Terralaboris asbl

Un médecin qui n’effectue pas toutes ses obligations de stage est-il salarié ou indépendant ?

C. trav. Mons, 13 mars 2015, R.G. 2012/AM/313

Mis en ligne le lundi 22 juin 2015


Cour du travail de Mons, 13 mars 2015, R.G. 2012/AM/313

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 13 mars 2015, la Cour du travail de Mons rappelle les conditions de l’extension prévue par l’article 15bis de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs : le stage doit être effectué conformément à l’ensemble des dispositions et conditions légales et, à défaut, il y a assujettissement au statut social des travailleurs indépendants.

Les faits

Un diplômé en médecine suit au sein d’un établissement universitaire une formation spécialisée en radiologie et imagerie médicale. Il s’agit d’un stage clinique à temps plein d’une durée de 5 ans, à la suite duquel il reçoit le diplôme de licencié dans cette spécialité médicale. Il ne reçoit cependant pas son agréation de médecin radiologue, n’ayant pas satisfait aux obligations de stage. Ceci intervient 6 ans plus tard, ce qui lui permet de recevoir son agréation.

L’I.N.A.S.T.I. est saisi de la question des revenus perçus pendant 3 années (étant des années couvertes par la période de stage). Il met l’intéressé en demeure de s’affilier et, en fin de compte, l’affilie d’office à la C.N.A.A.S.T.I. pour une période de 3 ans et un trimestre. Les cotisations sont réclamées. Finalement, après avoir effectué un paiement partiel, l’intéressé conteste être assujetti au statut social.

Une procédure est introduite en paiement d’une somme de près de 29.000 €.

La décision du tribunal

Par jugement du 19 septembre 2011, le Tribunal du travail de Mons (section Mons) déboute l’I.N.A.S.T.I., considérant qu’il y avait un statut sui generis, celui-ci étant fixé par l’arrêté royal du 18 mars 1983 en faveur des médecins candidats spécialistes.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour reprend le cadre réglementaire, étant le chapitre 1er de l’arrêté royal n° 38 et la présomption fiscale de l’article 3, rappelant cependant que le critère sociologique prévaut par rapport à ce critère fiscal. La cour aborde ensuite les conditions de l’article 15bis de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, qui prévoit la possibilité de l’extension légale d’assujettissement limitée à deux branches de la sécurité sociale des travailleurs salariés en faveur des médecins candidats spécialistes.

Elle examine dès lors les conditions prévues par la réglementation, la disposition permettant l’application de la loi du 27 juin 1969 pour les secteurs AMI et allocations familiales aux médecins qui suivent la formation de médecin spécialiste, dans le cadre des modalités fixées en application de la législation AMI, à savoir actuellement l’article 215, § 4 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

La cour examine longuement les dispositions spécifiques aux médecins spécialistes et généralistes, fixant les critères généraux et les critères spéciaux de leur agrément. Passant par ailleurs en revue la jurisprudence du Conseil d’Etat concernant des refus d’agréation de médecins spécialistes au motif que ces derniers avaient effectué leur stage en dehors d’un plan de stage ou d’autres modalités légales (dont l’arrêt du 26 juin 2012 : C.E., 26 juin 2012, n° 219.979), la cour conclut que, l’intéressé n’ayant pas effectué le stage de formation pendant la période initialement prévue (soit à la fin de ses études) dans le cadre des modalités fixées par la loi, il ne peut être considéré qu’il a satisfait à l’époque à ses obligations légales. Il ne peut dès lors prétendre au bénéfice de l’extension prévue par l’article 15bis. Le jugement est dès lors réformé sur cette question.

La cour en vient ensuite à un autre point avancé par le médecin, étant que, à défaut d’application de l’article 15bis, la relation de stage doit faire l’objet d’une requalification.

La cour rejette cette demande, constatant que celle-ci n’est pas en relation directe avec l’objet de la demande dont elle a à connaître. L’intéressé a en effet perçu des honoraires importants, et cette activité ainsi décrite satisfait à la condition de régularité que requiert le critère sociologique, le critère fiscal étant également rencontré.

Elle renvoie en outre à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de requalification, étant que, lorsque les éléments soumis à l’appréciation du juge ne permettent pas d’exclure la qualification donnée par les parties à la convention qu’elles ont conclue, celui-ci ne peut y substituer une qualification différente. Surabondamment, elle relève encore qu’à l’époque, l’intéressé a lui-même déclaré les sommes perçues comme des revenus présentés fiscalement comme des profits de profession libérale.

Enfin, l’intéressé ayant fait valoir à titre plus subsidiaire une demande de suspension des intérêts, la cour reprend les principes relatifs à la notion de délai raisonnable repris à l’article 6 C.E.D.H. Elle renvoie à une abondante jurisprudence de sa propre cour, selon laquelle à défaut de sanction spécifique en cas de dépassement de ce délai, la sanction envisageable est à examiner par le biais de la théorie de l’abus de droit : c’est l’indemnisation de l’éventuel préjudice subi. Le retard excessif de la mise en état de l’action introduite ne peut emporter l’écartement pur et simple des intérêts moratoires ou la réduction du taux de ceux-ci, mais c’est la période de calcul de ces intérêts qui peut être modulée, la cour rappelant que la loi ne détermine que le principe et le point de départ de ceux-ci.

Elle ajoute que chaque partie a l’obligation de diligenter la procédure et qu’en l’espèce, c’est l’attitude de l’intéressé qui est à l’origine d’une bonne partie du délai intervenu, puisque, pendant une première et longue période, il a fait mine de ne pas contester le principe de l’assujettissement, obligeant en fin de compte l’I.N.A.S.T.I. à procéder.

La cour rejette encore une demande de levée de majoration, ainsi qu’une autre de termes et délais.

Intérêt de la décision

Cette affaire aborde une question spécifique, étant l’extension du bénéfice de la loi relative à la sécurité sociale des travailleurs salariés aux médecins. Cette extension a été introduite par un arrêté royal du 3 juin 2007 (entré en vigueur le 1er juillet 2009). L’application de la loi a été rendue possible pour le régime d’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité (secteur soins de santé et secteur des indemnités) aux médecins qui suivent la formation de médecin spécialiste dans le cadre des modalités fixées en application de la législation AMI, ainsi qu’aux médecins qui suivent la formation de médecin généraliste.

Un arrêté royal du 17 juillet 2009 a inclus, en ce qui concerne la formation de médecin généraliste, l’extension aux centres de coordination pour la formation en médecine générale via lesquels ces médecins suivent leur formation.

Relevons encore que l’arrêté royal du 3 juin 2007 incluait l’extension au secteur des allocations familiales, mais que, depuis une modification introduite par un arrêté du 28 avril 2014 (entré en vigueur le 1er janvier 2015), les allocations familiales pour travailleurs salariés ont été supprimées de la disposition.


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