Terralaboris asbl

Commission paritaire compétente pour les entreprises à finalité sociale

Commentaire de Cass., 8 juin 2015, n° S.14.0091.F

Mis en ligne le mardi 8 septembre 2015


Cour de cassation, 8 juin 2015, n° S.14.0091.F

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 18 juin 2015, la Cour de cassation se prononce sur la détermination de la commission paritaire compétente pour une société anonyme à finalité sociale ayant à la fois une activité de nature économique (la collecte de papiers/cartons) et une activité d’insertion professionnelle, ces deux activités étant indissolublement liées entre elles.

Les faits et antécédents de la cause

La société à finalité sociale (ci-après SAFS) Récol’Terre a pour objet social d’organiser toute activité susceptible de réaliser sa finalité, à savoir l’aide aux personnes socialement défavorisées, qu’il s’agisse de chômeurs, handicapés ou de toute autre personne en état de marginalisation. Elle vise la réinsertion sociale et professionnelle de ces personnes exclues des circuits traditionnels de l’emploi, en leur procurant un travail stable et rémunéré et en organisant tous les types de formation professionnelle nécessaires. Son objet social est décrit comme l’organisation de la collecte des papiers/cartons ou de tout autre produit. Elle organise ainsi une activité de collecte sélective des recyclables pour la récolte du verre, du papier carton et des PMC.

Elle ressortissait à la commission paritaire n° 100. Suite à deux contrôles sociaux en 2010, l’inspection des lois sociales a préconisé le maintien de l’appartenance à cette commission paritaire. Ces rapports ont notamment mis en exergue le fait que l’activité de l’entreprise s’inscrit dans une démarche d’insertion visant à permettre aux travailleurs d’acquérir différentes compétences dans leur parcours d’insertion et que sa mission suppose souvent un réapprentissage de base comme par exemple celui du respect d’un horaire de travail. Tout cela nécessite dès lors d’affecter indifféremment les travailleurs à tous les postes de travail.

La Direction générale des Relations collectives de travail s’est écartée des conclusions de l’inspection des lois sociales. Elle a estimé sur la base du chiffre d’affaires de 2009 et des différentes activités économiques exploitées par la SAFS, que l’activité de récolte de papiers/cartons en porte-à-porte constituait l’activité principale réellement exercée, en sorte que l’entreprise devait dépendre de la commission paritaire 121 du secteur du nettoyage. En matière de commission paritaire, c’est en effet toujours l’activité réellement exercée qui doit être prise en considération et jamais la finalité de cette activité.

L’ONSS et la SAFS ont comparu volontairement devant le tribunal du travail de Liège pour voir trancher le litige sur l’appartenance à la commission paritaire n° 100 ou n° 121.

Par jugement du 23 avril 2012, rendu sur avis conforme du ministère public, le tribunal du travail a considéré que la condition d’exercice principal de l’activité de récolte de papiers/cartons en porte-à-porte n’était pas rencontrée en l’espèce, l’activité d’insertion de personnes défavorisées et l’activité économique étant indissociables l’une de l’autre, en sorte qu’aucune ne pouvait être considérée comme principale par rapport à l’autre. Le tribunal a dès lors décidé que la commission paritaire n° 100 était seule compétente.

L’O.N.S.S. a interjeté appel de ce jugement.

L’avis du ministère public en degré d’appel préconisait le rattachement à la commission paritaire n° 121. Comme la Direction générale des Relations collectives de travail, cet avis considérait que la réinsertion professionnelle ne pouvait être une activité principale ni accessoire, ni être une activité incluse dans ou exclue du ressort de telle ou telle commission paritaire, puisqu’elle ne constitue pas une activité mais la finalité de la SAFS. Il était fait notamment référence à l’article 661 du Code des sociétés relatif aux SAFS qui dispose que les statuts définissent de façon précise le but social auquel sont consacrées les activités visées dans leur objet social.

En réplique à l’avis du ministère public, la SAFS Récol’Terre a déposé divers documents sur la composition actuelle du personnel de l’entreprise ainsi qu’une documentation sur les sociétés à finalité sociale.

Ces documents n’ayant pas été soumis à la contradiction des parties, la cour du travail a ordonné, par un arrêt du 6 septembre 2013, la réouverture des débats en précisant les éléments d’information qu’elle souhaitait obtenir (R.G. n° 2012/AL/349, 6e ch.).

L’arrêt de la cour du travail de Liège du 23 mai 2014 confirme le jugement dont appel et dit pour droit que la SAFS ressortit à la commission paritaire n° 100 auxiliaire pour ouvriers.

Le raisonnement de la cour du travail est en substance que :

  • plus de 50% du personnel occupé par la société appartient au public cible, les activités d’insertion concernant ainsi une part significative du personnel de l’entreprise ;
  • cette structuration du volume de l’emploi conditionne le fonctionnement de l’entreprise et l’organisation du travail en son sein ; ainsi, les diverses activités de collecte de recyclables sont organisées en doublon, pour assurer la formation de nouveaux entrants et pallier l’absentéisme important présenté par cette catégorie de travailleurs qui ont connu un décrochage du monde du travail ; ce doublement des effectifs repose sur un système de parrainage interne qui a pour conséquence qu’au sein même de l’entreprise, le travail de formation/insertion est assuré au quotidien sur le terrain par une part non négligeable des travailleurs salariés et l’encadrement en interne des travailleurs en insertion est organisé principalement par le chef d’entreprise en partenariat avec le service du personnel du Groupe Terre et des intervenants externes ;
  • les activités d’insertion sont orientées selon trois axes principaux : la formation professionnelle à la manutention de charges, à la conduite écho-proactive, aux mesures de sécurité ; l’insertion proprement dite par l’apprentissage des comportements indispensables tels le respect des horaires, le port des équipements de protection, l’apprentissage du travail en équipe, de la communication et du respect des consignes et enfin, une formation civique.

