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Travailleur migrant et calcul de la pension : que faut-il entendre par assurance volontaire ou facultative continuée, au sens des règles anti-cumul ?

Commentaire de C.J.U.E., 12 février 2015, Aff. n° C-114/13

Mis en ligne le mardi 27 octobre 2015


Cour de Justice de l’Union européenne, 12 février 2015, Aff. n° C-114/13

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 12 février 2015, la Cour de Justice de l’Union Européenne, saisie par la Cour du travail d’Anvers, examine si une pension néerlandaise prévue par la Algemene Ouderdomswet – AOW (qui admet certains cas de dispense d’obligation d’assurance) constitue une « assurance volontaire ou facultative continué » (au sens des règles anti-cumul visées à l’article 46bis, 3, c) du Règlement 1408/71.

Le litige au principal

Une citoyenne néerlandaise née en 1942 réside en Belgique de 1957 à 1974. Elle bénéficie d’une pension de survie depuis 1969. Elle rentre aux Pays-Bas où elle cotise pour se constituer une pension. Elle bénéficie d’une dispense de cotisation pendant les quatre dernières années avant la pension, de telle sorte que celle-ci n’est pas complète. L’ONP (belge) prend la décision de déduire la pension néerlandaise de la pension de survie belge et notifie également une décision de récupération d’indu.

Le Tribunal du travail d’Anvers est saisi.

L’institution néerlandaise (Sociale Verzekeringsbank) informe le juge belge de ce que la pension constitue une assurance obligatoire et non une assurance volontaire ou facultative continuée (hors certaines hypothèses non rencontrées ici).

Le Tribunal du travail d’Anvers rejette dès lors le recours et appel est interjeté devant la cour du travail. Celle-ci a des doutes sur la conformité de la position de l’institution néerlandaise avec l’article 46bis, § 3, c) du Règlement n° 1408/71. Elle pose dès lors à la Cour de Justice une question préjudicielle.

La question préjudicielle

La question est de savoir si la prestation en cause, pour laquelle l’on peut renoncer à cotiser sur simple demande pendant une période limitée, doit être assimilée à une assurance facultative continuée au sens de l’article 46bis, de telle sorte qu’elle ne peut pas être prise en compte dans l’application de la règle anti-cumul de l’article 52, § 1, 1er alinéa de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pensions de retraite et de survie des travailleurs salariés.

La décision de la Cour

Avant de répondre à la question préjudicielle, la Cour fait quelques développements sur le pouvoir du juge, dans l’application des règles anti-cumul, de contrôler le contenu de l’attestation délivrée par l’institution de sécurité sociale étrangère au regard de sa conformité avec le Règlement 140/71. La Cour de Justice relève que la juridiction de renvoi peut la saisir dans une telle hypothèse, qui porte sur la vérification de la compatibilité de cette attestation délivrée par une autorité d’un autre Etat membre, cette situation étant différente des hypothèses de contrôle éventuel des mentions figurant sur un certificat E101, dont la Cour de Justice a rappelé dans divers arrêts que celui-ci lie les institutions de sécurité sociale et les juridictions de l’Etat membre dans lequel sont détachés les travailleurs concernés. Cette solution n’est pas automatiquement applicable à une attestation telle que celle produite dans le cadre du présent litige, qui peut donc faire l’objet d’un contrôle.

Sur la question préjudicielle, il faut savoir si l’article 46bis, § 3, c) du Règlement 1408/71 (qui prévoit qu’il n’est pas tenu compte, dans l’application des règles anti-cumul, du montant des prestations acquises au titre de la législation d’un autre Etat membre qui sont servies sur la base d’une assurance volontaire ou facultative continuée) englobe la partie de la prestation résultant d’une période d’assurance susceptible de faire l’objet d’une dispense d’affiliation, dans l’hypothèse où cette affiliation affecte, pendant la période en question, l’étendue de la prestation.

