Terralaboris asbl

Un chômeur qui loue un studio chez un particulier est-il cohabitant ou isolé ?

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 27 février 2015, R.G. 14/8.015/A

Mis en ligne le lundi 22 juin 2015


Tribunal du travail de Bruxelles, 27 février 2015, R.G. n° 14/8.015/A

Terra Laboris asbl

Dans un jugement du 27 février 2015, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rappelle d’une part les règles relatives à la preuve de la qualité de chômeur ayant charge de famille (ou isolé) et d’autre part les deux conditions cumulatives pour qu’il y ait cohabitation : vivre sous le même toit et régler principalement en commun les questions ménagères.

Les faits

Lors de son inscription de chômage, une mère de famille indique sur son document C1 qu’elle vit avec son fils en bas âge. Quatorze mois plus tard elle remplit un C1 modificatif vu un déménagement. Aucune modification de la situation familiale n’y est reprise.

Suite à une enquête des services de l’ONEm, l’Office conclut qu’elle ferait en réalité partie du ménage d’un tiers, lui-même bénéficiant d’une pension. L’intéressée est auditionnée et expose louer un studio à l’adresse. Elle produit un bail et indique qu’elle partage les commodités avec un autre colocataire. Les charges étant comprises dans son loyer et celui-ci étant payé de la main à la main (des souches de paiement étant produites), elle précise encore qu’il y a une boite commune et deux sonnettes. Quant au tiers en question, elle précise qu’il est propriétaire de l’immeuble et y vit avec son épouse.

L’ONEm considère qu’il y a cohabitation et prend une décision le 22 mai 2014.

Par celle-ci, qui est fondée sur l’article 110 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, il considère que l’intéressée ne peut être admise dans la catégorie de travailleurs ayant charge de famille (ni de travailleurs isolés). Il décide dès lors de l’exclusion du bénéfice des allocations au taux préférentiel pendant une période de quinze mois (l’intéressée ayant déménagé par la suite) et de récupérer la différence entre les allocations au taux pour travailleurs ayant charge de famille et celles pour travailleurs au taux cohabitant. Une sanction est prise, d’une durée de deux semaines. La motivation de la décision de l’ONEm est que le C1 initialement complété ne correspond pas à la situation familiale réelle.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles, l’intéressée demandant à titre principal l’annulation de la décision, et à titre subsidiaire, la limitation de la récupération aux 150 dernières allocations. Sur la sanction, elle demande que celle-ci soit commuée en avertissement ou qu’elle soit limitée au minimum légal ou encore qu’elle soit assortie d’un sursis.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal rappelle les diverses catégories visées à l’article 110 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Le §1, alinéa 1er, reprend les diverses hypothèses permettant d’avoir la qualité de travailleur ayant charge de famille, dont notamment celle visée en l’espèce, concernant le travailleur qui ne cohabite pas avec un conjoint mais exclusivement avec un ou plusieurs enfants, à la condition qu’il puisse prétendre pour au moins l’un de ceux-ci aux allocations familiales et qu’aucun d’entre eux ne dispose de revenus professionnels ou de revenus de remplacement.

Le travailleur isolé est celui qui habite seul (hors certaines hypothèses permettant de bénéficier du taux majoré ci-dessus, étant celle où une pension alimentaire est versée dans les conditions que l’arrêté royal détermine).

Enfin, le travailleur cohabitant est celui qui ne peut se voir reconnaître aucune de ces deux qualités.

Le tribunal du travail rappelle ici un point essentiel gouvernant la matière, étant que c’est le chômeur qui se prévaut de la qualité de travailleur ayant charge de famille ou de travailleur isolé qui doit prouver celle-ci. C’est la jurisprudence constante de la Cour de cassation et le tribunal renvoie aux arrêts du 14 mars 2005 (R.G. n° S.04.0156.F) et du 14 septembre 1998 (R.G. n° S.97.0161.F). Cette règle figure d’ailleurs à l’article 110, § 4 de l’arrêté royal qui impose à ces deux types de chômeurs d’apporter la preuve de la composition de leur ménage au moyen du document dont la teneur et le modèle sont déterminés par le Comité de gestion. Il s’agit du formulaire C1.

C’est dès lors ce document qui est la pièce centrale dans l’examen de la situation du ménage.

Le tribunal en vient ensuite à la question de savoir s’il y a ou non cohabitation, eu égard aux éléments de fait exposés ci-dessus. Il rappelle qu’il faut entendre par là le fait pour deux ou plusieurs personnes de vivre ensemble sous le même toit et de régler principalement en commun les questions ménagères.

En l’espèce, il y a indiscutablement vie sous le même toit mais, comme le souligne le tribunal, rien n’indique que les questions ménagères auraient été réglées principalement en commun.

Il souligne qu’il y avait des rapports pécuniaires clairs entre les intéressés et des liens contractuels noués in tempore non suspecto.

La cohabitation n’est dès lors pas établie.

En conséquence, il n’y a pas d’indu et la sanction administrative d’exclusion de deux semaines est annulée, aucune déclaration inexacte ne pouvant être reprochée à l’intéressée.

Intérêt de la décision

La situation examinée par le tribunal du travail dans ce jugement est certes fréquente puisqu’elle pose la question de l’appréciation des éléments factuels des conditions de logement et d’habitation.

Le tribunal rappelle qu’il faut procéder à un double examen, étant en premier lieu de voir si les personnes vivent sous le même toit. En l’occurrence, cette condition est manifestement présente. Encore faut-il, une fois cette constatation faite, qu’il y ait mise en commun des principales questions ménagères. L’ONEM avait certes conclu du partage des commodités avec un autre colocataire (salle de bain et W.C.) que ce partage existait mais ce point n’a pas été considéré comme déterminant par le tribunal, eu égard à l’existence d’autres éléments considérés comme plus importants et révélant l’existence de liens contractuels clairement noués dès le départ. Il s’agit d’abord d’un contrat de bail, pour lequel les loyers ont été régulièrement payés, ainsi que d’une déclaration du propriétaire. Enfin, le tribunal a également retenu la configuration des lieux loués, s’agissant d’un studio distinct de l’habitation des autres personnes présentes à l’adresse.

Sur la notion de cohabitation elle-même, outre les arrêts de la Cour de cassation cités dans le jugement et relatifs à la preuve, il n’est pas inutile de renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 30 mai 2013 (R.G. n° 2011/AB/838) qui a rappelé les règles : le travailleur doit apporter sur le formulaire C1 la mention exacte correspondant à sa qualité. Il s’agit certes d’une déclaration unilatérale mais tant que celle-ci n’est pas mise en doute par l’ONEm le travailleur bénéficie des allocations en cette qualité. Dès lors que l’ONEm mettra cette déclaration en doute en prouvant que les éléments factuels sont distincts, c’est à l’intéressé d’apporter la preuve que sa déclaration correspond à la réalité.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be