Terralaboris asbl

Interdiction de discrimination des travailleurs à temps partiel : application au calcul de l’ancienneté pécuniaire

Commentaire de C. trav. Mons, 20 avril 2015, R.G. 2013/AM/70

Mis en ligne le vendredi 27 novembre 2015


Cour du travail de Mons, 20 avril 2015, R.G. n° 2013/AM/70

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 20 avril 2015, la Cour du travail de Mons rappelle l’enseignement de la C.J.U.E. sur l’interdiction de discrimination des travailleurs à temps partiel, et ce à l’occasion de l’examen de l’ancienneté barémique applicable à un membre du personnel d’un CPAS.

Les faits

Une infirmière, au service d’une maison de repos dans un C.P.A.S. depuis l’année 2000, tombe en incapacité de travail fin de l’année 2008 et, 6 mois plus tard, elle est licenciée moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, sur pied de l’ancien article 78 de la loi du 3 juillet 1978. Est, en vertu de cette disposition, déduite de l’indemnité la rémunération payée depuis le début de l’incapacité au titre de rémunération garantie.

Un recours est introduit, demandant d’une part une indemnité plus élevée, ainsi que, d’autre part, une correction de l’assiette de référence. D’autres montants sont également postulés (ne faisant pas l’objet des présents commentaires).

Par jugement du 29 septembre 2012, le Tribunal du travail de Mons condamne le C.P.A.S. employeur au paiement d’une indemnité compensatoire complémentaire de préavis.

Appel est interjeté.

Les décisions de la cour du travail

La cour a rendu, à ce stade, trois arrêts.

L’arrêt du 3 février 2014

Ce premier arrêt examine la rémunération à prendre en compte, eu égard à une circonstance particulière, étant que l’intéressée a bénéficié, en cours de contrat, d’une réduction de ses prestations et que, ainsi, pendant toute l’année 2007, elle était à mi-temps. Ses prestations sont redevenues un temps plein pour l’année 2008 et elle aurait dû de nouveau prester à raison d’un mi-temps à partir du 1er janvier 2009. Le licenciement est intervenu le 28 avril 2009, soit plus de 6 mois après le début de l’incapacité, qui a débuté en septembre 2008.

La cour renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 20 avril 1999 (C. const., 20 avril 1999, n° 45/1999), qui impose de réévaluer en une rémunération fictive à temps plein la rémunération du temps partiel en ce qui concerne l’assiette, l’indemnité allouée devant, toutefois, être calculée sur la base du temps partiel lui-même. Elle rappelle à cet égard également les deux arrêts du 10 novembre 2011 (C. const., 11 novembre 2011, n° 165/2011 et 167/2011).

Une réouverture des débats est ordonnée, aux fins de permettre à la cour de déterminer le montant exact de la rémunération barémique, eu égard à l’inclusion ou non de certaines primes.

L’arrêt du 15 septembre 2014

Cet arrêt pousse plus avant l’examen des chiffres, eu égard à une ancienneté conventionnelle reconnue à l’intéressée, étant la reconnaissance d’une ancienneté barémique de 7 ans, pour des prestations analogues effectuées auparavant. Se pose également la question de la prise en compte de prestations incomplètes eu égard aux dispositions du statut pécuniaire du C.P.A.S.

La cour relève dans cet arrêt que le C.P.A.S., qui invoque que les fluctuations du temps de travail peuvent avoir une incidence directe sur l’ancienneté pécuniaire, peut, par cette pratique, introduire une discrimination entre travailleurs à temps partiel et travailleurs à temps plein. Elle souligne que, si l’on ne revalorise les années d’ancienneté du travailleur à temps partiel que lorsqu’elles sont équivalentes en durée totale à celles du travailleur à temps plein, la rémunération du travailleur à temps partiel va évoluer avec un retard certain par rapport à celle du travailleur à temps plein. La cour du travail renvoie à l’arrêt NIMZ de la Cour de Justice (C.J.U.E., 7 février 1991, Aff. n° C-184/89), dont elle considère que l’enseignement est transposable au présent litige, même s’il s’agissait d’une discrimination « genre ».
Une nouvelle réouverture des débats est ainsi considérée indispensable.

L’arrêt du 20 avril 2015

La cour se livre à un examen très approfondi de l’incidence du statut pécuniaire du C.P.A.S. sur les droits du travailleur à temps partiel et sur la différence de traitement que celui-ci entraîne.

L’article 15 du statut prévoit en effet que, pour la fixation du traitement au sein d’une échelle, l’ancienneté est déterminée sur la base des services effectifs accomplis. Sont visées à la fois les situations d’agents statutaires, d’agents contractuels, de contractuels subventionnés, ou encore de TCT ou CST. Aucune distinction n’est faite ici pour les prestations effectuées à temps plein ou à temps partiel.

