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Interdiction de signes extérieurs de convictions religieuses, philosophiques et politiques et licenciement : discrimination directe ?

Commentaire de Cass., 9 mars 2015, n° S.12.0062.N

Mis en ligne le mardi 27 octobre 2015


Cour de cassation, 9 mars 2015, n° S.12.0062.N

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 9 mars 2015, la Cour de cassation pose à la C.J.U.E. une question sur l’interprétation de l’article 2.2.a) de la Directive 2000/78/CE à propos du licenciement d’une employée musulmane ayant décidé de porter le foulard au travail alors qu’existe une interdiction de port de signes extérieurs de convictions politiques, philosophiques et religieuses.

Objet du litige

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail d’Anvers du 23 décembre 2011.

Les faits sont résumés dans l’arrêt comme suit : une employée d’une société fut engagée en 2003 pour travailler à la réception, étant en contact avec des clients tant du secteur public que du secteur privé. Une « règle non écrite » acceptée au sein de la société consiste en l’interdiction du port sur les lieux du travail de signes extérieurs de convictions politiques, philosophiques ou religieuses. Lors de l’engagement de la travailleuse, qui est musulmane, cet engagement fut respecté, l’intéressée ne portant un foulard qu’en dehors des heures de service. En 2006, elle a signalé qu’elle le porterait également au travail et s’est présentée, après une période de maladie, en mai de cette année, voilée.

Le conseil d’entreprise a alors coulé dans le règlement de travail l’interdiction du port de signes de conviction particuliers. L’intéressée a ensuite été licenciée avec paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, vu le refus de revenir à la situation antérieure.

La procédure

L’intéressée introduit une procédure devant le Tribunal du travail d’Anvers en abus de droit et, subsidiairement, en paiement de l’indemnité prévue dans le cadre de la loi anti-discrimination du 25 février 2003.

Sa demande a été rejetée par jugement du 27 avril 2010, tant à titre principal (abus de droit) qu’à titre subsidiaire (discrimination).

Appel a été interjeté et, par arrêt du 23 décembre 2011, la cour du travail a considéré que le licenciement n’était pas manifestement déraisonnable vu les positions successives prises en doctrine et en jurisprudence sur la question. La demande formée dans le cadre de la loi anti-discrimination a également été rejetée, la cour considérant qu’il n’y avait ni discrimination directe ni indirecte non plus qu’atteinte à la liberté individuelle ou à la liberté de religion.

Le pourvoi

Les moyens du pourvoi sont complexes, touchant à la fois le Traité de Lisbonne, la Directive 2000/78/CE du Conseil, la loi anti-discrimination, le Code civil (article 1134, alinéa 3), la Convention européenne sur la protection des droits de la personne et des libertés fondamentales, ainsi que plus particulièrement les dispositions en matière d’abus de droit.

La décision de la Cour

La Cour répond au second moyen (sur trois) tiré de la violation de l’article 2, §§ 1 et 2 de la loi anti-discrimination, des articles 1 et 2.2.a) et b) de la Directive 2000/78/CE, du principe général de droit d’interprétation conforme à la directive des dispositions nationales, ainsi que de l’article 288 du Traité de Lisbonne.

Elle rappelle la définition de la discrimination directe et de la discrimination indirecte au sens de la Directive 2000/78/CE étant qu’une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er (religion, convictions, handicap, âge ou orientation sexuelle) et qu’il y a discrimination indirecte lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donné par rapport à d’autres personnes (sauf deux cas de justification).

En ce qui concerne la règle existant au sein de la société, selon laquelle il y avait interdiction de porter sur les lieux du travail des signes de convictions politiques, philosophiques ou religieuses, la cour du travail a jugé qu’il ne s’agit pas de discrimination directe, dans la mesure où il ne peut être question d’une telle discrimination que lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre, alors qu’au sein de la société la règle visait indifféremment tout signe visible relatif à n’importe quelle croyance ou conception de la vie et qui pouvait dès lors toucher tous les travailleurs sans distinction.

La Cour poursuit, constatant que pour les parties demanderesses (soit la travailleuse ainsi que Centre pour l’égalité des chances), une telle position n’est pas compatible avec l’article 2.2.a) de la Directive 2000/78/CE, dans sa définition de la discrimination directe.

Pour la Cour de cassation il y a dès lors lieu d’interroger la Cour de Justice, seule compétente pour répondre à la question. Elle pose dès lors à la Cour de Justice la question de savoir si l’article 2.2.a) de la Directive 2000/78/CE doit être interprété en ce sens que l’interdiction faite à une musulmane de porter un foulard sur les lieux du travail ne constitue pas une discrimination directe lorsqu’existe chez l’employeur une règle interdisant à tous les travailleurs de porter sur les lieux du travail des signes extérieurs de convictions politiques, philosophiques ou religieuses.

Intérêt de la décision

L’intérêt de cet arrêt est évident, puisque la Cour de cassation a considéré que l’affaire doit être réglée via l’interprétation de la Directive 2000/78/CE.

La question posée, malgré son intitulé apparemment simple, risque d’entraîner des développements importants, dans la mesure où il s’agira notamment de déterminer la « situation comparable », ainsi que l’atteinte à l’un des critères protégés.

L’on relèvera encore le caractère particulièrement complexe et fouillé du pourvoi, très documenté en doctrine.


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