La cour du travail relève que la commission paritaire n° 121 n’est compétente que pour les entreprises qui assurent principalement ou avec un groupe d’ouvriers clairement distinct, la collecte de porte-à-porte.

La cour rappelle que c’est l’activité réelle de l’entreprise qui doit être examinée in concreto. Elle décide que les activités pouvant être prises en considération ne relèvent pas exclusivement des secteurs de l’économie de production et livraison de biens ou de prestations de services de type strictement commercial, se référant notamment aux commissions paritaires regroupant des entreprises du secteur non-marchand. La notion d’activité doit donc être comprise au sens large. Elle inclut toutes les activités professionnelles de salariés de l’entreprise ou de la structure associative en question. Le critère décisif est l’activité justifiant l’existence même de l’entreprise.

S’appuyant sur les éléments de fait, la cour décide que l’activité d’insertion est bien réelle et a une incidence directe sur le processus de travail. Elle concerne en définitive, quoiqu’à des titres divers, l’ensemble des travailleurs de l’entreprise.
La cour du travail relève encore que si le régime juridique des SAFS introduit une distinction entre le but de la société – c’est-à-dire sa finalité sociale – et son objet – c’est-à-dire l’activité projetée dans les statuts –, en pratique les deux sont intimement liés (l’arrêt se réfère à M. COIPEL, Droit des sociétés commerciales, Kluwer,Ch. II, « Les sociétés à finalité sociale », n° 440, p. 147).

La cour du travail considère dès lors que les activités économiques et d’insertion sont indissolublement liées et que ne pas tenir compte de la seconde revient à nier ce qui fait le cœur même de son métier, en sorte que, sans cette activité permanente d’insertion socio-professionnelle, son entreprise serait dénaturée. L’activité de collecte de recyclables ne présente donc pas un caractère principal par rapport à l’activité d’insertion professionnelle qui est consubstantielle à l’activité économique et d’égale importance.

L’ONSS s’est pourvu en cassation contre cet arrêt.

L’arrêt de la Cour de cassation

Par l’arrêt commenté, la Cour de cassation, sur les conclusions conformes du ministère public, rejette le pourvoi.

La réponse qu’apporte la Cour de cassation aux première, deuxième et quatrième branches du moyen donne des indications de principe importantes pour les entreprises à finalité sociale.

La première branche du moyen soutenait en substance que l’erreur fondamentale de l’arrêt attaqué était de considérer que la société exerçait une double activité alors qu’elle n’en avait qu’une seule, nécessairement principale, la récolte de papiers et de cartons, et que cette activité était exercée par du personnel en insertion socio-professionnelle, conformément à son but social. Le moyen en cette branche supposait ainsi que l’insertion ne pouvait constituer une activité déterminant le ressort d’une commission paritaire.

La Cour de cassation y oppose que l’insertion sociale et professionnelle de travailleurs salariés peut constituer une activité déterminant le ressort d’une commission paritaire.

La deuxième branche du moyen invoquait principalement la violation des articles 1er, 19, 69, 11° et 661, alinéa 1.2 du Code des sociétés pour en déduire que l’activité de la SAFS, même poursuivie en vue de favoriser son but social, n’était pas la réalisation de ce but social mais l’organisation de la collecte de papiers et de cartons.

La Cour de cassation y oppose qu’il ne résulte pas de ces dispositions du Code des sociétés qu’une société à finalité sociale ne pourrait avoir pour activité l’insertion sociale et professionnelle de travailleurs défavorisés.

La quatrième branche du moyen soutenait en substance que la société avait pour seule activité économique l’organisation de la collecte de papiers et de cartons et que, pour écarter l’appartenance à la commission paritaire n° 121, cette société aurait dû démontrer que l’activité spécifique d’insertion modifiait fondamentalement l’activité réelle de l’entreprise au point de ne plus pouvoir considérer que celle-ci restait celle de la collecte de déchets.

La Cour de cassation y répond que « ne constitue pas l’activité principale, déterminant la commission paritaire à laquelle ressortit l’entreprise, l’activité de nettoyage exercée conjointement avec une activité d’insertion d’égale importance ».

Intérêt de la décision

Dans un arrêt inédit du 2 février 2009 (R.G. S.08.0112.N), la Cour de cassation avait déjà rejeté un pourvoi de l’ONSS contre un arrêt ayant constaté qu’aucune des activités ne pouvait être écartée sans modifier la nature même de l’entreprise et qu’il n’était pas possible d’attribuer à l’une d’elles la qualité d’activité principale. La Cour de cassation avait décidé que le moyen ne pouvait être accueilli dans la mesure où il supposait que l’entreprise ne pouvait réaliser des bénéfices que par son activité économique et non par les prestations de services qu’elle offrait comme entreprise de réinsertion.

Le critère de rattachement à une commission paritaire ne se limitait donc pas nécessairement à la seule activité dite économique lorsqu’elle est indissociable de l’activité non-économique.

Il est donc actuellement acquis qu’il n’est pas permis d’exclure par principe du critère de rattachement à une commission paritaire l’existence d’une activité non économique de réinsertion sociale, lorsque celle-ci s’avère indissociable de l’activité économique.


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