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Obligation d’audition du personnel contractuel dans le secteur public en cas de licenciement

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 juin 2015, R.G. 2013/AB/727

Mis en ligne le vendredi 11 décembre 2015


Cour du travail de Bruxelles, 9 juin 2015, R.G. n° 2013/AB/727

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 9 juin 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle le principe selon lequel l’obligation d’entendre l’agent contractuel découle d’un principe de droit administratif : Audi alteram partem. L’autorité administrative qui envisage de prendre une mesure grave à l’encontre d’un agent fondée sur des motifs liés à sa personne ou à son comportement doit entendre celui-ci préalablement.

Les faits

Un agent d’administration, contractuel, au service d’un établissement public, est transféré, suite à l’Accord de coopération du 24 mai 2002 entre l’Autorité Fédérale et les Régions, vers une Agence Régionale créée dans ce cadre. Ainsi que les autres membres du personnel, il est engagé sous contrat de travail. Il est licencié en 2009 moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 35 mois.

L’intéressé introduit une procédure devant le tribunal du travail, considérant, notamment, être dans une situation réglementaire et non contractuelle. Il formule diverses demandes, eu égard au statut revendiqué, ainsi qu’une demande d’indemnisation au motif du non respect de l’obligation d’audition préalable et de motivation formelle de la décision.

Position du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Bruxelles prononce son jugement le 26 mars 2013 et le déboute des chefs de demandes introduits, réservant toutefois, une question de pension.

Appel est interjeté.

Décision de la cour du travail

La cour règle en premier lieu la question du statut de l’intéressé, relevant essentiellement que c’est au moment de l’engagement qu’il faut se placer pour qualifier une situation de réglementaire ou de contractuelle.

La nature de la relation est contractuelle dès le départ et le contrat ne peut constituer un acte d’adhésion au statut du personnel. L’intéressé ne pouvait dès lors penser qu’il bénéficiait d’une stabilité d’emploi et la cour rejette dès lors les chefs de demande liés à celle-ci. Elle rappelle que la stabilité d’emploi est un avantage dérogatoire au régime normal de licenciement et qu’en l’absence de clause contractuelle accordant un tel avantage il y a lieu de se référer aux modes de rupture prévus par la loi du 3 juillet 1978.

La cour réserve, cependant, des développements importants à la question de l’obligation d’audition préalable. Reprenant à la fois la doctrine et la jurisprudence, elle rappelle le principe selon lequel l’obligation d’entendre l’agent contractuel découle d’un principe de droit administratif : Audi alteram partem. L’autorité administrative qui envisage de prendre une mesure grave à l’encontre d’un agent fondée sur des motifs liés à sa personne ou à son comportement doit entendre celui-ci préalablement. La jurisprudence du Conseil d’Etat est constante (citant C.E., 4 juillet 2011, arrêt n° 214.399).

La cour reprend les deux courants de jurisprudence existants, tout en soulignant que la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si le licenciement de l’agent contractuel est un acte administratif ou, au contraire, un acte de droit privé (qui pourrait dès lors ne pas être soumis aux règles de motivation formelle et de principe de bonne administration). Elle se rallie à la position majoritaire selon laquelle la différence de traitement entre employeurs publics et employeurs privés découlant des obligations supplémentaires mises à charge des employeurs publics n’est pas discriminatoire. C’est au contraire la conséquence de l’absence d’obligation de ce type dans la loi du 3 juillet 1978 et surtout du caractère supplétif des dispositions légales en la matière.

Elle relève encore que dans de nombreux secteurs existent des obligations de ce type et qu’en outre figure dans la loi du 3 juillet 1978 un article 16 qui contient un principe général d’égards et de respect mutuels entre les parties. Celui-ci peut servir de base à l’audition préalable.

En ce qui concerne l’obligation de motivation, la cour reprend également de manière détaillée les contours de celle-ci, qui figure dans la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, rappelant avec la doctrine (M. PÂQUES et G. PARTSCH, « L’hypothèse du contrat dans la fonction publique locale », R.D.S., 1996, p. 39), que les actes d’exécution contractuelle, dont le congé, émanant d’une autorité administrative présentent un caractère unilatéral dérivé - unilatéral parce qu’ils s’imposent à leur destinataire dès qu’ils sont adoptés et dérivé en ce qu’ils reposent sur une relation contractuelle.

La motivation est dès lors obligatoire et elle doit répondre aux conditions de forme et de fond généralement exigées, à savoir notamment d’être adéquate, étant que la motivation doit fonder raisonnablement la décision concernée.

En l’espèce, la cour va rapidement aboutir à la conclusion qu’il y a eu une audition préalable au licenciement. Quant à la motivation formelle, elle est inexistante mais cette absence n’a pas causé de préjudice à l’intéressé, dans la mesure où il était « parfaitement informé » des motifs qui ont justifié le licenciement.

Dans la mesure où est seulement réclamée la réparation forfaitaire d’un dommage, avec évaluation ex aequo et bono et que l’intéressé ne prouve pas son préjudice, la cour déclare la demande non fondée sur ces chefs également.

Intérêt de la décision

Dans ce long arrêt, la Cour du travail de Bruxelles procède à un examen à la frontière du droit administratif, soulignant que la terminologie utilisée dans les relations de travail (étant qu’il a été à diverses reprises procédé à une « nomination » à tel poste, etc.), n’est pas suffisante pour identifier la nature de la relation de travail, celle-ci devant être examinée lors de l’engagement et, en cas de modification, faire l’objet d’une redéfinition claire.

La cour confirme également la jurisprudence selon laquelle le congé donné par un employeur public est un acte administratif et qu’il doit être motivé, l’autorité devant également auditionner le travailleur.

L’on notera, sur l’absence de motivation, que tout en relevant celle-ci, la cour fait grief au travailleur de ne pas établir l’existence d’un préjudice. A défaut de sanction spécifique, l’absence de motivation formelle du congé doit être réparée sur la base de la théorie de la faute, étant qu’il appartient à l’intéressé d’établir, en outre, le préjudice subi et de l’évaluer, le non respect de l’obligation ne pouvant être automatiquement sanctionné par l’octroi de dommages et intérêts forfaitaires.


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