Terralaboris asbl

Combinaison des règles relatives à l’indemnisation de l’incapacité temporaire en accidents du travail avec celles en matière de rémunération garantie des ouvriers au sens de la loi sur les contrats de travail

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 2 décembre 2014, R.G. 2013/14.762/A

Mis en ligne le lundi 22 juin 2015


Tribunal du travail de Bruxelles, 2 décembre 2014, R.G. 13/14.762/A

TERRA LABORIS ASBL

Dans un jugement du 2 décembre 2014, le Tribunal du travail de Bruxelles se livre à un examen très rigoureux de l’incidence des obligations de l’employeur en matière de rémunération garantie sur celles de l’entreprise d’assurances concernant le paiement des indemnités journalières.

Les faits

Un travailleur est victime d’un accident du travail en mai 2002. Il connaît trois périodes d’incapacité temporaire, la première de 10 jours, suite à laquelle intervient une très brève reprise du travail. Celle-ci est suivie de 3 semaines d’incapacité, auxquelles succède une seconde tentative de reprise très courte. Le travailleur subit encore 5 semaines d’incapacité temporaire ensuite.

Une procédure est introduite, suite au licenciement de l’intéressé, qui interviendra en juin 2003. Elle vise notamment des arriérés de rémunération, et une partie de ceux-ci sont accordés au travailleur par jugement du 2 décembre 2008. Les périodes d’incapacité temporaire, pour lesquelles l’employeur a perçu en partie une intervention de l’assureur, n’ont pas fait l’objet de ladite réclamation, qui se trouve dès lors prescrite, lorsque le travailleur se retourne ultérieurement contre l’assureur. Un échange de correspondance intervient et, en fin de compte, une procédure est introduite devant le tribunal du travail le 8 novembre 2013, dans laquelle l’intéressé réclame à l’assurance un montant de 2.679,27 €, correspondant aux indemnités journalières.

La décision du tribunal

La présente situation amène le tribunal à rappeler très judicieusement les principes en matière d’indemnisation de l’incapacité temporaire de l’ouvrier. L’indemnisation de l’incapacité temporaire est divisée en trois périodes, qui doivent être analysées successivement.

Pour les 7 premiers jours d’incapacité de travail, l’articulation avec les règles contenues à la loi du 3 juillet 1978 implique que, indépendamment du droit à l’indemnité journalière dans le chef de l’assureur, l’employeur est tenu de verser la rémunération normale, conformément à l’article 54, § 1er LCT. Cette obligation est une dérogation à l’article 22 de la loi du 10 avril 1971, qui met à charge de l’assureur la totalité du paiement à la victime de l’incapacité temporaire via des indemnités journalières de 90% de la rémunération quotidienne moyenne.

Pour la deuxième période, étant les 23 jours suivants, le tribunal rappelle qu’existe une convention collective de travail conclue au sein du CNT, étant la CCT 12bis. Son article 10 prévoit le paiement à charge de l’employeur d’une indemnité qui viendra compléter les indemnités versées par l’assureur, de manière à garantir à l’ouvrier une rémunération correspondant au net du salaire qu’il aurait obtenu s’il avait continué à travailler. L’employeur verse ainsi au titre d’avance un montant égal au salaire net de la période concernée. Il faut cependant que le travailleur subroge son employeur dans ses droits aux indemnités pour cette période à destination de l’assureur pour qu’il puisse récupérer. Le tribunal rappelle à ce titre le commentaire de l’article 11 de la CCT 12bis, qui prévoit explicitement la nécessité d’une subrogation de l’employeur dans les droits du travailleur.

Pour cette période, dès lors, le tribunal rappelle que (i) le créancier des indemnités journalières est le travailleur, sauf s’il y a subrogation de l‘employeur dans ses droits, l’assureur restant le débiteur final des indemnités, et (ii) le travailleur est créancier vis-à-vis de l’employeur à la fois de la rémunération garantie (au titre d’avance), ainsi que d’indemnités complétant éventuellement les indemnités journalières, de manière à lui garantir la rémunération correspondant au net du salaire qu’il aurait obtenu s’il avait continué à travailler.

La subrogation relative aux indemnités journalières pour cette période est une subrogation conventionnelle par laquelle le subrogé (employeur) paye des sommes (indemnités journalières) dues par le débiteur (entreprise d’assurances) et non une dette propre. En ce qui concerne la subrogation elle-même, le tribunal renvoie encore aux partenaires sociaux, dans le commentaire de l’article 11 de la même CCT : celle-ci doit être expresse et faite en même temps que le paiement. Elle doit permettre à l’employeur d’exercer une action contre l’assureur en lieu et place du travailleur.