La Cour commence par rappeler que la notion d’assurance volontaire ou facultative continuée ne fait pas l’objet de définition dans le règlement. Il ressort de sa jurisprudence que, malgré les difficultés terminologiques (dans les différentes versions linguistiques du texte), il s’agit de couvrir tous les types d’assurances comportant un élément volontaire. Le régime de la coordination du Règlement 1408/71 n’est pas applicable en matière d’assurance volontaire ou facultative continuée sauf si un tel régime existe dans un Etat membre.

Si le règlement écarte l’assurance volontaire ou facultative continuée de l’application des règles anti-cumul dans le cas où celles-ci sont prévues par la législation d’un Etat membre, c’est pour permettre à une personne qui s’est déplacée au sein de l’Union Européenne en faisant le choix de cotiser à une telle assurance de pouvoir conserver les droits qui en résultent. Le principe d’une seule législation nationale applicable est adouci dans une telle situation et l’allocation perçue d’un autre Etat membre n’est pas réduite eu égard à l’application de règles anti-cumul.

Les travailleurs migrants ne doivent ni perdre de droits à des prestations de sécurité sociale ni subir une réduction du montant de celles-ci en raison du fait qu’ils ont exercé leur droit à la libre circulation. En outre, un des principes de base du règlement est que les règles de la coordination doivent contribuer à l’amélioration du niveau de vie des personnes qui exercent leur droit de circuler librement. Il y a dès lors lieu d’interpréter la notion de manière large sous peine de priver les intéressés du bénéfice de toute période d’assurance volontaire ou facultative continuée accomplie sous la législation d’un autre Etat.

La Cour constate qu’une telle interprétation est par ailleurs confortée par sa jurisprudence concernant l’article 9, § 2, qui vise à faciliter l’accès à l’assurance volontaire ou facultative continuée en imposant à un Etat membre de prendre en compte les périodes d’assurance (ou de résidence) accomplies sous la législation d’un autre Etat dans la mesure nécessaire comme si elles l’avaient été sous la législation de ce premier Etat si celui-ci subordonne l’admission à cette prestation à l’accomplissement de périodes d’assurance. Il faut donc viser par là tous les types d’assurance qui comportent un élément volontaire qu’il s’agisse ou non de la continuation d’un rapport d’assurance antérieurement établi.

En l’espèce, le seul fait que l’affiliation était automatique n’est pas suffisant pour exclure l’élément de choix dans le chef de l’assurée, puisqu’une dispense pouvait être demandée.

La Cour conclut que la notion d’assurance volontaire ou facultative continuée peut couvrir l’hypothèse qui lui est soumise, où est reconnue la faculté pour l’intéressée de décider de continuer ou au contraire de lever l’affiliation à un régime d’assurance obligatoire pour certaines périodes, dans la mesure où ce choix produira des effets sur l’étendue de la prestation. L’article 46bis doit dès lors être interprété en ce sens qu’il englobe la partie de la prestation visée.

Intérêt de la décision

Quelques principes récurrents figurent dans cet arrêt, étant d’abord le rappel des règles de coordination ainsi que leur objectif, qui est notamment que les travailleurs migrants ne doivent ni perdre des droits à des prestations de sécurité sociale ni subir une réduction de celles-ci en raison du fait qu’ils ont exercé leur droit à la libre circulation.

C’est également l’occasion pour la Cour de rappeler qu’il n’existe pas dans le règlement de définition des termes « assurance volontaire ou facultative continuée » et que celle-ci a été examinée, dans plusieurs décisions de jurisprudence, dont il ressort qu’elle couvre tous les types d’assurance comportant un élément volontaire.

En l’espèce, dans l’application des règles anti-cumul, il ne peut être tenu compte, par l’ONP, de la prestation en cause, puisqu’elle était expressément reconnue comme étant incluse dans l’article 46bis, 3, c) du Règlement.


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