Terralaboris asbl

Un accident survenu lors d’un match de mini-foot peut-il être un accident du travail ?

Commentaire de C. trav. Mons, 20 mai 2015, R.G. 2014/AM/135

Mis en ligne le mardi 27 octobre 2015


Cour du travail de Mons, 20 mai 2015, R.G. n° 2014/AM/135

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 20 mai 2015, la Cour du travail de Mons s’attache au rappel de la notion d’exécution du contrat de travail, dans le cadre de la loi du 10 avril 1971 : il faut que le travailleur se trouve, comme en l’espèce dans le cours d’une épreuve sportive, sous l’autorité – même virtuelle – de son employeur.

Les faits

Pendant sa semaine de repos (travail en équipes), un ouvrier participe à un tournoi de mini-foot organisé par un ses collègues dans une salle de sport extérieure à l’entreprise. Lors d’un mouvement de rotation avec le ballon, il ressent un élancement au talon droit et se rend aux urgences. Il est alors constaté une rupture du tendon d’Achille.

Une déclaration d’accident du travail est remplie. Elle est rentrée parmi les documents relatifs aux « accidents collectifs » et non comme déclaration d’accident du travail.

L’intéressé est en incapacité de travail pendant une période de sept mois. En fin de compte la déclaration elle-même sera datée de deux ans et demi plus tard et envoyée à l’assureur à ce moment. L’accident est refusé, ce qui amène le travailleur à introduire une procédure devant les juridictions du travail.

Par jugement du 15 novembre 2013, le Tribunal du travail de Tournai reconnaît l’accident, considérant que l’intéressé était au service de la société assurée au moment des faits et qu’il se trouvait sous l’autorité virtuelle de l’employeur.

L’assureur-loi interjette appel.

Moyens des parties devant la cour

La partie appelante conteste en premier lieu le délai entre l’accident et le respect de l’obligation de déclaration. Elle fait valoir en outre qu’il y a lieu de vérifier si l’intéressé était en train d’exécuter son contrat au moment des faits, c’est-à-dire s’il était sous l’autorité – même virtuelle – de l’employeur et si sa liberté personnelle était limitée en raison de l’exécution de son contrat.

Une douzaine d’éléments de fait sont pointés, susceptibles, pour l’assurance, d’établir qu’il n’y avait pas exécution du contrat. Est essentiellement visé le fait que le tournoi n’était pas organisé par la société et que l’organisation de la manifestation était une initiative personnelle d’un travailleur. En outre, l’inscription était payante et le match était intervenu lors d’une journée de repos. L’assureur souligne que non seulement l’employeur n’avait pas organisé la manifestation mais qu’il ne l’avait pas non plus encouragée aux fins de renforcer l’esprit d’entreprise.

Quant à l’intéressé, il fait valoir des éléments de fait, étant qu’il aurait prévenu le brigadier de service, ce qui impliquait une limitation de sa liberté personnelle. Vu ces éléments, il considère que le degré d’implication de l’employeur dans l’organisation du tournoi est accessoire. Il fait valoir d’autres éléments permettant de faire un lien entre la manifestation intervenue et la société elle-même, dont le lieu du tournoi, les maillots portés, la publication des résultats dans le magazine de l’entreprise, la présence du « grand patron » au match, une culture d’entreprise très axée sur le « team building » et, encore, la tradition de matchs de football à la St-Eloi.

Décision de la cour

La cour se livre en premier lieu à un rappel des définitions et du mécanisme de la preuve de l’accident du travail. Elle réserve des considérations particulières à la notion de « cause extérieure » rappelant que ce critère a été abandonné lors de l’adoption de la loi du 10 avril 1971, abandon confirmé dans l’arrêt de la Cour de cassation du 28 mai 1979 (Cass., 28 mai 1979, R.G. n° 2511). Il n’y a dès lors plus lieu de rechercher la cause extérieure et des mouvements du corps, non provoqués par celle-ci, peuvent être considérés comme événement soudain, la cour renvoyant à l’arrêt du 7 janvier 1991 de la Cour suprême (Cass., 7 janvier 1991, R.G. n° 7263).

Il convient dès lors d’examiner en premier lieu si les éléments constitutifs de l’accident sont présents, et ce avant de faire jouer les présomptions légales.

La lésion n’est certes pas contestable en l’espèce, s’agissant d’une rupture du tendon d’Achille constatée le jour des faits. L’événement soudain ne l’est pas davantage, dans la mesure où il a été constaté par des témoins.