Après cette période, les 30 premiers jours d’incapacité de travail étant révolus, plus aucune dérogation n’existe au principe général d’indemnisation par l’entreprise d’assurances.

Le tribunal examine encore le mode de computation des 30 premiers jours d’incapacité, vu qu’en l’espèce, il y a eu deux (brèves) tentatives de reprise. Il se penche d’abord sur les obligations de l’employeur en matière de salaire garanti, pour lesquelles celui-ci n’est plus tenu au paiement lorsque survient une nouvelle incapacité de travail dans les 14 jours de la reprise du travail. Il rappelle qu’il y a deux exceptions à cette règle, étant que, dans celles-ci, le salaire garanti continue à être dû. Il s’agit de l’hypothèse où le droit n’a pas été complétement épuisé par la première période d’incapacité de travail et de celle où le travailleur prouve que la nouvelle incapacité a une autre cause.

Ces dispositions ne s’appliquent cependant pas en cas d’accident du travail et le tribunal dégage des textes une règle selon laquelle, en cas d’incapacité de travail résultant d’un accident du travail, la première période d’indemnisation (étant les 7 premiers jours de l’incapacité) recommence à courir à chaque nouvelle période d’incapacité en lien avec ledit accident, quelle qu’ait été la durée de la reprise du travail (soit inférieure, soit supérieure à 14 jours).

Appliquant l’ensemble de ces règles au cas d’espèce et tenant compte du fait que l’assureur n’a procédé à aucun paiement direct à l’intéressé pour la période concernée (les indemnités journalières ayant été versées directement à l’ancien employeur), le tribunal refait le calcul en abordant respectivement chacune des périodes pour lesquelles la loi sur les accidents du travail a prévu un mécanisme d’indemnisation particulier.

Aucune contestation n’existant pour la première semaine (étant les 7 premiers jours), c’est la période suivante qui est examinée. En l’absence de subrogation, le tribunal constate que le paiement n’a pas été fait au créancier et qu’il n’est dès lors pas libératoire. Le fait que le travailleur aurait profité des paiements effectués par l’assureur à l’ancien employeur n’étant pas établi, ceux-ci ne sont pas opposables. Il en découle en outre que chacune des reprises du travail, suivie d’une période d’incapacité de travail temporaire, a engendré le début d’une nouvelle période de salaire garanti pour laquelle les 7 premiers jours d’incapacité de travail devaient être mis à charge de l’employeur et ne sont dès lors pas dus une nouvelle fois par l’assureur.

Le tribunal ordonne en conséquence une réouverture des débats aux fins de permettre aux parties de déterminer les différentes périodes d’indemnisation.

Intérêt de la décision

Ce jugement aborde un point peu souvent examiné, étant l’incidence de l’obligation pour l’employeur de payer la rémunération garantie sur celle pour l’assureur de verser les indemnités journalières conformément à l’article 22 LAT.

L’intérêt particulier de cette décision est de rappeler qu’après les 7 premiers jours d’incapacité, il y a lieu pour l’employeur d’obtenir une subrogation de la part du travailleur dans ses droits en matière d’indemnités journalières, et ce à concurrence du salaire garanti que l’employeur est tenu de payer. La référence à la rémunération nette est liée au fait que des cotisations de sécurité sociale ne sont pas dues pour cette semaine et que le salaire garanti payé par l’employeur est de 85,88% de la rémunération due. Le jugement rappelle que, à supposer que les indemnités journalières globales correspondant à cette période soient inférieures à la rémunération nette qu’aurait perçue l’ouvrier s’il avait travaillé normalement, l’employeur est également tenu au paiement de la différence. Son intervention va dès lors se faire en trois temps : (i) obligation d’avancer la rémunération garantie au sens de l’article 54, § 2, alinéa 1er de la loi relative aux contrats de travail, (ii) obligation pour lui d’être subrogé expressément dans les droits du travailleur s’il entend récupérer le montant de la rémunération garantie auprès de l’assureur et (iii) obligation éventuelle de suppléer au cas où les indemnités journalières seraient inférieures à la rémunération nette de la période.

Ajoutons encore un commentaire en ce concerne la première période d’incapacité, étant les 7 premiers jours. Nous pouvons difficilement suivre le tribunal lorsqu’il considère que l’entreprise d’assurances n’est débitrice d’aucune somme au travailleur, qui ne serait créancier de son employeur que pour sa rémunération normale. A supposer, en effet, que les indemnités journalières pour cette période des 7 premiers jours soient supérieures à la rémunération garantie, il nous semble qu’il n’y a aucun fondement légal à faire bénéficier l’employeur d’une différence positive entre les indemnités dues par l’assureur dans le cadre de l’accident du travail survenu au travailleur et ses propres obligations d’employeur en matière de rémunération garantie en cas d’incapacité de travail.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be