Terralaboris asbl

Un complément aux allocations familiales octroyé à certains membres du personnel doit-il faire l’objet de cotisations sociales ?

Commentaire de C. trav. Liège, div. Liège, 26 mai 2015, R.G. 2014/AL/513

Mis en ligne le jeudi 3 septembre 2015


Cour du travail de Liège, div. Liège, 26 mai 2015, R.G. n° 2014/AL/513

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 26 mai 2015, la Cour du travail de Liège, Div. Liège, a jugé qu’un complément aux allocations familiales accordé à certains membres du personnel ne peut être qualifié de complément à un avantage accordé par un régime de sécurité sociale. Les indemnités allouées à ce titre doivent dès lors faire l’objet des cotisations sociales, s’agissant de rémunérations.

Les faits

Une société fait l’objet d’un contrôle de la part de l’Inspection sociale. L’ONSS décide de régulariser d’office, pour certains postes, notamment un avantage extra-légal en matière de complément aux allocations familiales.

Dans sa décision, qui date de septembre 2012, l’ONSS considère que par « complément à un avantage social », il faut viser les interventions patronales venant en complément d’avantages sociaux servis par la sécurité sociale pour couvrir un risque, un dommage, mais que cette intervention doit revêtir un caractère social, ce qui n’est pas le cas, puisque en l’espèce, seuls en bénéficient les directeurs et les cadres de l’entreprise, à savoir les personnes bénéficiant du revenu le plus élevé. Pour l’Office, il y a rémunération.

D’autres postes sont également litigieux, notamment des frais forfaitaires (frais de bureau, de car-wash, de documentation professionnelle, de représentation, …).

La société conteste la décision devant le Tribunal du travail de Liège. Il est fait droit à sa demande par jugement du 2 juin 2014. Il interjette appel.

Position des parties devant la cour

Pour l’Office, il ne peut s’agir d’un complément à un avantage social, dès lors que celui-ci est accordé aux personnes qui en ont le moins besoin, alors que les allocations familiales sont identiques pour tous, des modulations étant prévues en fonction de l’âge, du rang et d’autres critères objectifs. En outre, les avantages d’ordre social au sens légal devraient être accordés à tous les travailleurs d’une même catégorie, c’est-à-dire les travailleurs ayant des enfants. Enfin, il considère qu’il y a discrimination sur la base de la fortune.

La société persiste, pour sa part, à considérer qu’il s’agit de complément d’un avantage accordé pour une des branches de la sécurité sociale, la loi du 12 avril 1965 ne comportant aucune restriction quant au montant du complément en cause et l’ONSS ajoutant en réalité au texte une condition qui n’y figure pas. Pour la société, le complément a bien été alloué à une catégorie déterminée de travailleurs.

Décision de la cour

L’arrêt commence par rappeler que la notion de rémunération au sens de la loi du 27 juin 1969 est identique à celle prévue à la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs. Sont exclus de la définition, en vertu de l’article 2, alinéa 3, de la loi du 12 avril 1965, les indemnités payées par l’employeur (directement ou non) qui doivent être considérées comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale.

En outre, en vertu de l’article 45 de la loi du 27 juin 1969, tout employeur qui octroie volontairement à son personnel des avantages d’ordre social complémentaires de ceux résultant de la même loi doit les accorder sans distinction à tous les membres de son entreprise appartenant à une même catégorie (hors les pensions complémentaires telles que définies à la disposition).

La cour entreprend, ensuite, de déterminer s’il y a octroi à une catégorie du personnelle et elle conclut que tel est le cas, s’agissant du personnel de cadre et de direction, ces catégories étant d’ailleurs reprises dans les textes relatifs à l’Institution des organes sociaux.

Cependant, sur la notion de complément, elle renvoie au sens usuel du terme, étant qu’il ne s’agit pas d’un « supplément ». Le langage courant entend par « complément » ce qu’il faut ajouter à une chose pour la rendre complète, alors que « supplément » implique que quelque chose soit ajouté en sus.