La question cruciale est évidemment de déterminer si – conformément à l’exigence légale – l’accident est survenu dans le cours de l’exécution du contrat de travail. Si cet élément est rapporté, joue alors la présomption légale de l’article 7 de la loi du 10 avril 1971, selon laquelle il est présumé survenu par le fait de l’exécution.

Avant d’examiner si la présomption est renversée, il faut dès lors s’attacher à déterminer si la victime apporte la preuve qui lui incombe, étant que l’accident est survenu dans le cours de l’exécution du contrat de travail. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation rappelée par la cour du travail (Cass., 9 septembre 1985, R.G. n° 7355 ), il faut que le travailleur se trouve au moment de l’accident sous l’autorité au moins virtuelle de l’employeur, notion définie comme étant que sa liberté personnelle doit être limitée en raison de l’exécution du contrat. Le lien de subordination n’est dès lors pas nécessairement inhérent au temps de travail et l’exécution du contrat ne coïncide pas toujours avec l’exécution du travail.

En ce qui concerne les activités qui ont lieu au sein de l’entreprise, la cour rappelle que, dans la mesure où celle-ci est une communauté de travail, ces activités peuvent engendrer l’application de la loi si elles ont été organisées, encouragées ou acceptées par l’employeur. La cour rappelle ainsi que les fêtes d’entreprise célébrées à l’occasion du nouvel an ou des fêtes patronales sont couvertes, et ce même si les événements en cause sont fêtés en dehors du cadre de l’entreprise et que la présence du personnel n’est pas obligatoire.

Plus particulière est l’hypothèse de la manifestation sportive, pour laquelle la loi peut également trouver à s’appliquer s’il est établi que l’employeur l’a encouragée directement aux fins de favoriser le développement du sentiment d’appartenance à la communauté de travail voire même, comme le précise l’arrêt, une plus grande convivialité entre les membres du personnel. Ces éléments sont en effet de nature à renforcer l’ambiance de travail et la participation à l’activité peut même être facultative.

Il faut rechercher s’il existe un lien de causalité par rapport à une circonstance tenant au milieu professionnel dans laquelle le travailleur est placé en raison de l’exécution du contrat. Certains éléments ne sont dès lors pas déterminants (lieu extérieur à l’entreprise ainsi que le caractère facultatif de la participation des travailleurs).

La cour examine dès lors minutieusement l’ensemble des éléments avancés par l’assureur, tendant à établir qu’il n’y avait pas autorité même virtuelle. Ces éléments sont au nombre de cinq :

  • participation volontaire des travailleurs sans aucune émanant de l’employeur ;
  • organisation de l’événement en dehors de l’entreprise par un travailleur qui n’était pas membre du comité des fêtes et qui a collecté la quote-part de chaque équipe ;
  • affichage dans l’entreprise à l’initiative du travailleur et inscription du travailleur blessé via cette liste ;
  • obligation pour les équipes de se munir de leur propre maillot ;
  • caractère libre dans le chef du personnel de cadre d’assister à la manifestation en cause.

Sont par contre indifférents les critères suivants :

  • affichage des résultats dans le magazine « info » de l’entreprise ;
  • utilisation des maillots avec l’autorisation de la société ;
  • obligation dans le chef du brigadier de service de s’y rendre (absence de preuve de ce fait) ;
    etc.

Ces éléments sont, avec d’autres points annexes, considérés comme insuffisants pour rencontrer les points ci-dessus, relatifs à l’organisation de la manifestation.

Il est dès lors conclu que la victime ne rapporte pas la preuve qui lui incombe, à savoir que l’accident est survenu au cours de l’exécution du contrat de travail.

Intérêt de la décision

La cour a dû, dans ce cas d’espèce, trancher dans des éléments de fait particulièrement délicats, dont elle a retenu, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation souverain, qu’il ne ressortait pas à suffisance de droit des éléments avancés que la manifestation en cause avait été organisée, encouragée ou acceptée par l’employeur, afin de permettre l’application de la loi.

Un intérêt de l’arrêt, sur le plan des principes, est de rappeler que, en ce qui concerne la notion d’exécution du contrat de travail, il appartient d’abord au travailleur d’apporter la preuve qu’il se trouvait dans le cours de cette exécution. Ce n’est qu’une fois celle-ci produite qu’intervient l’examen du renversement de la présomption légale, étant que l’accident survenu au cours de l’exécution ne le serait pas par le fait de celle-ci.


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