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GRAPA : prise de cours d’une décision rectifiant une décision initiale qui avait omis de tenir compte de ressources à prendre en considération

Commentaire de C. trav. Mons, 19 mars 2015, R.G. 2014/AM/52 et 2014/AM/57

Mis en ligne le mercredi 1er juillet 2015


Cour du travail de Mons, 19 mars 2015, R.G. 2014/AM/52 et 2014/AM/57

Terra Laboris A.S.B.L.

Dans un arrêt du 19 mars 2015, la Cour du travail de Mons reprend l’articulation entre les articles 17 et 18 de la Charte de l’assuré social, s’agissant d’une décision de l’Office National des Pensions statuant en matière d’octroi d’une GRAPA, l’Office ayant, dans une première décision, omis de tenir compte de ressources du demandeur (bonus de pension).

Les faits

Une demande de garantie de revenus aux personnes âgées (GRAPA) est introduite en juillet 2011, demande qui fera l’objet de la part de l’O.N.P. de trois décisions successives. La première est une décision de refus d’octroi, la condition de ressources n’étant pas remplie. Une deuxième décision accorde la GRAPA, rétroactivement, à la date de prise de cours de la première demande, décision intervenue d’office et ne tenant plus compte de revenus de biens mobiliers initialement pris en compte. La troisième décision (en réalité, deux décisions du même jour) intervient alors 2 mois plus tard, la première refusant la GRAPA au motif de la condition de ressources, et l’autre accordant celle-ci, mais à partir d’une date postérieure à la date d’ouverture du droit initial. Sur le fond, la dernière de ces décisions tient compte de ressources de biens immobiliers de l’ordre de 3.400 €, de revenus professionnels de 3.764 €, de revenus de pension de 4.220 € environ, ainsi que d’un bonus de pension de 1.400 €.

L’intéressée introduit un recours contre chacune de ces décisions.

Le Tribunal du travail de Charleroi, section Charleroi, rend un jugement le 9 janvier 2014, par lequel il juge, quant au fond, qu’il y a lieu de prendre en compte, pour les biens immobiliers, le revenu cadastral de l’ensemble de ceux-ci, même pour les biens mis en vente. Pour la prise en compte du bonus de pension, la première décision ayant été prise sans avoir égard à cette ressource est entachée d’une erreur et, en application de l’article 17, alinéa 2 de la Charte de l’assuré social, le nouveau calcul de la GRAPA, impacté par cet élément, ne peut intervenir que le premier jour suivant la notification de la décision. Le tribunal rouvre cependant les débats en ce qui concerne les calculs des arriérés.

L’O.N.P. interjette appel.

La décision de la cour

La cour acte, dans un premier temps, que la demanderesse originaire n’a pas contesté la position du tribunal en ce qui concerne la prise en compte des revenus immobiliers et que, de ce fait, ce point est tranché. Ne se pose dès lors plus que la question de l’effet de la déduction du bonus de pension, étant de savoir si celle-ci doit intervenir à la date de prise normale suite à la demande introduite ou, ultérieurement, lors de la notification de la décision de révision d’office.

La cour examine, dès lors, cette seule question au regard des articles 17 et 18 de la Charte. La première de ces deux dispositions vise l’hypothèse où une décision d’une institution de sécurité sociale est entachée d’une erreur de droit ou matérielle. L’institution qui prend une nouvelle décision verra celle-ci sortir ses effets à la date à laquelle la décision rectifiée aurait dû prendre effet (sous réserve des règles de prescription). Cette disposition doit tenir compte de l’article 18, qui prévoit que l’institution peut rapporter sa décision et en prendre une nouvelle, non seulement dans le délai d’introduction d’un recours devant la juridiction compétente, mais également, si un tel recours a été introduit, jusqu’à la clôture des débats, et ce dans trois hypothèses, dont celle de la constatation d’une irrégularité ou d’une erreur matérielle dans la décision administrative.

La cour rappelle en outre que, si le droit à la prestation tel que fixé par la décision corrigée est inférieur à celui reconnu par la décision initiale, la nouvelle décision ne va produire ses effets que le premier jour du mois suivant sa notification.

De la combinaison de ces règles, elle retient comme principe que la révision sortira ses effets à la date à laquelle la décision rectifiée aurait dû prendre cours, sauf l’hypothèse de l’erreur de droit ou de fait imputable à l’institution de sécurité sociale entraînant un droit à la prestation inférieur au droit initialement reconnu. En l’espèce, tel est le cas, puisque l’existence d’une erreur imputable à l’Office n’est pas contestée, s’agissant de la non-prise en compte du bonus de pension, qui doit venir en déduction du montant de la GRAPA. Cette décision ne peut donc sortir ses effets que le premier jour du mois suivant sa notification.

La cour constate cependant que l’O.NP. fait valoir un argument très spécifique, étant que cette règle ne vaudrait qu’en présence d’une décision définitive de l’institution de sécurité sociale, c’est-à-dire une décision qui ne serait plus susceptible d’un recours de l’assuré social, le délai d’introduction de celui-ci étant expiré, ou encore dans l’hypothèse où ce recours aurait déjà été introduit, tant que les débats ne sont pas clos. La réponse de la cour du travail est donnée par le rappel de l’arrêt de principe de la Cour de cassation (statuant en matière d’allocations familiales) du 6 mai 2002 (Cass., 6 mai 2002, n° S.01.0119.N) : la portée de l’article 18 est que l’institution de sécurité sociale peut encore rapporter sa décision, soit dans le délai de recours si l’action n’a pas encore été introduite ou, en cas de recours, jusqu’à la clôture des débats. Cet article ne prévoit cependant pas de délai à partir duquel la nouvelle décision administrative pourra prendre effet. L’article 18 ne déroge dès lors pas à l’article 17, alinéa 2 (qui vise l’hypothèse de la décision entachée d’une erreur de l’institution).

C’est dès lors la règle de l’article 17 qui doit être retenue, la nouvelle décision ne pouvant prendre effet que le premier jour du mois suivant sa notification. La cour rappelle divers auteurs et confirme que cette conception est unanimement retenue : l’article 18 de la Charte ne déroge pas à l’article 17, alinéa 2.

Elle ajoute que l’on pourrait examiner si l’article 18bis ne permet pas une autre solution, étant que, par celui-ci, le Roi a reçu délégation de déterminer les régimes de sécurité sociale pour lesquels une décision relative au même droit prise après un examen de la légalité de prestations payées n’est pas considérée comme une nouvelle décision au sens des dispositions ci-dessus. Cependant, aucun arrêté royal n’a été pris en matière de GRAPA, de telle sorte que l’article 18 ne peut s’opposer à la conclusion ci-dessus.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons rappelle très utilement les discussions intervenues par le passé quant à l’articulation des articles 17 et 18, eu égard à l’effet rétroactif ou non d’une décision rectificative venant diminuer le montant d’un octroi. C’est à l’occasion d’un litige en matière d’allocations familiales que la Cour de cassation a tranché la question dans son arrêt du 6 mai 2002 cité dans l’arrêt annoté. Il s’agissait en l’espèce d’une décision de suppression d’allocations familiales et la cour du travail avait retenu que celles-ci étaient définitivement acquises pour le passé. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la caisse et avalisé la position de la cour du travail, selon laquelle l’article 18 de la Charte n’était pas pertinent en l’espèce, dès lors que ses dispositions se bornaient à fixer le délai dans lequel une nouvelle décision pouvait être prise par l’institution de sécurité sociale.


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