Terralaboris asbl

Apport de clientèle : des précisions

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 avril 2015, R.G. 2013/AB/781

Mis en ligne le mardi 27 octobre 2015


Cour du travail de Bruxelles, 22 avril 2015, R.G. n° 2013/AB/781

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 avril 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la protection contre le licenciement commence au moment du dépôt de la plainte conformément à l’article 32tredecies de la loi du 4 août 1996 et non plus (comme c’était le cas avant la loi du 10 janvier 2007), lors de la notification de la plainte à l’employeur.

Les faits

Un employé est engagé en qualité de représentant de commerce en juillet 2003 par une société active dans le secteur de la lingerie et d’articles balnéaires.

Suite à une proposition d’avenant au contrat de travail, qui se révèle susceptible d’entraîner une modification importante de la rémunération variable, les relations entre les parties se détériorent et le représentant décide de s’adresser au directeur général aux fins de faire état des griefs qu’il a vis-à-vis de sa hiérarchie immédiate.

La situation ne s’améliorant pas, il fait une demande aux fins d’obtenir le formulaire pour plainte en harcèlement et ce début novembre 2010. Il conteste auprès de la société, dans un écrit concomitant, les griefs qui lui sont faits et, après un échange de correspondance, il signale enfin qu’il dépose plainte, ce qu’il fait. Huit jours plus tard, il se voit notifier une rupture du contrat de travail moyennant paiement d’une indemnité de dix mois de rémunération, notification intervenue par huissier de justice.

Le même jour, le SPF emploi informe la société du dépôt de la plainte intervenu six jours plus tôt.

Un litige est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal statue par jugement du 27 mai 2013, faisant droit à une partie importante de la demande (celle-ci portant sur divers chefs, dont un solde d’indemnité compensatoire de préavis, une indemnité d’éviction, des pécules de vacances et l’indemnité de protection au sens de l’article 32tredecies de la loi du 4 août 1996). Le tribunal accorde l’indemnité d’éviction ainsi que l’indemnité de protection et des arriérés de pécules de vacances.

La société interjette appel, de telle sorte que l’intéressé forme appel incident, reprenant les chefs de demande qui n’ont pas été accueillis.

La décision de la cour du travail

Les postes examinés plus longuement par la cour sont au nombre de quatre.

Le premier, relatif au complément d’indemnité compensatoire de préavis retient, pour une ancienneté de 7 ans ½ et un âge de 52 ans, pour l’exercice d’une fonction commerciale, un préavis raisonnable de dix mois. Un léger reliquat est alloué eu égard à une rectification de la rémunération variable.

La cour s’attache ensuite de manière circonstanciée à la question de l’indemnité de protection.

Le débat porte sur l’interprétation de l’article 32tredecies de la loi, la société faisant valoir que la protection débute non au dépôt de la plainte mais au moment où celle-ci est notifiée à l’employeur. Selon elle, ce licenciement est intervenu avant qu’elle ait reçu notification de la plainte et il n’y a dès lors pas protection. Au contraire, l’intéressé estime que celle-ci commence à partir de l’introduction de la plainte (et ce indépendamment de son fondement d’ailleurs). Il y a protection et la société est tenue d’établir le motif étranger.

Selon le ministère public, la protection débute au moment du dépôt de la plainte.

La cour s’attache dès lors à analyser le mécanisme légal, à propos duquel elle reprend, dans un premier temps, les dispositions applicables, ainsi que les travaux parlementaires lors de la législature 2006-2007, vu la modification légale intervenue par la loi du 10 janvier 2007.

Elle constate que la plainte a été déposée par l’intéressé antérieurement au licenciement, ce qui suffit à le faire bénéficier de la protection légale. La cour renvoie aux travaux parlementaires, à ce sujet, considérant qu’ils n’autorisent aucune interprétation qui permettrait de dire que seule l’information donnée à l’employeur par la personne recevant la plainte ferait débuter la protection. Il importe dès lors peu que celui-ci n’ait été informé que par un courrier du 15 décembre (portant, en sus le cachet du 18 décembre), soit postérieurement à la décision de licencier, matérialisée dans une lettre intervenue peu avant.

En conséquence, la société doit établir qu’elle a licencié l’intéressé pour des motifs étrangers à la plainte, ce qu’elle ne fait pas, la cour relevant que le motif du chômage est une « divergence d’opinions » et que les écrits du conseil de la société confirment encore la chose.