Elle reprend la justification de l’octroi des compléments, en sécurité sociale, ceux-ci intervenant en accident du travail, maladie professionnelle, maladie de la vie privée ou encore en cas de chômage temporaire. Il s’agit de montants qui viennent compléter les prestations de sécurité sociale pour permettre au travailleur de bénéficier de l’équivalent de son salaire, s’agissant de compenser le salaire perdu. Ce caractère complémentaire est perdu dès lors que l’on se trouve au-delà de ce salaire perdu.

En ce qui concerne les prestations familiales accordées par la loi, elles servent au financement de l’entretien et d’éducation des enfants et le montant légal correspond à un supplément de charges découlant pour le travailleur des frais sociaux à couvrir.

En l’occurrence, la cour constate qu’une catégorie du personnel recevait le même montant que les allocations familiales, et ce sans qu’aucune explication ne puisse être donnée sur les frais d’entretien et d’éducation des enfants qui pourraient justifier tant le motif de l’octroi que son montant. La cour précise que, à défaut de tout critère, l’employeur aurait aussi bien pu accorder n’importe quelle somme, et ce sans limite. Il ne peut dès lors s’agir d’un complément à un avantage accordé par un régime de sécurité sociale mais de rémunération.

La cour passe ensuite aux autres points, dont les frais forfaitaires.

En préalable à cet examen, elle répond à un point contesté par la société, étant qu’elle aurait fait l’objet de contrôles précédemment et que ceux-ci n’auraient pas suscité de difficultés particulières, l’ONSS ayant admis la situation. Elle considère que la remise en question heurte le principe de sécurité juridique, de légitime défense et de bonne administration.

La Cour rappelle que, particulièrement pour la question des frais qualifiés de forfaitaires, une modification légale est intervenue par la loi-programme du 23 décembre 2009 et que celle-ci a opéré un renversement de la charge de la preuve. Les conclusions qu’avait pu tirer l’ONSS, par le passé, ne sont dès lors plus d’actualité. Il appartient aujourd’hui à la société de justifier la réalité des remboursements de frais à charge de l’employeur, et ce en vertu du principe de légalité. Elle constate, enfin, qu’il n’y a jamais eu d’accord entre l’ONSS et l’entreprise sur l’acceptation de frais déterminés, susceptible de lier l’Office.

Intérêt de la décision

Les avantages contractuels accordés par la société à certains membres de son personnel étaient nombreux et divers, au point que l’ONSS, s’intéressant à la question, y a manifestement vu diverses formes de rémunérations alternatives.

La question du complément (en réalité « supplément » selon la cour) aux allocations familiales ne manque pas d’intérêt, puisque, revenant sur la volonté du législateur, il est judicieusement rappelé que le complément doit permettre de suppléer jusqu’à un montant déterminé et que, dès qu’il le dépasse, il perd ce caractère.

Les exemples pris dans l’arrêt visent, effectivement, les cas les plus fréquents de compléments alloués aux avantages pour les diverses branches de la sécurité sociale, étant toutes hypothèses où le travailleur se trouve, suite à un événement couvert dans un secteur de la sécurité sociale, face à une réduction de son revenu du travail.

La cour rappelle très judicieusement que ne peut avoir ce caractère un montant donné, sans critère objectif. La question n’est pas exclue par la cour d’accorder un complément aux allocations familiales, à la condition, cependant, de rencontrer la finalité de la loi étant que celles-ci sont destinées couvrir des frais engendrés, pour le travailleur, du fait de sa situation familiale. Pour qu’un tel complément n’ait pas un caractère rémunératoire, encore conviendrait-il d’établir de manière circonstanciée le lien entre le montant octroyé et les frais en cause, de même que de respecter l’article 45 de la loi du 27 juin 1969, qui impose, pour que soient réunies les conditions légales, que le complément soit accordé à une même catégorie du personnel.


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