Terralaboris asbl

Requalification du contrat et cotisations de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Liège, div. Liège, 13 mai 2015, R.G. 2014/AL/161

Mis en ligne le mardi 8 septembre 2015


Cour du travail de Liège, div. Liège,13 mai 2015, R.G. n° 2014/AL/161

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 13 mai 2015, la Cour du travail de Liège, statuant sur renvoi après un arrêt de la Cour de cassation du 18 novembre 2013, accueille en son principe une demande de dommages et intérêts introduite à l’appui d’une demande de requalification d’une convention de collaborateur indépendant en contrat de travail. Les débats ayant essentiellement porté à ce stade sur la prescription, la cour pointe notamment la question de la détermination du préjudice subi eu égard au non versement des cotisations de sécurité sociale.

Les faits

Dans cette affaire, opposant une société, un travailleur et l’ONSS, la cour examine l’évolution d’une relation contractuelle, le travailleur ayant été engagé comme indépendant en qualité d’associé actif d’une SCRL (forme juridique adoptée à l’époque) à partir de 1998. L’intéressé a démissionné en 2001. Après l’expiration du délai annal, il a introduit une action portant sur la régularisation de salaires, de jours fériés, de pécules de vacances et de primes de fin d’année.

L’affaire a connu des développements importants.

Le jugement du Tribunal du travail de Bruxelles du 20 janvier 2005

Le tribunal du travail a conclu à l’existence d’un contrat de travail et a limité la condamnation à la somme provisionnelle de 1€ de dommages et intérêts. Pour le tribunal, la qualification contractuelle n’est pas compatible avec les conditions d’exécution du contrat, les éléments du contrat de travail étant réunis. Il a admis que la règle de prescription applicable est l’article 26 du Titre préliminaire du Code d’Instruction criminelle, s’agissant d’une action fondée sur la violation de dispositions légales sanctionnées pénalement.

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 5 septembre 2007

Sur appel de la société (devenue une S.A.), la cour a confirmé l’existence d’un contrat de travail et a condamné la société à payer un montant de l’ordre de 35.500€ au travailleur et 1€ provisionnel à l’ONSS. La règle de prescription retenue était également l’article 26 du Titre préliminaire du C.I.C.

L’arrêt de la Cour de cassation du 9 février 2009

La société s’est pourvue en cassation, essentiellement sur la question de la prescription. La cour a accueilli le pourvoi, considérant que le juge qui statue sur une demande fondée sur une infraction et qui vérifie s’il y a prescription doit constater que les faits qui servent de base à la demande tombent sous l’application de la loi pénale. Il doit donc relever les éléments constitutifs de cette infraction, qui ont un effet sur l’appréciation de la prescription. Ceci n’a pas été fait par la cour du travail, qui s’est limitée à constater que le travailleur invoquait l’existence d’une infraction. Celle-ci s’est abstenue de s’assurer que les éléments constitutifs de l’infraction étaient réunis et l’arrêt est dès lors cassé.

L’arrêt de la Cour du travail de Mons du 14 février 2012

Sur renvoi, la Cour du travail de Mons a rendu deux arrêts, le premier ordonnant une réouverture des débats, en date du 8 mars 2011, le second tranchant la cause.

Pour la cour, la règle de prescription applicable n’est pas l’article 26 du Titre préliminaire du C.I.C., vu l’existence d’une erreur invincible dans le chef de la société, erreur faisant obstacle à l’imputation de l’infraction : la société avait en effet fait l’objet de poursuites pénales au début des années 1990 et avait été acquittée. La cour du travail en conclut dès lors qu’au moment de l’engagement de l’intéressé (1998), elle pouvait estimer que son mode de fonctionnement était non critiquable (l’acquittement par la Cour d’appel de Liège ayant été prononcé par arrêt du 19 juin 1996).

L’arrêt de la Cour de cassation du 18 novembre 2013

Un pourvoi est introduit par le travailleur et, dans un arrêt du 18 novembre 2013, celui-ci est accueilli. Pour la Cour de cassation, les décisions pénales intervenues (Tribunal correctionnel de Namur du 25 avril 1994 et Cour d’appel de Liège du 19 septembre 1996) ne peuvent être considérées comme une erreur invincible constituant un motif de non imputabilité de l’infraction et permettant de considérer que la légalité du mode de fonctionnement de l’entreprise ne pouvait être mise en doute. La Cour suprême fait grief à la cour du travail de ne pas avoir procédé à une analyse comparative détaillée des modalités d’exécution des prestations de travail en la présente affaire avec celle des travailleurs concernés précédemment par les deux décisions pénales.