Enfin, sur l’indemnité d’éviction, la cour s’attache également à rappeler les principes de cette indemnité particulière, visée à l’article 101 de la loi du 3 juillet 1978. Elle aborde la notion d’apport de clientèle, renvoyant à. diverses décisions de jurisprudence : il s’agit de convaincre « de nouveaux clients », l’apport supposant d’augmenter le nombre de clients soit en nombre avec de nouveaux soit avec des clients existants (mais perdus) qui n’ont plus passé de commandes depuis une longue période et pouvant ainsi être assimilés à de nouveaux clients.

Le chiffre d’affaires, en augmentation, ne peut constituer un apport dès lors qu’il est réalisé avec le maintien ou l’entretien de la clientèle existante.

Quant au nombre de clients lui-même, la cour renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 24 mars 1986 (Cass., 24 mars 1986, R.G. 5087), selon lequel il n’est pas requis que la clientèle soit considérable. Enfin, elle reprend les principes sur l’absence de préjudice, situation élisive de l’obligation de paiement de l’indemnité. Sur cette question, elle rappelle que l’employeur a la charge d’une triple preuve, étant (i) que le représentant a retrouvé une activité similaire chez un concurrent de l’employeur et qu’il prospecte et visite la clientèle en vue de la négociation ou de la conclusion d’affaires relatives aux mêmes produits (ou qu’il le fait pour compte propre), (ii) qu’il s’agit de la même clientèle ou du même secteur et (iii) que la clientèle doit être restée fidèle au représentant.

Des éléments de fait produits, la cour dégage la conclusion que sur sept ans et demi (soit toute la durée d’occupation), le représentant a apporté 38 nouveaux clients et que l’indemnité est due. Elle relève encore que, même s’il y a eu une diminution du chiffre d’affaires auprès de détaillants, celle-ci n’est pas de nature à contredire un apport de clientèle, dans la mesure où elle peut être attribuée à d’autres facteurs, sur lesquels le représentant n’avait aucun contrôle.

Enfin, la cour examine également une question de prescription des pécules de vacances (qui sera abordée dans un commentaire ultérieur).

Intérêt de la décision

L’arrêt commenté examine donc quatre points bien particuliers dont seuls les trois premiers font l’objet du présent commentaire, s’agissant de questions d’indemnités liées à la rupture du contrat de travail. Outre le rappel des règles en matière de fixation du délai de préavis des employés pour les ruptures intervenant avant le 1er janvier 2014, la cour s’attache à deux examens de points juridiques importants, dont surtout la modification intervenue par la loi du 10 janvier 2007 en ce qui concerne la protection en cas de licenciement intervenant après ou concomitamment au dépôt d’une plainte en harcèlement.

Sur cette question, il y a effectivement lieu de souligner - comme le fait l’arrêt lui-même - que la modification légale a entraîné un changement des règles en matière de début de protection contre le licenciement dès lors qu’une plainte en harcèlement est déposée. La cour du travail rappelle à cet égard qu’est inapplicable, pour ces plaintes, l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 3 mars 2014 (Cass., 3 mars 2014, R.G. n° S.12.0110.F), qui a statué dans le cadre de l’ancien texte. La cour souligne que cet arrêt (précédemment commenté) avait confirmé le caractère restrictif du mécanisme légal, les critères de protection exigeant notamment l’information de l’employeur. La Cour de cassation avait dans cet arrêt mis un terme au débat sur la question dans le cadre du libellé de l’article 32tredecies en vigueur à l’époque.

La cour du travail rappelle également que la jurisprudence antérieure des cours du travail n’est dès lors plus applicable pour les plaintes soumises à la protection légale telle qu’organisée depuis la loi du 10 janvier 2007.

Les travaux préparatoires - cités par la cour du travail - avaient souligné le fait que le plaignant ne bénéficiait d’aucune protection contre le licenciement pendant la phase (informelle) de conciliation qui précède l’éventuel dépôt d’une plainte formelle. Or, cette période de contact est particulièrement délicate, de telle sorte que le législateur a estimé opportun d’assurer une protection contre le licenciement ¬représailles dès le début.

Cette question est dès lors actuellement réglée en ce sens.


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