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Accident du travail provoqué intentionnellement : conditions d’exclusion de la réparation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 décembre 2014, R.G. n° 2012/AB/745 et 2014/AB/825

Mis en ligne le lundi 22 juin 2015


Cour du travail de Bruxelles, 24 décembre 2014, R.G. n° 2012/AB/745 et 2014/AB/825

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 24 décembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles est saisie d’une question relative à l’application de l’article 48 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail : la chute faite par un travailleur d’un immeuble en construction où il était occupé était-elle intentionnelle ou non ?

Rétroactes

Un ouvrier de la construction preste sur un chantier au Grand-Duché du Luxembourg. Il fait une chute, en début de journée, depuis le 4e étage du bâtiment en construction où il est occupé.

L’employeur est belge et est assuré auprès d’une entreprise d’assurances de Bruxelles. Celle-ci refuse d’intervenir.

La chute a, en effet, entraîné le décès de l’intéressé, quelques heures plus tard, à l’hôpital Kirchberg. L’inspection du travail et des mines du Grand-Duché du Luxembourg est descendue sur les lieux, ainsi que la police.

Une enquête a été menée auprès de divers travailleurs présents sur les lieux. Il en ressort que l’entreprise était occupée à poser des faux planchers métalliques à tous les étages et que l’intéressé se trouvait au 4e. Il était, à un moment donné, couché au sol, semblant se reposer. Il aurait été vu ultérieurement en train de déchirer volontairement le plastique d’une des fenêtres dans un coin à l’arrière du bâtiment avant de se jeter dans le vide.

Procédure

Un recours est introduit par la veuve, devant le tribunal du travail. Celui-ci rend deux jugements, le premier transmettant le dossier à l’auditeur du travail aux fins d’obtenir de son homologue luxembourgeois davantage d’éléments sur la procédure répressive.

Le second jugement déboute la demanderesse, constatant qu’il y a une cause d’exclusion de la réparation.

Appel est interjeté.

Décision de la cour du travail

La cour statue essentiellement sur la base des éléments de fait, rappelant cependant brièvement les principes.

Si l’accident intervient, dans le cours de l’exécution du contrat, il est présumé, en vertu de l’article 7 de la loi du 10 avril 1971 survenu par le fait de cette exécution. C’est une présomption réfragable, de même que la deuxième présomption légale contenue à l’article 9, présomption de causalité.

La cour rappelle que la preuve à charge de la victime porte sur trois éléments uniquement, étant l’événement soudain, la lésion et la survenance de l’accident au cours de l’exécution du contrat de travail. Si ceux-ci sont établis, l’accident est considéré comme accident du travail.

Cependant, sur le plan de la réparation, l’article 48, alinéa 1er de la loi, pose une règle selon laquelle les indemnités légales ne sont pas dues lorsque l’accident a été intentionnellement provoqué par la victime.

La cour rappelle qu’il faut ici définir la notion de « accident causé intentionnellement ».

Elle renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation du 16 février 1987 (Cass., 16 février 1987, R.G. n° 102.441), selon laquelle l’accident est intentionnellement provoqué lorsque la victime l’a causé volontairement, même si elle n’en a pas souhaité les conséquences.

Il faut dès lors, dans le cas d’espèce, déterminer s’il y a eu un acte volontaire ou non dans le chef de l’intéressé.

La cour constate qu’il n’est pas contesté que le travailleur s’est jeté dans le vide d’une fenêtre du 4e étage. Il n’est, cependant, pas établi, pour la cour, qu’il ait intentionnellement provoqué l’accident qui a entraîné son décès. Les éléments du dossier font en effet apparaître qu’il avait un malaise, un témoin précisant qu’il tremblait et salivait anormalement, de telle sorte que ce témoin lui avait porté secours. Il déclare également l’avoir vu très agité et se diriger rapidement vers le bout de la construction. Cependant, des éléments de nature toxicologique permettent, via des tests sanguins, d’expliquer une altération comportementale. La cour relève également que précédemment il avait été pris en charge par les services des urgences à la suite d’une bouffée délirante sur la voie publique. La cour conclut à l’existence d’une épilepsie dans un contexte possible de sevrage d’une addiction.

Elle réforme dès lors le jugement et dit pour droit qu’il y a eu accident du travail.

Intérêt de la décision

La question du suicide sur les lieux du travail est une question délicate, le point en débat étant de déterminer s’il y a eu acte volontaire ou non.

Rappelons à ce sujet un arrêt de la Cour du travail de Mons du 18 avril 2006 (C. trav. Mons, 18 avril 2006, R.G. n° 17.894), qui avait eu à examiner le cas du suicide d’un policier sur les lieux du travail. La cour du travail avait rappelé un autre arrêt de la Cour de cassation (Cass., 2 novembre 1998, R.G. n° S.98.0041.N) et avait précisé que, pour qu’il y ait acte intentionnel, il faut un comportement libre et conscient. C’est ce comportement qu’il faut rechercher. Il relève de l’analyse du contexte événementiel. La cour avait relevé dans cet arrêt que l’intéressé avait subi un choc émotionnel important et que, prestant de nuit, l’interpellation par sa hiérarchie, à l’origine de ce choc, était intervenue à un moment où la fatigue et l’atmosphère donnent aux événements une dimension de gravité plus grande. Pour la cour du travail, la victime avait été prise d’un sentiment de panique, amplifiée par le caractère soudain de l’événement et qu’elle ne pouvait, vu l’ensemble de ces circonstances, avoir eu un comportement à considérer comme libre et conscient et, partant, intentionnel.


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