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Candidat aux élections sociales élu mais n’exerçant pas de mandat : quelle protection contre le licenciement ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 mai 2015, R.G. 2014/AB/752

Mis en ligne le vendredi 8 janvier 2016


Cour du travail de Bruxelles, 19 mai 2015, R.G. 2014/AB/752

Dans un arrêt du 19 mai 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la protection contre le licenciement, dans le cadre de la loi du 19 mars 1991, est d’ordre public. Il ne peut y être renoncé tant qu’il n’est pas acquis que le mécanisme légal n’a pas atteint son but. Ce n’est qu’après que la non réintégration est constatée qu’il peut être renoncé par le travailleur aux indemnités de licenciement.

Les faits

Un employé, engagé dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée se présente aux élections sociales de 2008. Il n’est pas élu comme délégué effectif et bénéficie de la protection du délégué suppléant. A sa demande, il n’exerce toutefois pas le mandat.

Trois ans plus tard, en 2011, une discussion intervient avec sa hiérarchie et il est question de le licencier. Une lettre recommandée lui est envoyée le même jour, lui annonçant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de vingt-quatre mois. Une semaine après, la société reprend contact avec l’intéressé, signalant que la fixation de l’indemnité compensatoire à vingt-quatre mois est le fruit d’une erreur et qu’elle remplace cette indemnité par une autre, de six mois. Ce montant est payé.

Des discussions interviennent entre la société et l’organisation syndicale, celle-ci contestant qu’il puisse y avoir erreur, comme le plaide l’ex-employeur.

Vu l’absence d’accord, une procédure est introduite devant le Tribunal néerlandophone du travail de Bruxelles qui, par jugement du 11 mars 2014, fait droit à la demande, considérant que la manifestation unilatérale de volonté de la société n’a pas été affectée d’un vice de consentement.

Celle-ci interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour statue, en droit, sur deux plans.

Dans un premier temps, sur la nature du congé lui-même.

Elle rappelle que le congé est la manifestation unilatérale de volonté de rompre le contrat. C’est la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Il s’agit d’une manifestation irrévocable et définitive et l’on ne peut revenir sur celle-ci ultérieurement.

La cour constate que lorsque le licenciement est intervenu, la société a fixé l’indemnité compensatoire de préavis à vingt-quatre mois et que ceci ne peut être considéré comme une erreur matérielle. Il faut se référer aux conditions de l’erreur au sens de l’article 1110 du Code civil, selon lequel pour constituer une cause de nullité l’erreur doit porter sur la substance de la chose qui fait l’objet de la manifestation de volonté. En outre, l’erreur doit être invincible, ce qui signifie qu’une personne raisonnable placée dans la même situation ne l’aurait pas commise.

Or, il est évident que l’intéressé a été candidat aux élections sociales et qu’il bénéficiait dès lors d’une protection contre le licenciement eu égard aux dispositions de la loi du 19 mars 1991. Le fait que – comme le plaide la société – la protection ait été « perdue de vue » ne peut nullement constituer une erreur invincible.

La cour renvoie, ensuite, au mécanisme légal de la loi du 19 mars 1991, selon lequel le candidat délégué ne peut être licencié que pour motif grave préalablement admis par les juridictions du travail ou pour un motif économique ou technique reconnu également préalablement par la Commission paritaire. La notion de licenciement, dans le cadre de cette loi vise toute rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, avec ou sans indemnité. Dans la mesure où le travailleur n’a pas demandé sa réintégration, il peut bénéficier d’une indemnité forfaitaire de protection équivalente à deux ans de rémunération.

C’est d’ailleurs en tenant compte des termes de cette protection légale que la lettre de licenciement a visé un délai de vingt-quatre mois.

La cour rappelle encore que la protection du candidat délégué a été voulue dans l’intérêt général et qu’elle touche l’ordre public. Diverses décisions de la Cour de cassation sont rappelées ici également, dont l’important arrêt du 16 mai 2011 (Cass., 16 mai 2011, R.G. n° S.10.0093.N). Comme le rappelle la cour, la question s’est posée en doctrine et en jurisprudence de l’étendue de la protection d’ordre public, étant de savoir si l’intéressé peut y renoncer. Il est admis que les indemnités de protection protègent davantage des intérêts particuliers et qu’il peut y être renoncé dans certaines conditions. La cour rappelle un extrait de l’arrêt de la Cour de cassation ci-dessus, étant que « dès que l’employeur n’a pas respecté la procédure de licenciement et que l’éventuelle réintégration du travailleur ne peut plus être demandée ou n’a pas été accordée dans le délai légal et que – partant – la protection contre le licenciement n’a pas atteint son but -, seuls les intérêts particuliers du travailleur licencié restent protégés par les indemnités prévues aux articles 16 et 17 de la loi ». C’est à ce moment seulement que le travailleur protégé licencié acquiert de manière définitive son droit à l’indemnité de licenciement et qu’il peut y renoncer.

La cour confirme que cette jurisprudence de la Cour suprême doit être approuvée et elle considère, dans le cas d’espèce, qu’au moment du licenciement, le travailleur bénéficiait du droit à une indemnité de licenciement de vingt-quatre mois et qu’il ne pouvait à ce moment y renoncer – ce qu’il n’a d’ailleurs, comme la cour le constate, pas fait.

Sur la circonstance que l’intéressé avait, après les élections, adressé un courriel signalant qu’il ne voulait pas exercer le mandat de suppléant, la cour du travail rappelle ici l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 23 janvier 2002 (C. Const., 23 janvier 2002, n° 19/2002), étant que cela ne signifie pas qu’il y a perte de la protection du candidat.

La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles fait la distinction claire entre l’exercice du mandat et le bénéfice de la protection légale, à l’occasion de la détermination du droit de l’élu licencié, alors qu’il bénéficie toujours de la protection issue de sa candidature aux élections sociales.

La cour rappelle également l’important arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2011, qui a distingué le caractère d’ordre public de la protection légale et les intérêts de nature privée auxquels il peut dans le cadre d’un licenciement être renoncé.

Pour la Cour de cassation, le caractère d’ordre public de la protection contre le licenciement n’a pas pour conséquence que tous les droits découlant de celle-ci intéressent l’ordre public et ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’une renonciation.

Pour transiger éventuellement sur les intérêts particuliers du travailleur licencié, il faut cependant attendre, dans le cadre du respect du mécanisme légal, dont celui de la réintégration, que cette réintégration ne puisse plus être demandée ou qu’elle n’ait pas été accordée dans les délais légaux. Seuls ceux-ci restent à ce moment protégés par les indemnités de licenciement, étant alors acquis que la protection contre le licenciement n’a pas atteint son but.


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