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Motif grave : exigence d’une faute dans le délai de 3 jours avant le licenciement et contours du contrôle judiciaire quant à des faits antérieurs

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 avril 2015, R.G. 2013/AB/187

Mis en ligne le mercredi 1er juillet 2015


Cour du travail de Bruxelles, 21 avril 2015, R.G. 2013/AB/187

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 21 avril 2015, la Cour du travail de Bruxelles reprend d’importants principes en matière de licenciement pour motif grave, principes énoncés et régulièrement réaffirmés par la Cour de cassation : l’appréciation judiciaire doit intervenir eu égard à toutes les circonstances entourant le motif grave et des faits antérieurs ne peuvent être examinés que si existe (ou est connu), dans les 3 jours avant le licenciement, un fait fautif.

Les faits

Un chauffeur-livreur de médicaments, en service depuis le 1er janvier 1990, est licencié pour motif grave le 2 novembre 2009. Il lui est essentiellement fait grief d’avoir abandonné son véhicule chargé de médicaments et d’autres produits de santé sans l’avoir préalablement fermé, et ce dans le cours de ses livraisons. Des médicaments ont disparu, ce que l’intéressé a signalé lui-même. Il s’agit essentiellement d’anxiolytiques, et la société souligne que sa responsabilité peut être mise en cause, vu la traçabilité de ceux-ci, en cas d’usage illicite de la pharmacopée.

Il est également fait grief à l’intéressé de n’avoir avisé son employeur que 45 minutes plus tard.

Une discussion intervient, suite au licenciement, entre le conseil de l’employé et celui de la société. Une procédure est ensuite introduite devant le tribunal du travail, vu l’absence de rapprochement des parties. Dans celle-ci, l’intéressé réclame une indemnité compensatoire de préavis de l’ordre de 77.500 €, un solde de pécule de vacances et un montant de 2.500 € provisionnels pour des heures supplémentaires.

Par jugement du 27 novembre 2012, le tribunal du travail fait droit à la demande, considérant que la société n’établit pas la réalité des faits reprochés. Une indemnité compensatoire de préavis est allouée, mais l’employé est débouté de sa demande d’arriérés de rémunération.

Appel est interjeté par la société.

Position des parties devant la cour

La société plaide une négligence grave dans le chef du chauffeur, qui a abouti au vol, cette faute s’inscrivant dans un contexte antérieur et faisant notamment suite à un avertissement du mois précédent. Elle renvoie à deux autres avertissements donnés dans les années antérieures, pour lesquels elle constate qu’il n’y a pas eu de contestation de l’intéressé et que, de ce fait, elle considère superflu d’étayer davantage. Elle est plus explicite sur les griefs à la base du dernier avertissement donné dans le mois précédent le licenciement.

Elle fait valoir que c’est l’ensemble de ces fautes qui confère à la négligence de départ un caractère de motif grave.

Quant à l’intéressé, il conteste avoir commis une faute, faisant valoir que la télécommande du véhicule était défectueuse le jour des faits. Il conteste dès lors toute faute, à titre principal, et, à titre subsidiaire, à supposer un manquement établi, il considère qu’il n’est pas constitutif de motif grave, la faute devant s’apprécier eu égard à une pression importante et à des modifications dans les horaires de travail (d’où les prestations supplémentaires).

La décision de la cour

Après avoir constaté que l’employé n’a pas interjeté appel incident sur la question des heures supplémentaires, la cour examine de manière approfondie les règles en matière de rupture du contrat sur le champ sans préavis ni indemnité. Elle rappelle un principe, étant que le juge est saisi exclusivement du motif grave signifié par l’employeur dans les termes de la lettre de rupture. Il doit déterminer à partir de celle-ci l’existence d’un fait fautif, ainsi que la propension de cette faute à altérer immédiatement et définitivement la confiance réciproque des parties. Celle-ci est considérée indispensable à l’exécution des relations professionnelles contractuelles. La cour du travail précise qu’en découlent plusieurs conséquences : la faute grave ne doit pas nécessairement être de nature contractuelle ni avoir été commise à l’égard de l’employeur, ou encore avoir causé un préjudice à celui-ci. Il suffit que le comportement fautif ait une gravité telle qu’elle empêche immédiatement et définitivement la continuation des relations professionnelles.

Le juge va dès lors examiner les deux critères ci-dessus, étant l’existence du fait fautif et la propension de celui-ci à empêcher définitivement la collaboration professionnelle. Il doit cependant tenir compte dans cet examen des circonstances dans lesquelles la faute a été commise. C’est l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 28 octobre 1987 (Cass., 28 octobre 1987, n° 4933) : le fait qui justifie le congé sans préavis ni indemnité est le fait accompagné de toutes les circonstances qui seront de nature à lui attribuer le caractère d’un motif grave.

Si, dans la lettre d’énonciation de motif grave, figurent des avertissements antérieurs, ils ne peuvent être écartés au motif qu’ils sont anciens ou qu’ils auraient fait l’objet d’une sanction disciplinaire. Cette règle a également été énoncée par la Cour de cassation (Cass., 6 septembre 2004, n° S.04.0008.N), car ils peuvent constituer un éclaircissement du grief invoqué comme motif grave, la Cour suprême relevant qu’aucune disposition légale n’impose de délai dans lequel doivent s’être produits les faits antérieurs invoqués.

Quant à leur nature, ils peuvent être identiques ou étrangers au dernier fait reproché, le critère étant qu’ils puissent déterminer la gravité de celui-ci. Leur prise en compte suppose cependant que le dernier fait survenu dans le délai de 3 jours soit fautif.

En l’espèce, s’agissant pour la société de relever une négligence grave dans le chef du travailleur, à savoir une faute professionnelle, la cour rejoint l’appréciation du tribunal, concluant que la négligence n’est pas établie à suffisance de droit. Celle-ci ne peut être déduite de l’absence de trace d’effraction non plus que de la disparition des bacs de médicaments. Elle relève encore que les explications données (défectuosité de la télécommande) ne sont pas dénuées de tout fondement. Le dernier fait n’est dès lors pas fautif, étant que n’est pas prouvé l’abandon du véhicule sans le verrouiller, et ce pendant la livraison de médicaments auprès d’une pharmacie déterminée.

Ce fait étant rejeté, les autres le sont également, puisqu’ils ne peuvent être pris en compte qu’à la condition d’éclairer la gravité de la faute commise dans les 3 jours.

La cour condamne dès lors au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, qu’elle fixe à 20 mois, vu l’ancienneté du travailleur (19 ans et 7 mois).

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est une excellente illustration des contours du contrôle judiciaire en cas de motif grave. Des faits antérieurs peuvent bien évidemment être pris en compte, influençant le (ou les) dernier(s) fait(s) reproché(s). Ils ne peuvent, cependant, intervenir qu’aux fins de donner au dernier fait en cause un caractère de gravité tel que la collaboration professionnelle est immédiatement et totalement devenue impossible. Il en découle que, si le dernier fait n’a pas de caractère fautif, ce ne sont pas les faits antérieurs qui seront de nature à contribuer au motif grave.

Le contrôle judiciaire s’opère dès lors en deux temps, étant en premier lieu l’examen de l’existence d’un comportement fautif dans les 3 jours et, ensuite, l’examen de la gravité de ce comportement eu égard à des faits antérieurs éventuels qui seraient venus altérer immédiatement et définitivement la confiance réciproque des parties.


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