Terralaboris asbl

Changement d’allocataire : de l’intérêt d’aviser au plus tôt la caisse de paiement des allocations

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 28 novembre 2006, R.G. 7.910/2004

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Liège – Section de Namur – 28 novembre 2006 – R.G. N° 7910/2004

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Dans un arrêt du 28 novembre 2006, la cour du travail de Liège a confirmé qu’en cas de changement d’allocataire, le paiement effectué par la caisse à la personne qui apparaissait être le créancier est libératoire, si le débiteur est de bonne foi.

Les faits

Une enfant mineure a été confiée à la garde de son père. Elle se rend ultérieurement chez sa mère, suite à des problèmes sérieux. Elle est ensuite prise en charge par une tante, qui l’héberge depuis le 27 février 2002.

Un jugement est alors rendu par le tribunal de la jeunesse de Namur le 16 mai 2002, ordonnant l’hébergement temporaire hors du milieu familial. La mineure a l’autorisation d’être domiciliée chez sa tante à dater du 16 mai 2002. La caisse de paiement des allocations familiales est avisée du changement de domicile en date du 9 juillet 2002, et ce par la Banque-carrefour, suite à quoi le père est informé par la caisse de ce que les allocations familiales ne lui seront plus payées à partir du 1er août 2002. Elle accorde alors à la tante les allocations familiales en faveur de l’enfant mineure.

Celle-ci introduit un recours en vue d’obtenir lesdites allocations depuis le 27 février 2002, étant la date d’hébergement.

La décision du tribunal

Un premier jugement est rendu par défaut contre la caisse, faisant droit à la demande au motif qu’elle a pris la décision sans être informée du jugement du tribunal de la jeunesse. La caisse forme opposition et fait valoir qu’elle n’a été informée du changement d’allocataire qu’en juillet 2002, les paiements effectués au père jusqu’en juillet l’ayant ainsi été de bonne foi.

Le tribunal fait alors également droit à la demande, aux motifs que les dispositions de la Charte de l’assuré social qui imposent à l’institution de sécurité sociale de revoir une décision en cas de fait nouveau et que le fait que les allocations familiales aient été versées au père pour la même période n’empêchent pas la reconnaissance du droit de la demanderesse d’obtenir les allocations familiales, la caisse devant récupérer, alors, l’indu à charge du père.

La position des parties en appel

La caisse interjette appel, faisant valoir que le retard avec lequel l’information du changement d’allocataire lui a été communiquée ne lui est pas imputable. Pour la caisse, le paiement effectué en faveur du créancier apparent est valable.

L’intimée demande, quant à elle, confirmation du jugement.

La décision de la Cour

La cour réformera le jugement suivant un raisonnement en deux temps, c’est-à-dire après avoir examiné,

  • le mode de changement d’allocataire dans le cadre des lois coordonnées du 19 décembre 1939 relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés et,
  • l’effet du paiement à un autre allocataire.

Elle considérera, enfin, que la Charte de l’assuré social n’influence en rien le mécanisme légal ci-dessus.

Pour la cour,

  • en cas de changement d’allocataire, il faut d’abord examiner l’ordre de paiement des allocations, qui, en principe, vont à la mère mais – lorsque celle-ci n’élève pas effectivement l’enfant – à la personne physique ou morale qui remplit ce rôle. Il existe des dispositions particulières pour les parents qui ne cohabitent pas ensemble mais exercent conjointement l’autorité parentale. Dans la loi, l’expression « élever effectivement l’enfant », désigne l’ensemble des obligations parentales reprises à l’article 203 du Code civil. Selon une abondante jurisprudence reprise dans l’arrêt, cette expression vise une situation de fait, établie par toutes voies de droit, indépendante de la situation judiciaire déterminant le cas échéant les titulaires du droit à l’hébergement principal et accessoire de l’enfant ;
  • quant à régularité du paiement effectué à une autre personne que l’allocataire réel, elle répond par l’affirmative, vu le prescrit de l’article 1240 du Code civil, selon lequel le paiement de bonne foi à celui qui est en possession de la créance est valable, encore que le possesseur en soit par la suite évincé. Ainsi un paiement fait à une personne qui apparaît être le créancier est libératoire vis-à-vis du débiteur si celui-ci est de bonne foi. S’appuyant ici encore sur une abondante jurisprudence, la cour rappelle que le paiement des allocations familiales effectué en faveur d’une personne apparaissant comme étant l’allocataire est valable lorsque la caisse n’est informée qu’ultérieurement du changement de celui-ci. En l’espèce, tel est bien le cas, puisque c’est à l’initiative de la Banque-carrefour que la caisse a été informée, et ce suite au changement de domicile de l’enfant mineure, de telle sorte que la caisse a légitimement pu croire que le paiement fait au père était régulier. Il faut apprécier la bonne foi au moment du paiement et non en fonction d’éléments ultérieurs.

La cour relève encore que la bonne foi dans le chef de l’allocataire n’est pas en cause. Le paiement est libératoire dès qu’il a été effectué même à tort mais de bonne foi en fonction des éléments en possession du débiteur à ce moment.

Enfin, la cour écarte les références à la Charte de l’assuré social sur la révision du droit. En effet, dès lors que le droit aux allocations est reconnu, la cour considère que l’incidence des dispositions de la Charte est sans intérêt. Si l’allocataire ne peut se voir reconnaître le droit au paiement, ce n’est pas parce que il ne pouvait y prétendre mais parce que le paiement effectué au père est libératoire. La cour relève que les dispositions de la Charte ne font nullement obstacle à ce que le paiement d’un droit reconnu soit soumis à des dispositions du droit civil. L’absence de disposition légale qui imposerait d’informer la caisse d’un changement effectif d’allocataire n’implique pas que le paiement effectué de bonne foi par la caisse ne puisse être libératoire au sens du Code civil.

Intérêt de la décision

Les cas de changement d’allocataire sont fréquents et la situation examinée par la cour du travail est particulièrement illustrative de ceux-ci. Ce n’est dès lors pas le changement de domicile du mineur, autorisé par le service d’aide à la jeunesse suite à l’intervention du tribunal de la jeunesse qui va déterminer le point de départ du droit à celui qui élève l’enfant de percevoir les allocations : c’est la situation concrète d’hébergement dès lors que sont réunis les critères de fait permettant au juge de constater que la personne « élève effectivement l’enfant ». Encore faut-il, pour percevoir les allocations immédiatement, informer la Caisse …


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