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Enquête sociale du C.P.A.S. et respect de la vie privée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 juin 2015, R.G. 2015/AB/38

Mis en ligne le jeudi 10 décembre 2015


Cour du travail de Bruxelles, 4 juin 2015, R.G. 2015/AB/38

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 4 juin 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le droit au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile sont des droits fondamentaux mais qu’ils ne sont pas absolus et ne font pas obstacle à l’enquête sociale qui doit être menée par le C.P.A.S. aux fins de vérifier notamment les conditions d’octroi.

Les faits

Dans le cadre d’une demande d’aide sociale (RIS), le C.P.A.S. propose un rendez-vous au domicile du demandeur en vue d’effectuer l’enquête sociale. L’intéressé n’étant pas présent, un avis de passage est laissé. Celui-ci fait valoir, ultérieurement, qu’il s’oppose à toute visite au domicile. Une décision de refus est dès lors prise, eu égard au manque de collaboration et à l’absence d’informations permettant de vérifier le respect des conditions d’octroi.

Le demandeur est alors entendu par le Comité spécial. Les difficultés de communication entre les parties deviennent plus importantes. Le C.P.A.S. fait encore une tentative de visite au domicile mais sans succès. Une seconde décision est alors prise, soit trois mois après la première, refusant toujours l’aide sociale.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Par jugement du 18 décembre 2014, le tribunal déboute le demandeur, qui interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’intéressé confirme devant la cour qu’il s’oppose à toute visite domiciliaire, invoquant à la fois l’article 15 de la Constitution et l’article 4 de l’arrêté royal du 1er décembre 2013 relatif aux conditions minimales de l’enquête sociale. Il renvoie également au principe du respect de la vie privée, garanti à l’article 22 de la Constitution et à l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Pour le C.P.A.S., il y a défaut de collaboration. Le Centre demande à la cour de constater qu’il est dans l’impossibilité d’apprécier, en conséquence, si les conditions d’octroi sont réunies.

Décision de la cour

La cour se prononce essentiellement en droit. Il s’agit d’une demande d’aide sociale financière à charge du C.P.A.S., équivalente au revenu d’intégration sociale, l’intéressé n’étant pas inscrit dans les registres de la population.

En ce qui concerne le respect de la vie privée, la cour souligne que les dispositions qui garantissent ce droit fondamental ne font pas obstacle à une enquête sociale du C.P.A.S. La cour se fonde sur trois axes.

La loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale impose au C.P.A.S. de procéder à une enquête sociale. Il doit en effet recueillir toutes les informations utiles à l’examen des droits du demandeur. La visite au domicile fait partie de l’enquête sociale, la cour renvoyant à l’arrêté royal du 1er décembre 2013 relatif aux conditions minimales de l’enquête sociale. La visite au domicile permet de déterminer l’étendue du besoin du demandeur en matière d’aide, ainsi que d’avoir une image globale de sa situation. L’obligation pour le demandeur de fournir tous renseignements et de donner l’autorisation utile à l’examen de sa demande est une obligation corrélative à celle du C.P.A.S. de mener son enquête sociale.

La cour en vient ensuite à la notion d’enquête sociale : c’est une investigation menée pour contrôler certains faits et celle-ci pourra déboucher sur une certaine immixtion dans la vie privée. Le droit au respect de la vie privée n’est pas un droit absolu, et ce tant au sens de l’article 22 de la Constitution que de l’article 8 de la C.E.D.H. Il y a des limites à ce droit. Celles-ci doivent, pour être admises, remplir trois conditions cumulatives, étant d’être prévues par la loi, de répondre à un objectif légitime et de présenter un caractère proportionnel à la réalisation de celui-ci. En l’occurrence, l’enquête est prévue par un texte, elle répond à un objectif légitime qui est de vérifier que les conditions d’octroi du revenu d’intégration sont remplies, et enfin, elle répond à l’exigence de proportionnalité, dans la mesure où elle a été menée conformément à l’objectif légal, qui est de vérifier les conditions d’octroi.

Enfin, la cour rappelle que certes le domicile est inviolable et que toute visite doit avoir lieu uniquement dans les cas prévus par la loi et dans les formes prescrites. Dès lors qu’un demandeur d’aide refuserait une visite à son domicile dans le cadre de l’enquête sociale, il y est autorisé mais ce refus aura des conséquences sur son droit à l’aide sollicitée. Il y a, comme le souligne la cour, une obligation de collaboration à cet égard et, de son côté, le C.P.A.S. peut, s’il considère ne pas avoir tous les éléments nécessaires pour examiner la demande vu le défaut de collaboration, refuser l’octroi.

Constatant en l’espèce que le refus dans le chef du demandeur est un refus de principe, la cour relève encore qu’il ne fournit aucune information sur sa situation, demandant, ainsi, le taux du revenu d’intégration pour personne isolée. Le C.P.A.S. est évidemment tenu de vérifier la question d’une éventuelle cohabitation, ainsi que la situation exacte en matière de ressources.

Elle conclut, dès lors, à un manque de collaboration, manquement persistant d’ailleurs pendant la procédure judiciaire.

Intérêt de la décision

Ce bref arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle un premier principe en la matière, étant que si l’obligation de collaboration dans le chef du demandeur d’aide (ou de revenu d’intégration sociale) n’est pas une condition d’octroi, il s’agit d’une obligation fixée par la loi, permettant au C.P.A.S. de vérifier si ces conditions sont remplies, dont essentiellement la condition d’absence de ressources suffisantes.

La cour rappelle également que le droit à l’inviolabilité du domicile et au respect de la vie privée n’est pas un droit absolu. La Cour Européenne des Droits de l’Homme admet la possibilité d’ingérence, si trois conditions cumulatives sont réunies, étant (i) que l’ingérence soit prévue par un texte légal, (ii) qu’elle réponde à un objectif légitime et (III) qu’elle présente un caractère proportionnel à la réalisation de cet objectif.

Sur la question de l’obligation des C.P.A.S., dans le cadre de l’examen du droit à un revenu d’intégration sociale, l’on peut encore renvoyer à un autre arrêt (néerlandophone) de la Cour du travail de Bruxelles du même jour (C. trav. Bruxelles, 4 juin 2015, R.G. n° 2014/AB/557) qui a souligné, à l’occasion d’un dossier posant la question de la disposition au travail, que l’article 3 de la loi du 11 avril 1995 (étant la Charte de l’assuré social) met des obligations à charge du C.P.A.S. en la matière, étant qu’il a un rôle de proactivité dans l’instruction du dossier. Se posait en l’occurrence la question de savoir si un demandeur pouvait faire valoir un motif de santé comme condition d’équité le dispensant de l’obligation d’être disposé au travail et la cour a rappelé que le C.P.A.S. a sur cette question un rôle actif, en vue de la réintégration du demandeur sur le marché du travail.

L’examen d’un dossier de revenu d’intégration présente dès lors un volet essentiellement dynamique, chaque cas devant être examiné eu égard à ses spécificités, ce qui est encore de nature à conforter l’obligation pour le demandeur d’offrir au C.P.A.S. une vue complète et transparente de sa situation, dans la mesure où elle est – bien sûr – susceptible d’avoir une incidence sur son droit.


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