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Législation applicable en matière de sécurité sociale en cas d’occupation occasionnelle dans un Etat membre autre que l’Etat de résidence

Commentaire de C.J.U.E., 23 avril 2015, Aff. C-382/13

Mis en ligne le lundi 28 septembre 2015


C.J.U.E., 23 avril 2015, Aff. C-382/13 (FRANZEN, GIESEN, VAN DEN BERG C/ RAAD VAN BESTUUR VAN DE SOCIALE VERZEKERINGSBANK)

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 23 avril 2015, la Cour de justice, saisie sur question préjudicielle par le Centrale Raad van Beroep (Pays-Bas), rappelle que des exceptions peuvent être admises au principe d’unicité de la loi applicable, l’Etat membre qui n’est pas compétent pouvant sous certaines conditions octroyer des prestations de sécurité sociale à un travailleur migrant en application de son droit national.

Les faits

La décision de la Cour de justice concerne trois affaires similaires. La première (FRANZEN) est rendue en matière d’allocations familiales. L’intéressée perçoit aux Pays-Bas des allocations familiales pour sa fille, qu’elle élève seule. Depuis janvier 2001, elle travaille en tant que coiffeuse à raison de vingt heures par semaine en Allemagne, ce dont elle informe l’institution néerlandaise. Ses revenus professionnels étant peu importants, elle n’est affiliée, en Allemagne, qu’au régime des accidents du travail et n’a pas accès à un autre régime de sécurité sociale allemand. Diverses décisions étant prises par l’administration, l’intéressée bénéficie en fin de compte d’allocations familiales à partir de janvier 2006. En ce qui concerne les arriérés, depuis l’année 2002, il est décidé, fin 2007, qu’elle n’y a pas droit, seule la législation allemande s’appliquant à son cas (Règlement n° 1408/71, art. 13, § 2).

Les deux autres dossiers (GIESEN, ET VAN DEN BERG) concernent des affaires de pension, pensions qui ont été réduites, l’administration néerlandaise n’ayant pas pris en compte certaines périodes d’occupation en Allemagne, le premier ayant eu le statut de personne exerçant une activité mineure (étant menée dans le cadre d’un contrat de travail occasionnel ne dépassant pas deux ou trois jours par mois) et le second ayant exercé également une activité pendant de brèves périodes et ayant perçu des revenus à ce point bas qu’il n’a pu être considéré comme redevable de cotisations en Allemagne.

Les questions préjudicielles

Deux questions sont posées à la Cour de justice, la première étant de savoir si l’article 13, § 2, a), du Règlement n° 1408/71 doit être interprété en ce sens qu’un résident d’un Etat membre, relevant du champ d’application du règlement, qui travaille pendant quelques jours par mois sur la base d’un contrat occasionnel sur le territoire d’un autre Etat membre de l’Union, est soumis à la législation de l’Etat d’emploi et si, dans l’affirmative, ceci couvre également les jours durant lesquels aucune activité salariée n’est exercée.

Par la deuxième question, le juge néerlandais demande si la même disposition, lue en combinaison avec le § 1er du même article, doit être interprétée en ce sens que, dans des circonstances telles que décrites ci-dessus, il s’oppose à ce qu’un travailleur migrant, qui est soumis à la législation de l’Etat membre d’emploi, perçoive en vertu de la législation nationale de son Etat de résidence les prestations relatives au régime d’assurance vieillesse ou encore les allocations familiales de cet Etat.

Position de la Cour

La Cour aborde les deux questions successivement, considérant, en ce qui concerne la première, que le système de coordination des régimes nationaux de sécurité sociale a mis en place des règles relatives à la détermination de la législation applicable aux travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de l’Union. Ces règles sont que ces travailleurs sont soumis au régime de la sécurité sociale d’un seul Etat membre, et ce aux fins d’éviter les cumuls de législations applicables. Ce principe de l’unicité de la législation est inscrit dans la disposition visée, étant l’article 13, § 1er du Règlement n° 1408/71.

La Cour de justice a cependant déjà jugé dans l’hypothèse d’un travailleur qui travaillait à temps partiel (deux fois deux jours par semaine) que le Règlement n° 1408/71 ne permet pas d’exclure de son champ d’application certaines catégories de personnes en raison du temps consacré à l’exercice de l’activité. C’est l’affaire KITS VAN HEIJNINGEN (C-2/89). La question posée est celle de l’application de cette jurisprudence aux situations actuelles.