L’arrêt de la Cour du travail de Liège du 13 mai 2015

L’affaire ayant été renvoyée vers Liège, la cour du travail se livre à une longue analyse des questions juridiques soulevées par les éléments soumis.

Elle se penche, dans cet arrêt du 13 mai 2015, essentiellement sur la question de la prescription, relevant, argument après argument, l’incompatibilité des obligations mises à charge du travailleur avec la qualification contractuelle. Elle écarte dès lors celle-ci et retient l’existence d’un contrat de travail.

En ce qui concerne l’autorité de chose jugée au pénal, elle en rappelle le limites, soulignant que l’intéressé n’a pas été à partie à cette procédure.

Elle retient, en conclusion, sur la prescription, que l’élément matériel est présent.

Sur l’élément moral, celui-ci consiste, comme elle le rappelle, en droit du travail, en la seule conscience de commettre une infraction, s’agissant d’infractions réglementaires, sans qu’un dol spécial ne soit exigé.

Quant à l’imputation de l’infraction, elle rappelle que certains éléments peuvent faire obstacle à celle-ci, étant (i) la force majeure, (ii) le fait du prince et (iii) l’erreur invincible. C’est cette dernière hypothèse qui est soulevée ici et la cour en rappelle la définition, étant qu’il s’agit de l’erreur que tout homme raisonnable et prudent eut commise. Tel n’est pas le cas, en l’espèce, vu que la société, acquittée au bénéfice du doute, et ce pour une période infractionnelle passée, ne pouvait pas légitimement considérer que son mode de fonctionnement était à l’abri de tout reproche. Pour la cour du travail, elle eut, au contraire, dû être attentive aux irrégularités possibles (les institutions de sécurité sociale ayant échoué à apporter la preuve requise des infractions pour lesquelles la société était poursuivie).

Sur le dommage, la cour ne règle cependant pas définitivement la question, ordonnant une réouverture des débats.

Le travailleur a en effet postulé l’octroi de dommages et intérêts. Outre une question spécifique relative à l’application pour la période concernée de conventions collectives dont la publication est intervenue après la fin des relations de travail, la cour se pose la question de l’identification du dommage réellement subi.

Il s’agit, en effet, d’une action en dommages et intérêts (et non en paiement de rémunérations ou de primes …) et, s’il n’est pas contesté que le dommage couvre en tout cas l’équivalent du net de la rémunération ou des avantages rémunératoires en cause, la question de la couverture sociale est abordée par la cour, qui retient que le dommage doit également inclure le montant qui devait être bonifié à l’avantage de l’intéressé grâce aux cotisations qui auraient dû être versées à l’occasion du paiement des éléments rémunératoires.

Elle pose également la question de savoir si un précompte professionnel doit être retenu sur le montant imposable, s’agissant d’une demande de dommages et intérêts. Elle ordonne une réouverture des débats sur cette question

Intérêt de la décision

L’on pourra relever la ténacité des parties, dans cette procédure, qui concerne une démission intervenue en 2001, après une période d’occupation inférieure à trois années.

Si les débats ont, à ce jour, essentiellement porté sur la règle de la prescription applicable, la cour du travail a néanmoins abordé la question spécifique du sort des cotisations de sécurité sociale, question particulière, vu la formulation de la demande.

L’on retiendra dans un cas comme celui de l’espèce, où un travailleur introduit une demande de requalification de contrat, dans le cadre de la prescription quinquennale, l’on peut renvoyer à l’arrêt du 23 juin 2006 de la Cour de cassation (S.05.0010.F). Par celui-ci la Cour suprême a admis que, si le juge relève que les faits invoqués à l’appui de la demande peuvent révéler l’existence d’une infraction, il est tenu de soulever d’office le moyen de la prescription de l’action civile résultant d’une telle infraction et d’examiner ce moyen de prescription de façon prioritaire, même si ces faits constituent aussi un manquement contractuel et même si la chose demandée consiste dans l’exécution d’obligations contractuelles. Cet enseignement est rappelé par la cour du travail dans sa décision.

La réparation du dommage peut consister dans la rémunération ou dans le paiement des avantages dont le travailleur a été privé. Dans une telle hypothèse, le dommage implique d’office le paiement des cotisations de sécurité sociale et de précompte professionnel, s’agissant de sommes à payer au titre de rémunération. Lorsque, comme en l’espèce, c’est l’octroi de dommages et intérêts qui est postulé, la cour du travail relève néanmoins que l’absence de couverture sociale constitue également un dommage à réparer et que l’on ne peut se limiter à l’octroi de l’équivalent du net de la rémunération.

Affaire à suivre …


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