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Convention de collaboration entre une mutualité et un agent indépendant : conditions de légalité

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 avril 2015, R.G. 2005/AB/46.824

Mis en ligne le jeudi 20 août 2015


Cour du travail de Bruxelles, 22 avril 2015, R.G. n° 2005/AB/46.824

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 avril 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions fixées à l’article 43ter de la loi du 6 août 1990, en cas de collaboration d’une mutualité avec des agents indépendants ainsi que les éléments constitutifs de l’infraction qui peut être constatée par l’Office de Contrôle des Mutualités.

Les faits

Suite à une enquête, l’Office de Contrôle des Mutualités conclut, à propos de la collaboration d’un organisme assureur avec des agents indépendants, à la violation de la loi du 6 août 1990 (43ter), au motif que ces intermédiaires sont également actifs dans le domaine de l’assurance. En réaction, l’organisme assureur – appuyé par l’Union nationale – fait valoir d’une part que, à titre conservatoire, les contrats avec ces intermédiaires sont résiliés et d’autre part qu’il s’agissait jusque-là d’une pratique qui n’était pas interdite.

Un second constat d’infraction est ensuite effectué à propos d’autres intermédiaires et le Conseil de l’Office prononce alors des amendes administratives. Les amendes sont de 3.000€.

L’O.C.M. motive sa décision par référence notamment à l’arrêt du 17 juin 1999 de la Cour constitutionnelle (C. const., 17 juin 1999, n° 70/99), qui a insisté sur la finalité de cet article 43ter, étant la nécessité dans l’intérêt de la protection des consommateurs de préserver la spécificité du secteur mutualiste, fondé sur les principes de prévoyance, d’assistance mutuelle et de solidarité et soumis à une législation propre. Le but est également de mieux protéger la vie privée des assurés sociaux contre tout transfert d’informations personnelles de l’assurance obligatoire et complémentaire à l’assurance commerciale. Il y a dès lors incompatibilité entre l’exercice d’une activité dans le secteur bancaire ou des assurances et l’activité de délégué mutualiste.

Des recours sont introduits par l’Union nationale contre les décisions de l’O.C.M., au nombre de 101 au total (25 dans un premier temps et 76 dans un second).

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 21 janvier 2005, il est fait droit aux recours, le tribunal considérant que les conditions de l’infraction n’étaient pas réunies.

Position des parties devant la cour

L’O.C.M., appelant, fait valoir qu’il a une compétence de pleine juridiction et que les amendes prévues par la loi du 6 août 1990 ne sont pas des sanctions administratives à caractère pénal. Le contrôle judiciaire est dès lors un contrôle marginal de légalité.

Il fait valoir sur le fond que, pour qu’il y ait infraction, il suffit qu’une même personne exerce une activité relevant des deux secteurs sans qu’il doive être démontré qu’il y a une confusion effective entre celles-ci. En l’occurrence, les intermédiaires avaient un numéro d’inscription à la CBFA et assuraient la promotion, la distribution ou la vente des produits mutualistes. Les éléments de l’infraction sont dès lors constitués.

Pour l’Union nationale, le texte légal exige trois conditions pour qu’il y ait infraction, étant (i) un accord, (ii) ayant pour objet des produits mutualistes et (iii) conclu par une personne qui exerce des activités d’intermédiaire en assurances ou dans le secteur bancaire. Par ailleurs, l’inscription au registre des intermédiaires n’implique pas qu’il y a exercice effectif de l’activité correspondante.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle le cadre légal, étant qu’en vertu de l’article 43ter de la loi du 6 août 1990 est interdit tout accord avec une Union nationale ou une mutualité ayant pour objet la promotion, la distribution ou la vente d’un produit d’assurance ou encore d’un produit bancaire même si ceux-ci ont été spécialement conçus pour des membres d’une telle mutualité ou d’une Union nationale ou leur sont réservés. Sont de même interdits les accords en vue de la promotion, la distribution ou la vente de tels services. Celles-ci sont par ailleurs présumées de manière irréfragable être effectuées en vertu d’un accord écrit ou tacite.

L’arrêt rappelle l’objectif de la modification légale intervenue par la loi du 22 février 1998 portant des dispositions sociales (qui a introduit cet article 43ter dans la loi du 6 août 1990), étant que ces secteurs se basent sur des principes totalement différents et notamment que, à l’encontre du secteur commercial, les unions nationales et mutualités ne peuvent exclure des membres en raison de leur âge ou de leur état de santé. Par ailleurs, les droits des membres sont fixés par les statuts, les unions nationales et les mutualités étant soumises à des règles juridiques propres. Est également souligné le risque de transfert d’informations personnelles de l’assurance obligatoire au secteur commercial.

La question se pose dès lors de savoir si l’organisme assureur a commis une infraction en recourant à des collaborations avec des intermédiaires du secteur bancaire ou des assurances.

Passant par le rappel de l’arrêt GRECU c/ Roumanie (Cr.E.D.H., 30 novembre 2006, n° 75101/01), la cour rappelle, avec le tribunal, que le juge a, dans le cadre d’un recours contre une décision en matière d’amendes administratives de ce type, le pouvoir de vérifier le respect de la procédure, les règles de prescription et également l’existence de l’infraction ainsi que la justification de l’amende au regard des éléments de fait et de droit et, encore, la juste motivation de la décision.

La cour reprend ensuite l’arrêt de la Cour de cassation du 3 mai 2010 (Cass., 3 mai 2010, n° S.09.0024.N), selon lequel la disposition en cause n’exige pas une confusion effective entre les différentes activités, ainsi que le plaide l’Union nationale.

Par ailleurs, la présomption irréfragable figurant à la disposition en cause dispense l’O.C.M. d’établir l’existence d’un accord écrit ou tacite. En ce qui concerne l’inscription comme intermédiaire d’assurances ou de produits bancaires, la cour rappelle que, dans le même arrêt, la Cour de cassation a admis que celle-ci pouvait suffire à établir l’exercice effectif de l’activité. Cette immatriculation peut, dès lors, valoir comme présomption de l’homme.

Se pose cependant une question de fait, étant que l’O.C.M. n’établit pas l’inscription des 101 personnes concernées, de telle sorte que l’application de cette présomption de l’homme est même incertaine.

La cour fait encore grief à l’O.C.M. de ne pas avoir instruit suffisamment le dossier, alors qu’il dispose de pouvoirs d’enquête lui permettant de ce faire. Elle conclut que les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas rapportés, ainsi que le tribunal l’avait également décidé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est l’occasion de rappeler le cloisonnement voulu par le législateur entre les activités de type commercial relevant de la loi du 25 juin 1992 relative aux assurances terrestres ainsi que les produits bancaires au sens de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des institutions de crédit d’une part et celle du 6 août 1990 relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités de l’autre.

L’objectif du législateur a été longuement rappelé par la cour, étant l’incompatibilité entre le fait d’exercer une activité dans le secteur bancaire ou des assurances et celle de délégué mutualiste. Il s’agit d’éviter toute confusion possible dans l’esprit des affiliés entre les produits en question et également de garantir le respect de la vie privée, les informations personnelles en possession des mutualités ne pouvant risquer d’être transmises au secteur commercial.


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