Pour la Cour de justice, le temps consacré à l’exercice de l’activité salariée est sans importance en vue de la détermination de l’applicabilité du Règlement n° 1408/71. La personne en cause est dès lors soumise à la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel elle exerce son activité salariée.

Le juge national demandant en outre – au cas où la Cour de justice dégagerait la règle de l’application de la législation de l’Etat membre d’emploi – si la loi est applicable non seulement les jours pendant lesquels l’activité est exercée mais également pendant ceux où elle ne l’est pas. La Cour de justice renvoie encore à l’arrêt KITS VAN HEIJNINGEN, le Règlement n° 1408/71 n’établissant aucune distinction selon que l’activité est exercée à temps plein ou à temps partiel. Elle en déduit comme enseignement, dans le cadre de la présente affaire, que les mêmes conclusions s’appliquent à une activité salariée exercée de manière occasionnelle.

Elle répond dès lors à la question posée que les dispositions en cause doivent être interprétées en ce sens que le résident d’un Etat membre, qui relève du champ d‘application du règlement et qui travaille pendant quelques jours par mois sur la base d’un contrat de travail occasionnel sur le territoire d’un autre Etat membre est soumis à la législation de l’Etat d’emploi tant pendant les jours pendant lesquels il exerce une activité salariée que pendant ceux où il ne l’exerce pas.

Sur la deuxième question relative à la possibilité pour le travailleur migrant de percevoir des prestations (d’assurance vieillesse ou d’allocations familiales) de l’Etat de résidence, eu égard à l’existence de circonstances particulières, la Cour de justice constate que les intéressés n’ont pas été affiliés au régime de sécurité sociale des Pays-Bas pour ces secteurs.

Dans d’autres affaires, la Cour de justice a précédemment admis des exceptions au principe d’unicité de législation, reconnaissant la faculté pour un Etat membre qui n’est pas compétent en vertu du titre II du Règlement n° 1408/71 d’octroyer sous certaines conditions des prestations de sécurité sociale à un travailleur migrant en application de son droit national.

Ainsi, en matière de prestations familiales, la Cour renvoie à l’arrêt BOSMANN (C-352/06), où elle admis qu’en cas d’absence de cumul de prestations familiales du même type malgré l’application simultanée de deux législations, même si l’Etat de résidence n’est pas tenu d’octroyer la prestation familiale en question, la possibilité de cet octroi ne peut être exclue si cette personne pouvait en bénéficier du seul fait de sa résidence dans cet Etat. Le règlement n’a en effet pas vocation à empêcher l’Etat de résidence d’octroyer des allocations familiales à un tel travailleur en application de sa législation.

La Cour renvoie également aux affaires HUDZINSKI et WAWRZYNIAK (C-611/10 et C-612/10), concernant un travailleur migrant ayant exercé un travail temporaire dans un Etat où il avait été assujetti à l’impôt sur le revenu et qui avait pu percevoir de cet Etat des prestations pour enfant complémentaires à celles de l’Etat de résidence.

En l’espèce, la solution est d’autant plus évidente que la législation néerlandaise ne subordonne pas le droit à une prestation familiale à des conditions d’emploi ou d’assurance mais uniquement à la condition de résidence. La Cour souligne encore que, vu le caractère peu important de ses prestations de travail, l’intéressée ne perçoit pas les prestations de sécurité sociale correspondantes en Allemagne.

Le même raisonnement est à suivre pour ce qui est des questions de pension, la Cour renvoyant également par analogie à l’arrêt BOSMANN.

La deuxième question trouve dès lors une réponse affirmative, étant que l’article 13, § 2, a) du Règlement n° 1408/71, lu en combinaison avec son § 1er doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles soumises en cause au principal, il ne s’oppose pas à ce qu’un travailleur migrant soumis à la législation de l’Etat membre d’emploi perçoive en vertu de la législation nationale de l’Etat de résidence les prestations relatives au régime d’assurance vieillesse ou les allocations familiales.

Intérêt de la décision

Cette affaire renvoie aux principes de base de la coordination. Celle-ci a pour but d’éviter les cumuls et les complications dans l’application de la législation de plusieurs Etats membres. Le règlement n’a cependant pas pour vocation, comme la Cour le rappelle, à priver des travailleurs migrants du bénéfice de prestations sociales de la part de l’Etat qui n’est pas compétent, dans certaines circonstances, telles que celles de l’espèce, où il n’y a pas de cumul de prestations, le travailleur n’ayant aucun droit correspondant dans l’Etat d’emploi.


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