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Que faut-il entendre par concurrence déloyale dans le chef du travailleur ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 mai 2015, R.G. 2014/AB/552

Mis en ligne le jeudi 10 décembre 2015


Cour du travail de Bruxelles, 22 mai 2015, R.G. 2014/AB/552

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 mai 2015, la Cour du travail de Bruxelles revient sur la notion de concurrence déloyale, rappelant qu’il y a renvoi à celle de pratiques honnêtes de commerce, et reprenant les nuances apportées par la doctrine.

Les faits

Une employée d’une société d’expédition maritime présente sa démission après environ quatre ans d’occupation.

Elle est interpellée, quelques jours après la fin du préavis de démission par le conseil de la société, au motif de concurrence déloyale. Celui-ci réclame la majoration d’un préjudice fixé à 15.000€.

L’intéressée conteste et, dans le même temps, réclame le règlement des sommes dues à la rupture (pécules de vacances et primes de fin d’année essentiellement). Son conseil intervient, également, réfutant l’accusation de concurrence déloyale, l’intéressée contestant la divulgation de données confidentielles ainsi que le détournement de clientèle auprès d’un nouvel employeur.

Une procédure est introduite par elle, en paiement des sommes dues à la rupture. L’ex-employeur introduit quant à lui une demande reconventionnelle correspondant au montant réclamé par son avocat.

Position du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Bruxelles fait, par un jugement du 14 mars 2014, droit à la demande de l’intéressée et déboute la société, qui interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour reprend les règles applicables à la question de l’interdiction de concurrence, s’agissant en l’espèce de concurrence déloyale reprochée aussi bien pendant l’exécution du contrat qu’à la fin de celui-ci.

La concurrence déloyale est interdite, à tout moment, tandis qu’il est admis qu’après la fin du contrat de travail, le travailleur peut faire concurrence à son ex-employeur, hors clause de non concurrence valable.

C’est le principe de la liberté du travail, qui autorise le travailleur à exercer toute activité et ce même auprès d’un concurrent de l’employeur précédent. La cour renvoie à un ancien arrêt de la Cour de cassation du 22 décembre 1976 (Cass., 22 décembre 1976, Arr., 1977, 457).

La loi du 3 juillet 1978 règle la question dans son article 17, 3°, b), selon lequel le travailleur a l’obligation de s’abstenir tant au cours du contrat qu’après la cessation de celui-ci de se livrer ou de coopérer à tout acte de concurrence déloyale.

La doctrine a renvoyé, pour la notion, aux pratiques honnêtes du commerce. Diverses nuances ont été apportées, en jurisprudence, étant l’existence de manœuvres, le recours à des moyens illégaux, la volonté de nuire l’ex-employeur (ainsi le vol de listes de clients ou de fournisseurs, le détournement de personnel).

L’interdiction de concurrence pendant l’exécution du contrat, à savoir l’exercice d’une concurrence déloyale, est pour la cour l’application de l’article 1134, 3e alinéa, du Code civil, relatif à l’obligation d’exécution de bonne foi des conventions. Pendant l’exécution du contrat, la concurrence est toujours déloyale, la cour renvoyant ici encore à diverses décisions, dont l’arrêt de la Cour du travail de Mons du 13 septembre 2005 (C. trav. Mons, 13 septembre 2015, JTT, 2006, p.14).

En ce qui concerne la preuve de la concurrence déloyale, celle-ci appartient, en application des articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire, à la partie qui l’invoque, c’est-à-dire à l’employeur.

Il y a dès lors lieu d’examiner si en l’espèce la preuve est rapportée, étant que pendant l’exécution du contrat de travail, et après la fin de celui-ci, l’intéressée s’est livrée à une concurrence déloyale ou interdite.

La cour va aboutir à la conclusion que tel n’est pas le cas.

Elle envisage séparément la période d’occupation, dans laquelle elle ne relève aucun comportement qui sorte de l’exécution normale du contrat de travail, l’intéressée ayant été en contact avec la clientèle de manière régulière mais n’étant jamais sortie de son rôle.

En ce qui concerne la fin du contrat, en l’absence de clause de non concurrence, reste également à examiner s’il y a eu concurrence déloyale. Celle-ci ne peut pas découler de la circonstance qu’il y aurait eu dans le chef de la société une perte de clients ou de commandes, dans la mesure où ceci ne peut être imputé à l’intéressée.

Aucun acte concret de concurrence déloyale n’étant établi, la société est déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles rappelle le fondement de l’interdiction de la concurrence déloyale, dans le chef d’un travailleur. Il s’agit à la fois d’un cas d’application de l’article 1134, 3e alinéa du Code civil, qui renferme le principe d’exécution de bonne foi des conventions et, également, de l’article 17 de la loi du 3 juillet 1978, qui interdit au travailleur de se livrer ou de coopérer à tout acte de concurrence déloyale. Cette interdiction vaut tant pendant l’exécution du contrat qu’après celui-ci, la cour soulignant très justement que la concurrence loyale après la fin du contrat de travail est inhérente à la liberté du travail, principe rappelé dans l’arrêt de la Cour de cassation cité.


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