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Licenciement pour motif grave : quels motifs doivent être pris en compte ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 avril 2015, R.G. 2013/AB/713

Mis en ligne le vendredi 24 juillet 2015


Cour du travail de Bruxelles, 22 avril 2015, R.G. n° 2013/AB/713

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 22 avril 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les exigences légales en matière de précision des motifs, ainsi que les conditions de prise en compte de motifs portés à la connaissance de l’employeur après le licenciement.

Les faits

Un employé d’une société de courtage en assurances est licencié pour motif grave, les griefs de l’employeur étant relatifs à la gestion des dossiers (dossiers mal suivis, clients mal informés) ainsi que à de nombreux P.V. liés à des infractions de roulage. Il est également fait grief à l’intéressé de traiter des dossiers personnels d’assurances en interne et d’envoyer des mails privés en très grande quantité (la boîte mail de l’employé s’étant mise en mode sécurité et tout ayant été bloqué).

Le congé est immédiatement contesté par l’organisation syndicale à laquelle l’intéressé est affilié, vu que les faits énumérés ne respectent pas le prescrit de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978.

Quelques jours plus tard, le gérant porte plainte au pénal, pour des faits relatifs à la gestion de sinistres concernant des véhicules utilisant des plaques de transit et pour lesquels des compagnies d’assurances avaient ouvert des enquêtes.

L’affaire reste bloquée, la société refusant de payer l’indemnité compensatoire de trois mois de préavis réclamée.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui par jugement du 23 février 2010 fait droit à la demande.

La société interjette appel.

Position des parties devant la cour

Le travailleur fait valoir trois arguments, liés au mécanisme légal étant (i) le non respect du délai de trois jours, (ii) l’absence de précision des griefs et (iii) l’absence de preuve de ceux-ci.

Quant à la société, elle considère avoir respecté le délai légal et est d’avis que les griefs sont suffisamment précis et sont constitutifs de motif grave.

Elle fait également valoir que des faits sont été découverts postérieurement au congé et qui constituent également une preuve du bien-fondé de celui-ci, la société ayant été interpellée par les inspecteurs de deux compagnies d’assurances dans le cadre d’enquêtes sur un réseau de fraude à l’assurance dont l’intéressé faisait partie. Elle demande à pouvoir établir ce fait.

Décision de la cour

La cour rend un arrêt de principe sur les trois questions, reprenant chaque fois la jurisprudence de la Cour de cassation qui a précisé les contours des obligations légales.

La partie la plus spécifique du raisonnement de la cour concerne les motifs invoqués. La jurisprudence constante de la Cour de cassation considère qu’ils doivent être exprimés dans la lettre de congé de manière d’une part, à permettre à la partie qui a reçu le congé de connaître avec exactitude les faits reprochés et de l’autre, au juge d’apprécier la gravité du motif allégué dans la lettre et de vérifier s’il est identique à ceux qui sont invoqués devant lui. Lorsqu’il vérifie si est respectée l’exigence légale de précision du motif, le juge peut avoir égard à d’autres éléments que l’écrit, celui-ci pouvant être complété par une référence à d’autres faits/événements, etc., étant cependant exigé que l’ensemble permet d’apprécier avec certitude et précision le motif du congé.

La cour du travail rappelle que, pour la jurisprudence, il faut examiner au cas par cas si l’exigence de précision est rencontrée et, renvoyant à la doctrine (B. PATERNOSTRE, Recueil de jurisprudence. Le motif grave, Wolters Kluwer, 2014, la Cour se référant en particulier aux pages 192 à 198), certaines décisions sont plus strictes que d’autres. La cour donne ainsi quelques exemples où il a été considéré que les faits visés étaient suffisamment précis, ainsi des faits « de ce matin » alors que ces faits sont suffisamment clairs, s’agissant d’une enquête de police et que, dans un autre contexte où il s’agissait d’injures, la Cour de cassation a précisé qu’il n’est pas nécessaire que la lettre de licenciement identifie la nature de ces injures ni le lieu où elles ont été proférées si ce lieu n’apparaît pas comme un élément essentiel.

En l’espèce, cependant, les motifs de la lettre de licenciement sont considérés comme trop vagues. Aucun fait précis n’est en effet identifié, les griefs étant d’ordre général et, par ailleurs, la cour relève que la société ne prouve pas avoir eu connaissance de ces fautes dans le délai de trois jours qui a précédé le congé pour motif grave. C’est d’ailleurs ce non respect du délai qui va entraîner le rejet de la majorité des fautes reprochées. La cour en conclut que les motifs reprochés ne peuvent être retenus soit pour cause d’imprécision soit parce que la preuve de la connaissance dans les trois jours ouvrables avant la rupture n’est pas apportée.

Quant au fait appris postérieurement au congé, il n’est pas de nature à modifier cette conclusion, dans la mesure où aucun fait n’est situé dans les trois jours avant le congé (ou dont l’employeur aurait eu connaissance dans ce délai). Ce grief est dès lors rejeté sans autre examen.

Le jugement est confirmé, l’indemnité compensatoire de préavis réclamée étant due.

Intérêt de la décision

La cour ne doit, dans cette espèce, s’en tenir qu’aux deux premières étapes du contrôle judiciaire du motif grave. Elle a rappelé dans l’ordre l’étendue de ce contrôle, qui procède par étapes successives, la première concernant le formalisme (délai), la deuxième la précision des motifs et enfin, la troisième, la gravité de ceux-ci.

Ce sont les deux premières étapes qui suffisent pour rejeter les fautes invoquées comme susceptibles d’entraîner la rupture immédiate du contrat sur le champ sans préavis ni indemnité.

L’examen de la gravité des fautes est dès lors superflu puisque l’employeur n’a pas établi qu’il a eu la connaissance suffisante d’au moins un fait fautif dans les trois jours qui précédé la décision de rompre.

Un intérêt particulier de l’arrêt est d’appliquer cette exigence d’une faute dans le délai de trois jours (faute commise ou faute connue) non seulement en tant qu’elle permettrait de prendre en compte des faits antérieurs à ce délai mais aussi des faits postérieurs à la rupture.


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