ci perd le droit à l’indemnité en cause, même s’il continue à exercer une activité professionnelle (ce qu’il a fait) et même s’il a demandé que le versement de cette pension soit différé (ce qu’il a également fait).
Il travaille pendant toute la période du préavis et, à l’échéance de celle-ci, intègre un emploi d’ingénieur chez un autre employeur, aux conditions normales du marché et en application de la loi relative aux employés.

Il intente alors une procédure afin d’obtenir l’indemnité spéciale de licenciement, faisant valoir que le refus de ce paiement est contraire au droit de l’Union.

Dans son examen, la Cour commence par constater que la réglementation nationale contient une différence de traitement directement fondée sur le critère de l’âge au sens des dispositions combinées des articles 1er et 2, paragraphe 2, sous a), de la directive.

Elle vérifie dès lors si cette différence de traitement peut être justifiée, étant entendu qu’une différence de traitement en fonction de l’âge ne constitue pas une discrimination lorsqu’elle est objectivement et raisonnablement justifiée, dans le cadre du droit national, par des objectifs légitimes, notamment de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle et que les moyens destinés à atteindre ces objectifs sont appropriés et nécessaires.

Elle rappelle la large marge d’appréciation dont jouissent les législateurs nationaux pour transposer le principe de l’égalité de traitement et souligne notamment que, pour apprécier le caractère légitime de l’objectif poursuivi par la disposition en cause, il y a lieu de relever, d’une part, que l’indemnité spéciale de licenciement a pour objet de faciliter la transition vers un nouvel emploi des travailleurs les plus âgés qui disposent d’une ancienneté importante auprès du même employeur (de 12, de 15 ou de 18 ans) et de l’autre que, si le législateur a entendu restreindre le bénéfice de cette indemnité aux travailleurs qui, à la date de leur licenciement, n’ont pas été admis au bénéfice d’une pension de retraite du régime général, cette limitation repose sur le constat que les personnes admises au bénéfice d’une telle pension de retraite décident, en règle générale, de quitter le marché du travail.

La finalité de protection des travailleurs disposant d’une importante ancienneté dans l’entreprise et d’aide à leur réinsertion professionnelle poursuivie par l’indemnité spéciale de licenciement relève ainsi de la catégorie des objectifs légitimes de politique de l’emploi et du marché du travail au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive.

Encore faut-il vérifier si les moyens mis en œuvre pour réaliser ces objectifs sont « appropriés et nécessaires ». Il y a lieu, en l’occurrence, d’examiner si la loi danoise permet d’atteindre les objectifs de politique de l’emploi poursuivis par le législateur sans pour autant porter une atteinte excessive aux intérêts légitimes des travailleurs qui se trouvent, du fait de cette disposition, privés de cette indemnité au motif qu’ils sont éligibles au bénéfice d’une pension de retraite du régime général.

Restreindre l’indemnité spéciale de licenciement aux seuls travailleurs qui ne vont pas, à la date de leur licenciement, bénéficier d’une pension de retraite du régime général n’apparaît pas déraisonnable au regard de la finalité poursuivie par le législateur, qui consiste à apporter une protection accrue à ceux dont la transition vers un nouvel emploi s’avère délicate en raison de leur ancienneté dans l’entreprise. Elle n’apparaît ainsi pas manifestement inappropriée pour atteindre l’objectif légitime de politique de l’emploi poursuivi par le législateur de l’Union européenne.
Mais encore faut-il vérifier si cette mesure n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre un tel objectif. Le législateur danois a mis en balance la protection des travailleurs qui, en raison de leur ancienneté dans l’entreprise, sont généralement parmi les plus âgés avec celle des travailleurs plus jeunes, lesquels ne peuvent prétendre au bénéfice de l’indemnité spéciale de licenciement. En outre, conformément au principe de proportionnalité et à la nécessité de lutter contre les abus, le système prévoit que l’indemnité spéciale de licenciement n’est versée qu’aux personnes auxquelles elle est destinée, c’est-à-dire à celles qui entendent demeurer actives, mais qui, eu égard à leur âge, éprouvent généralement plus de difficultés à trouver un nouvel emploi.

En l’espèce, le risque de subir une minoration du montant versé au titre de la retraite anticipée semble inexistant et vu le caractère unique de la mesure, qui correspond, selon l’ancienneté à un, deux ou trois mois de salaire, une telle disposition n’apparaît pas susceptible de causer une perte de revenus significative à long terme.

Pour la Cour, la loi n’apparaît pas porter une atteinte excessive aux intérêts légitimes des travailleurs ayant atteint l’âge normal de la retraite. Aussi décide-t-elle que les articles 2, paragraphes 1 et 2, sous a), et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit que, en cas de licenciement d’un employé qui a été au service de la même entreprise pendant une durée ininterrompue de 12 ans, de 15 ans ou de 18 ans, l’employeur acquitte, lors du départ de cet employé, une indemnité correspondant respectivement à un, à deux ou à trois mois de salaire, mais que cette indemnité n’est pas versée si ledit employé a la possibilité, à la date de son départ, de bénéficier de la pension de retraite du régime général, dans la mesure où, d’une part, cette réglementation est objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime relatif à la politique de l’emploi et du marché du travail et, d’autre part, elle constitue un moyen approprié et nécessaire pour la réalisation de cet objectif. Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier que tel est le cas.

3.
C.J.U.E., 9 septembre 2015, C-20/13 (DANIEL UNLAND C/LAND BERLIN)

L’affaire concerne une question de discrimination fondée sur l’âge résultant de la fixation de la rémunération en fonction de ce critère. S’agissant du traitement d’un juge, la première question posée est de savoir si les conditions de rémunération des juges relèvent du champ d’application de cette directive, ce à quoi la Cour répond par l’affirmative.

Renvoyant à l’arrêt SPECHT et alii (C.J.U.E., 19 juin 2014, C 501/12 à C 506/12, C 540/12 et C 541/12, SPECHT et alii c/ LAND BERLIN et SCHMEEL et SCHUSTER c/ BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND), où elle a été amenée à dire que les conditions de rémunération des fonctionnaires relèvent de la directive, elle rappelle qu’il faut distinguer le terme « rémunération », au sens de l’article 153, paragraphe 5, TFUE du même terme qui figure à l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78, ce dernier faisant partie des conditions d’emploi et ne visant pas directement la fixation du montant de la rémunération.

Les règles nationales régissant les modalités de classement dans les grades et les échelons de rémunération entrent dès lors dans le champ d’application matériel de la directive 2000/78. Par ailleurs, son article 3, paragraphe 1, sous c), prévoit expressément qu’elle s’applique, notamment, à toutes les personnes relevant du secteur public, y compris les organismes publics. La charge des juges relevant du secteur public, ils relèvent dès lors de son champ d’application personnel.

Sur la discrimination elle-même, elle considère en substance qu’une législation nationale, en vertu de laquelle le traitement de base d’un juge est déterminé, lors de son recrutement, uniquement en fonction de son âge est contraire aux articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive (même conclusion que dans SPECHT et alii).

Cependant, les modalités d’avancement des juges déjà titularisés avant l’entrée en vigueur de cette législation (prévoyant que l’échelon de traitement auquel ceux-ci seront désormais classés est déterminé sur la seule base du montant du traitement de base qu’ils percevaient en application de l’ancien système de rémunération - qui reposait sur une discrimination fondée sur l’âge du juge) ne sont pas contraires à ces dispositions dans la mesure où la différence de traitement que comporte cette législation est susceptible d’être justifiée par l’objectif de protection des droits acquis.

C’est la confirmation pleine et entière de la jurisprudence SPECHT et alii.


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