Le statut précise cependant que pour l’ancienneté les prestations incomplètes sont prises en considération au prorata du régime de travail effectif. Pour la cour, l’on ne peut instaurer une discrimination injustifiée entre travailleurs à temps partiel et travailleurs à temps plein. Elle rappelle que la loi du 5 mars 2002 a posé le principe de l’interdiction de discrimination des travailleurs à temps partiel, ce texte étant la transposition de la Directive 97/81/CE du Conseil du 15 décembre 1997 concernant l’Accord-cadre sur le temps partiel.

Les conditions d’emploi sont expressément visées à l’article 4 de la loi comme ne pouvant souffrir d’un traitement moins favorable dans le cas de travailleurs à temps partiel, au seul motif de la durée de l’occupation, à moins qu’un traitement différent ne puisse être justifié par des raisons objectives. Pour la cour, il faut valoriser les années d’ancienneté du travailleur à temps partiel de la même manière que pour les prestations du travailleur à temps plein, sous peine d’assister à une évolution plus lente de la situation pécuniaire du travailleur à temps partiel par rapport à celle de celui qui est occupé à temps plein. A défaut, Il y a une discrimination interdite par l’article 4 de la loi du 5 mars 2002.

La cour du travail renvoie encore à l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 10 juin 2010 (C.J.U.E., 10 juin 2010, INPS c/ BRUNO et PETTINI, C-395/08 ; LOTI et MATTEUCCI, C-396/08) (affaires jointes), dont elle reprend un important extrait, soulignant avec la Cour de Justice que le travail à temps partiel n’implique pas d’interruption d’emploi, les périodes non travaillées, qui correspondent à la réduction des horaires du travail prévus dans un contrat de travail à temps partiel, découlant de l’exécution normale de ce contrat et non de sa suspension. L’on ne peut dès lors traiter de manière moins favorable les travailleurs à temps partiel cyclique que les travailleurs à temps plein comparables, et ce au motif qu’ils travaillent à temps partiel. La C.J.U.E. a par conséquent admis dans cette affaire que le principe du prorata temporis n’est pas applicable à la détermination de la date d’acquisition d’un droit à la pension dans la mesure où celle-ci dépendrait exclusivement de la durée de l’ancienneté acquise par le travailleur.

Cette jurisprudence peut être transposée, même si l’arrêt rendu par la Cour de Justice l’a été en matière de droit à une pension. Le principe-même de l’existence d’une discrimination injustifiée est acquis, tant au regard de la loi du 5 mars 2002 que de la jurisprudence de la C.J.U.E.

La cour examine, ensuite, si elle pourrait être justifiée par des raisons objectives et raisonnables.

La justification avancée par l’employeur est fondée sur l’existence d’une « expérience plus importante » de la personne occupée à temps plein. Pour la cour du travail, il y a ici encore contradiction flagrante avec l’enseignement de l’arrêt NIMZ, dont elle reprend la problématique et rappelle que la Cour de Justice rejette clairement le seul critère déduit de l’expérience comme pouvant constituer une raison objective de justification à des différences de traitement en cas d’occupation à temps plein ou à temps partiel.

Elle conclut dès lors qu’il y a lieu d’écarter le statut pécuniaire, en application de l’article 159 de la Constitution, et que l’intéressée est en droit de se voir reconnaître le bénéfice d’une ancienneté correspondant à la durée de l’occupation effective, à laquelle il faut ajouter celle assimilée pour son occupation précédente (question qui n’est pas contestée).

Intérêt de la décision

La Cour du travail de Mons a judicieusement relevé, dans cette affaire, l’existence d’une discrimination évidente, dans la fixation de l’ancienneté pécuniaire du personnel.

Elle a renvoyé, dans de longues explications, à la jurisprudence de la Cour de Justice, rappelant l’arrêt du 10 juin 2010 concernant le personnel navigant de cabine de la compagnie aérienne italienne ALITALIA, personnel travaillant à temps partiel selon la formule du « temps partiel vertical cyclique », étant le mode d’organisation dans lequel le salarié ne travaille que pendant certaines semaines ou certains mois de l’année, en effectuant un horaire plein ou réduit. Ce personnel ne voyait prises en compte pour les périodes de cotisation utiles pour l’acquisition de droits à la pension que les périodes travaillées.

La cour a appliqué la conclusion de la Cour de Justice dans cette affaire à la question qui lui était soumise, étant la valorisation des années prestées à temps partiel pour le calcul de l’ancienneté barémique.

La cour a fait un second renvoi important à la jurisprudence de la Cour de Justice, en renvoyant à l’arrêt NIMZ, concernant un contractuel de la fonction publique dans une hypothèse où les périodes d’ancienneté étaient prises en compte dans leur totalité pour les travailleurs effectuant au moins les trois quarts de l’horaire normal mais seulement pour moitié lorsque les travailleurs étaient soumis à un horaire compris entre la moitié et les trois quarts. La Cour de Justice avait, dans cet arrêt, retenu explicitement que la notion d’expérience ne peut constituer une justification objective à une différence de traitement entre travailleurs à temps plein et travailleurs à temps partiel.


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